La fiscalité écologique doit conserver le souci de la justice sociale
La fiscalité écologiste existe déjà de facto, mais se trouve dispersée sur quantité de mesures isolées, la principale pièce étant la TIPP, Taxe intérieure sur les produits pétroliers, devenue TICPE, Taxe intérieure sur les produits énergétiques. Cela constitue du reste une difficulté quand il s’agit de les réformer, du fait de leurs origines différentes, de la manière également disparate dont ces mesures ont été prises, de leur « justification » à l’époque de leur adoption.
REPÈRES
Après la crise de 1929, des économistes comme Keynes, des industriels « fordistes » ou des politiques tels que Roosevelt ont lancé un modèle de développement consistant à soutenir la demande par un accroissement de la part du « public » dans la répartition des revenus, et aussi de la part des salaires, notamment au moyen de conventions collectives.
Mais si la crise d’aujourd’hui ressemble par bien des aspects à celle des années 1930, s’y ajoutent une composante « énergie-climat » et une composante « alimentation-santé ». À la dimension « rooseveltienne » d’un nouveau New Deal s’ajoute aujourd’hui une dimension écologique, un Green Deal. Première taxe de nature « écologique », l’ancêtre de la TIPP a été créé en 1928 comme une taxe à la consommation ordinaire, en remplacement de l’impôt sur le sel et non comme une taxe anti-CO2.
Les logiques de l’écotaxe
Toute écotaxe a deux effets, deux « dividendes ». Elle incite le contribuable-pollueur à diminuer sa base fiscale (la quantité de pollution produite), et elle alimente le budget public. Elle peut obéir à trois logiques différentes.
Augmenter le prix pour modérer l’usage
La taxe dissuasive entend empêcher de perturber un équilibre écologique. Elle aboutit donc à « tuer » sa propre base fiscale. Si elle réussit, elle ne rapporte plus rien.
La taxe d’internalisation est destinée à réintégrer certaines « externalités négatives » dans le « signal-prix » envoyé aux usagers qui ne peuvent pas se passer d’une activité polluante.
Par exemple, la taxe à l’essieu signale le coût du passage des camions qui abîment la chaussée. La taxe d’internalisation est ardue à établir et se confond fréquemment avec la taxe dissuasive. En fait, on augmente qualitativement le prix, par la fiscalité, pour modérer l’usage, et le « second dividende » tombe dans l’escarcelle de l’État sans être affecté spécifiquement à la réparation.
La taxe réparatrice est explicitement destinée à « réparer » les dégâts dont la limitation est visée par le premier dividende. Par exemple, sur l’eau consommée, on sait fixer un taux de redevance en fonction du coût externe que constituent l’action et le fonctionnement des agences de bassin.
Pour fonctionner de manière convenable, une taxe réparatrice doit être modulée par un système de bonus-malus. Sinon, elle risque d’encourager les gaspillages puisqu’elle mutualise les coûts externes engendrés par l’action « irresponsable » du pollueur, et donc peut conduire chaque assujetti à une forme de déresponsabilisation.
Une forme de progressivité
Juguler les gaspillages
Nos consommations d’énergie ne répondent pas suffisamment à de vrais besoins et appellent à une véritable réflexion, allant bien au-delà du fiscal.
Carence qu’illustrent par exemple les grands écrans numériques installés pour la publicité dans le métro. Ces écrans sont très consommateurs, alors que l’effet d’accroche sur le passant devient rapidement marginal. On peut trouver des formes de tarification avec progressivité, capables de juguler de tels gaspillages, mais le plus simple serait encore de les interdire.
La grande critique adressée a une écotaxe est qu’elle n’est pas « sociale », en ce sens d’abord qu’elle n’est pas progressive (même si l’on pollue d’autant plus que l’on consomme), et surtout qu’elle frappe indistinctement des ménages « captifs » qui n’ont pas les moyens de diminuer leur pollution. Une manière d’agir serait de traiter les problèmes de pollution sur le même mode que l’impôt sur les revenus, avec une forme de progressivité.
