Le dernier envol de l’aigle Hommage rendu au commandant Caroline Aigle (94)
Lorsque tu as été mutée dans mon escadrille, Caroline, j’avoue avoir été très impatient de faire ta connaissance. Permets-moi aujourd’hui pour cet au revoir de te tutoyer, rompant avec le vouvoiement de rigueur entre un commandant d’escadrille et un jeune pilote. Je m’appliquais cependant à t’accueillir comme n’importe quel autre PIM. Mais en dépit de mes efforts, je dois reconnaître que te recevoir dans mon bureau avait quelque chose d’extraordinaire : tu n’étais pas un pilote ordinaire.
Comme tous mes collègues à l’époque ton nom, Caroline, ne m’était déjà pas inconnu. Ta trajectoire m’intriguait. Macaronée par le chef d’état-major de l’armée de l’air, tu t’étais par ailleurs rapprochée d’un commandant d’escadrille de l’école de chasse, que j’avais trouvé très sympathique lors de mon propre passage à Tours. Plus tard, à l’occasion de ta transformation sur Mirage 2000 à Orange, les bruits répétés qui nous parvenaient à Dijon des vols de nuit-barbecue détendus avec les moniteurs ne me rappelaient pas vraiment l’ambiance « stagiaire » que j’avais pu connaître quelques années auparavant au « Côte-d’Or ».
Je découvris alors une jeune femme menue, dont l’intensité du regard bleu, parfois dissimulé sous une mèche blonde, annonçait une volonté ainsi qu’une détermination sans faille. Tu possédais à l’évidence la qualité que j’estime la plus nécessaire chez un pilote de chasse : la pugnacité. Pour le reste, ton comportement militaire irréprochable tout comme ta condition physique exceptionnelle te donnaient une grande force sous des allures d’apparente fragilité : tu étais en réalité tout bonnement désarmante et ton instruction sur chasseur monoplace débuta sous les meilleurs auspices.
Toutefois, il n’était pas toujours évident pour toi comme pour moi en dépit de nos efforts d’arriver à concilier les innombrables sollicitations dont tu faisais l’objet avec ta formation. Je peux cependant affirmer que tu t’es sans cesse montrée disponible et accessible, te prêtant de bonne grâce aux manifestations de toutes sortes. Je crois que ta sympathie naturelle et ta modestie conquérante ont fait que les plus sceptiques ont rapidement rendu leurs armes.
C’est à ce moment-là que d’une certaine façon, il me semble, tu as commencé à ne plus t’appartenir totalement et à devenir une nouvelle icône pour l’aéronautique militaire. En dépit des honneurs mérités, tu as su rester la même. Seule la présence quasi systématique du commandant de base à chacun de tes pots soulignait ta singularité. Gravissant un à un les échelons, tu te qualifiais jusqu’à assurer l’alerte de défense aérienne à partir de la base d’Orange lorsque cette dernière fut renforcée le 11 septembre 2001. Après avoir obtenu ton brevet de chef de patrouille, tu pris à ton tour tout naturellement le commandement de la SPA 57 « La Mouette ». Je me rappelle t’avoir demandé en plaisantant à l’occasion d’un de mes vols d’abonné que nous effectuions en patrouille : « Dites-moi, commandant, je vous appelle leadeuse ou leadrice ? » Et toi de me répondre dans un sourire : « Leader, ce sera très bien ! »
Toi qui avais l’habitude de mener plusieurs activités de front et de relever tous les défis, tu as trouvé le temps au cours de ces années bourguignonnes de te marier puis de devenir mère, allant ainsi jusqu’au bout de l’accomplissement de ta vie de femme.