Ainsi, un ménage dans une ville européenne ne peut vivre sans une quantité d’eau et d’énergie minimales, auxquelles viendront s’ajouter des couches supplémentaires de consommations progressivement moins nécessaires. À partir de ce constat, il serait possible de convenir d’une quantité minimale fixe de consommation d’eau ou d’énergie qui serait gratuite. Puis les consommations supplémentaires seraient soumises au principe d’une tarification à taux progressivement plus élevé.
Le prix des énergies fossiles
Actuellement, la TICPE est un outil très puissant. Elle rapporte la moitié de ce que rapporte l’impôt sur le revenu. Mais elle entre en concurrence avec cette autre sorte d’imposition sur les carburants qu’est la rente pétrolière, à savoir les marges que prélèvent les pays producteurs, mais aussi les compagnies pétrolières. La fixation du prix des énergies fossiles sur le marché mondial détermine largement le prix à la pompe, indépendamment de toute visée écologiste.
Néanmoins, des études ont montré que les pics de prix élevés ont un impact sur les comportements des consommateurs, qui réduisent leur consommation et roulent alors moins ou moins vite. Cela a été constaté très nettement lors de la montée accélérée du prix de l’essence de 2003 jusqu’au pic d’août 2008, où les gens ont réfléchi et repris conscience du besoin d’économiser le carburant.
Un forfait gratuit
Reste la question des revenus modestes.
La TIPP flottante
Un moyen pour l’État de reprendre le contrôle du rôle incitatif du prix de l’essence à la pompe serait un retour à la TIPP flottante, expérimentée de 2000 à 2002, qui varie en sens inverse des fluctuations du prix du pétrole importé, pour maintenir un total régulier. La fiscalité sur l’énergie doit se fixer un horizon tel que la somme de la TIPP et du prix payé à l’arrivée au terminal pétrolier ou à la sortie de la raffinerie s’inscrive sur une pente régulièrement ascendante, car les entreprises et les ménages doivent anticiper que le coût de l’essence va et doit augmenter, lentement mais sûrement.
Ici intervient la piste d’un forfait gratuit : la collectivité leur restitue un « chèque-énergie », ou augmente les minima sociaux. Nous devrons aussi tenir compte, par des compensations, des ménages confrontés à d’autres contraintes, telles que le fait de vivre éloigné, en montagne ou à la campagne.
Ce type de fiscalité modulée, certes dissuasive envers les excès de consommation, présente toutefois le risque d’aléa moral, c’est-à- dire de déresponsabiliser (je paye : je pollue) ou d’engendrer des luttes d’influence pour se faire reconnaître comme cas particulier bénéficiant d’exemptions.
Lorsque l’on tient trop compte de ces cas particuliers exemptés de payer leurs externalités, on consolide leurs bénéficiaires dans l’idée : Je ne paie pas parce que je ne peux pas, donc je peux abuser. Peut-on encourager les ménages, mêmes les plus modestes, à agir sans conscience de leurs responsabilités ?
Conserver le souci du social
Je ne paie pas parce que je ne peux pas, donc je peux abuser
Ces problèmes ne sont pas insolubles, mais nous confrontent à une difficulté, dès lors que l’on conserve le souci du social, sans renoncer à être raisonnablement exigeant sur la fiscalité écologique, et que l’on se refuse à brimer excessivement la liberté de chacun par de pures et simples interdictions. Même si la cote n’est pas parfaitement taillée, l’important est de commencer à la tailler.
Car, au fond, ce seront toujours les plus pauvres qui pâtiront de la dégradation sans entraves d’un environnement gratuit. Les plus riches, eux, ont à la fois les moyens de le polluer – et de s’enfuir vers un autre environnement, le week-end ou à leur retraite.