Pour avoir parcouru quelques-uns des témoignages de soutien qui continuent d’affluer, je vous livre les mots le plus souvent cités : « Rêve, passion, envie, exemple, modèle, symbole de réussite, pionnière, femme d’exception, femme hors du commun, à la fois pilote de chasse, sportive d’élite et aussi mère de famille, parachutiste, marraine magnifique. » Ou encore : « Capacités hors normes, intelligence, talent, courage, force, détermination, conviction, ténacité, volonté, combative, grand enthousiasme, toujours souriante, abordable, accessible, gentille, simplicité, modeste. » Et enfin : « Une grande dame nous a quittés, heureuse de vivre, généreuse, radieuse, douce, charmante, chaleureuse, lumineuse, visage d’ange et regard d’azur, l’étoile filante a quitté ses enfants trop vite, sans vous le ciel de France sera un peu moins bleu, merci Madame, nos yeux regardant le ciel seront désormais embués. Si je veux devenir pilote de chasse c’est grâce à elle. »
Caroline, la communauté des gens de l’air s’incline très respectueusement devant toi qui rentres aujourd’hui dans la légende.
Kro, toute la chasse te pleure à présent que tu as pris ton dernier envol. Tu as aujourd’hui rejoint pour toujours ton terrain de chasse favori.
Face à ta disparition si injuste, la seule chose qui puisse apaiser notre chagrin est de considérer qu’aujourd’hui tu es devenue pour toujours l’ange gardien de Marc et de Gabriel. Je ne vois aucune autre raison à ton rappel à Dieu si précoce. Ils ont besoin plus que jamais que tu veilles sur eux depuis là-haut. Pour avoir vu la mort de près il y a quelques années, je sais quelle peut être la force de la protection offerte par les anges.
Enfin je voudrais dire à Christophe, à tes enfants, à vos familles ainsi qu’à tous ceux que tu aimes, que les portes de l’escadron leur seront toujours grandes ouvertes. Je prends cet engagement en présence ici des plus jeunes à qui je demande de se souvenir de ces paroles. Vous resterez associés aussi longtemps que vous le désirerez à la vie et au destin de la chasse dijonnaise.
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Le témoignage de ses camarades
Ma chère Caroline,
Je sais bien que tous ceux qui t’ont croisée pendant nos trois années à l’École retiennent encore leur souffle de stupeur ou d’émerveillement, d’incompréhension ou peut-être même de jalousie, quand ton visage visite leur mémoire et leur cœur.
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Caroline, blonde comme les sables du désert, timide comme un char d’assaut un peu jeune, rieuse comme une pluie en plein été, avec un petit coup d’œil insondable qui vient de dessous la mèche frontale.
Caroline debout dans un grand amphi, réclamant sa place à l’infanterie… Caroline sortant son vélo de sa salle de bain, à six heures du matin ou dix heures du soir dans le noir, la pluie et le vent… Caroline dans ses baskets à réaction laissant scotchés au bitume derrière elle les trois quarts des gars de la promo…
Caroline, nageant dans les mêmes lignes d’eau que les armoires à glace de sa section… Caroline maugréant parce qu’il fait mauvais et qu’on ne pourra pas sauter en « para » aujourd’hui… Caroline qui t’invite à boire un verre ou manger des pâtes au bar natation… Caroline qui gagne toutes les « compètes »… Caroline qui se trempe tous les jours dans les glaçons pour traverser la Manche comme une sirène… Caroline qui ne doute de rien, jamais de rien… Caroline dans son casert, sous une montagne de CD, un ordinateur plus gros qu’elle, du « matos » de sport jusqu’au plafond et le poly de Basdevant au milieu… Caroline qui veut tout apprendre, le portugais, l’arabe, le chinois, le russe, le piano, le dessin… Caroline qui ne recule jamais, jamais… Caroline qui veut toujours faire ce que les autres n’ont pas fait…
Caroline qui répète ses arguments debout, la voix calme et les épaules volontaires, jusqu’à ce que l’autre cède : d’accord Caroline, tu seras pilote de chasse…
D’accord Caroline, on va t’aider, tu seras astronaute.
Cette Caroline-là, je sais que vous la connaissez. Mais, pour Christophe son mari, pour Marc et Gabriel ses petits garçons, pour tous ceux que j’ai vus le visage raviné de larmes devant cet impensable cercueil, je voudrais rajouter quelques mots.
Caro, je veux te remercier. Parce que notre précieuse amitié, je la dois à ton infaillible fidélité. Tu es de ces êtres dont le cœur ne se laisse jamais affadir. Pour toi, aimer, c’est aimer jusqu’au bout, ta famille, comme tes amis.
Je l’ai compris peu à peu.
Au début, tu vas rire, j’étais convaincue que tu ne te marierais jamais. Avec tous ces défis que tu avais dans la tête, je pensais qu’il n’y avait pas de place pour une famille. Mais un jour tu m’as dit « C’est Christophe, voilà, il est pilote, nous allons nous marier cet été. » (Caroline en robe de mariée, ça c’était quelque chose de magnifiquement inoubliable.) « Mais, tu… tu aimerais avoir des enfants ? » « Bien sûr que nous voulons des enfants ! » (Petit rire légèrement moqueur de Caroline à l’intention de ma mine hébétée.)
La suite est toute simple. Un mari en or, quelques tribulations sur la base de Dijon, des travaux dans la maison, une grossesse en combinaison de pilote (vous voyez un problème vous ?) Et hop, voilà Marc parmi nous. Grand bonheur.
Début 2007, un autre grand bonheur s’annonce, trop vite suivi par la découverte du cancer.
Lors de notre dernière rencontre, Caroline, le souffle court, le visage déjà trop pâle, a puisé dans ses dernières forces pour me raconter ses enfants… les premiers mots de Marc, et ce combat pour donner à Gabriel une chance de vivre… avec tellement de douceur, tellement d’amour et d’espérance.
Et lorsqu’elle a quitté cette terre, c’était en tenant la main de son époux.
À tous ceux qui se figurent que Caroline était un spécimen à part, genre bulldozer déguisé en fleur, je veux dire qu’elle était d’abord un cœur.
Caroline, une fois encore, tu as franchi la ligne d’arrivée avant nous autres. Je sais que ton petit rire et ton cœur infaillible nous accompagnent jusqu’à ce que nous t’ayons rejointe.
Au nom de tous les polytechniciens, je te dis A Dieu.
Marie
5 Commentaires
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MON COMMANDANT
ANCIEN SOUS-OFFICIER MECANICIEN DE L’ARMEE DE L’AIR ‚JE VOUDRAIS DIRE COMBIEN JE SUIS EMU DEVANT LA TROP BREVE CARRIERE DE CETTE JEUNE FEMME, PILOTE DE CHASSE, QUI AVAIT DEVANT ELLE UN AVENIR PRESTIGIEUX,ET QUI A DISPARU PRÉMATURÉMENT. JE VIENS D’ACQUERIR LA PLAQUETTE ET LE TIMBRE A SON EPHIGIE ‚EN SOUVENIR DE CETTE BELLE PERSONNE. MES RESPECTS MON COMMANDANT !
hommages 10 ans après
On ne peut pas oublier cette jeune Femme, cette abnégation, ses efforts qui resteront un modèle pour les Français qui aiment leur Pays, défendant les valeurs essentielles de cette belle jeunesse !
Trop vite partie, les Enfants ont grandis, ils doivent êtres très fiers de leur Maman qui du Ciel, les regardent…
admiration , respect,
admiration , respect, tristesse.… tels sont les sentiments contrastés qui m’animent en lisant la trop courte évocation de Caroline Aigle !
AIGLE, quel nom prédestiné, quel destin brisé, elle est digne de rejoindre le Panthéon des gloires de l’aéronautique française, les Védrine,Blériot,Guynemer, Fonck,Nungesser, St Exupéry, Auriol, et tant d’autres qu’elle égale et peut être dépasse.… Femme et mère, elle est digne à tout jamais de notre affection, son nom restera gravé dans les mémoires .
que de belle années
que dire ! le respect devant cette brillante dame puis la tristesse respect à ceux qui ont offert à la france une patie de leurs vie
respects qui vous son dû
Caroline pleine de grâce, de talents, de volonté et de courage
Une femme lumineuse qui nous émeut aux larmes.