Les drones aériens investissent l’espace maritime
La mise en œuvre de drones dans l’espace maritime suppose le résolution de difficultés spécifiques. On a testé des drones catapultés, des hélicoptères « dronisés », des avions sans pilote sur porte-avions. Si les problèmes techniques sont en passe d’être résolus, il n’y a pas encore de doctrine d’emploi universelle.
Les drones aériens sont aujourd’hui d’un emploi courant dans l’espace de bataille aéroterrestre. Mais qu’en est-il de l’espace maritime ?
Pour mettre en œuvre des drones aériens dans l’espace maritime, de nombreux problèmes sont à résoudre :
“ Mettre en œuvre un drone à partir d’une plate-forme navale n’est pas facile ”
- la plate-forme de décollage et de récupération est mobile selon trois axes ; l’environnement électromagnétique est très dense et souvent contraint ;
- les conditions météorologiques sont souvent sévères ;
- l’ambiance saline est élevée, la place restreinte et les contraintes de sécurité sévères.
Les différentes forces aéronavales ont résolu ces problèmes et maîtrisent parfaitement ces données, mais avec des pilotes à bord. Dans le cas du drone, l’équipage est encore présent, mais il est déporté avec toutes les nouvelles contraintes que cela induit.
De plus, le drone arrivant le dernier, c’est à lui de s’adapter, bien qu’il soit probable qu’apparaissent à terme des bâtiments uniquement conçus pour des drones (qui pourraient être aériens, de surface ou sous-marins).
REPÈRES
Les mers et les océans recouvrent 71 % de notre planète. Le trafic maritime représente, en 2015, 80 % du commerce mondial en volume, et aujourd’hui plus de 50 % de la population mondiale vit à moins de 100 km des côtes. Cette proportion devrait être de 75 % en 2035. Les mers et les océans recèlent d’immenses ressources naturelles qui attisent toutes les convoitises.
Enfin, l’espace maritime au-delà des 200 miles nautiques des côtes reste encore un espace de liberté. D’où l’intérêt militaire des grands États de disposer de marines puissantes.
DES APPORTS DE CAPACITÉ INTÉRESSANTS
Mettre en œuvre un drone aérien à partir d’une plate-forme navale n’est donc pas facile. Alors, pourquoi le faire ? Avant tout parce que cela apporte des capacités militaires intéressantes.
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA CATAPULTE
Les premiers drones embarqués étaient lancés par catapulte ou booster, et récupérés à la mer dans un filet. Ce principe est encore utilisé par quelques UAV comme l’Aerosonde, le Fulmar, le Bat ou le Vultur. Toutefois, il reste limité à des appareils de masse réduite. De plus, la récupération finale, une fois l’appareil dans le filet, est parfois problématique.
Un drone peut voler plus longtemps qu’un appareil piloté, sans ravitaillement en vol. Un drone, par nature « perdable », peut pénétrer dans des espaces non permissifs sans mettre en danger son équipage.
Un drone est souvent plus petit et donc plus discret, ce qui a un intérêt tactique évident. Pour tous ces éléments, un drone aérien est très complémentaire d’un appareil embarqué.
Ainsi, au drone les missions longues de veille, de surveillance, de pistage ; à l’appareil piloté les missions plus complexes de lutte anti-sous-marine, d’attaque, etc. Dans ces domaines, l’intelligence humaine n’est pas encore surpassée.
Enfin, dernier point et non le moindre, ce type de système permet d’optimiser financièrement le coût de surveillance d’une zone. Le coût global (acquisition, soutien et maintien en condition opérationnelle) d’un système de drone devrait, de par sa taille et sa complexité, être moindre que celui d’un appareil piloté.
DE LA CATAPULTE AU DÉCOLLAGE-APPONTAGE VERTICAL
Un système un peu plus évolué a été développé par Insitu (filiale de Boeing) avec un lancement par catapulte et une récupération le long d’un câble (système Skyhook). C’est la méthode employée par le Scan Eagle, emblématique aujourd’hui du drone tactique à voilure fixe embarqué.
Système Scan Eagle : catapulte et skyhook.
Si ce système est efficace, il est loin d’être optimum : sa faible masse limite sa capacité en charge utile. Le successeur du Scan Eagle, qui reprend ses caractéristiques de mise en œuvre, le RQ-21 Blackjack, est lui aussi de masse réduite, avec des limitations un peu assouplies.
La solution la plus évidente est d’utiliser un drone hélicoptère (UAV VTOL). Dès le milieu des années 1960, l’US Navy et un peu plus tard la marine japonaise ont mis en œuvre ce type de système avec le QH-50 DASH (Drone Anti-Submarine Helicopter) de Gyrodyne. Toutefois, la technologie était limitée, avec des performances réduites et un taux d’attrition élevé qui ont réduit la durée de service du système.
À la fin des années 1990, l’US Navy a testé le Canadair CL-227, puis le CL-327 (dit « cacahuète volante »), mais le système, bien qu’ayant réussi à apponter, n’a pas démontré sa fiabilité et ses performances. Il ne fut pas retenu.
Néanmoins, l’US Navy cherchait toujours un système plus performant, ce qui aboutit au Northrop Grumman VTUAV (pour VTOL tactique UAV) MQ-8A/B Fire Scout qui apponta dès 2006. Actuellement, le MQ-8B (poids maximum au décollage : 1,4 tonne, endurance 5 heures) est en service dans l’US Navy. Mais, pour celle-ci, le MQ-8A/B est encore limité et elle se prépare à mettre en service le MQ-8C (2,7 tonnes, endurance 10 heures).
“ DRONISER ” DES HÉLICOPTÈRES
Ces deux UAV sont fondés sur la même philosophie : transformer un hélicoptère fiable et maîtrisé en UAV (le Schweizer 333 pour le MQ-8A/B et le Bell 407 pour le MQ-8C). Cette méthode est rapide, limite les risques, mais donne naissance à des UAV gros, complexes, avec des impacts importants en termes de volume et de coûts.
“ Le coût global d’un drone devrait être moindre que celui d’un appareil piloté ”
À ce jour, seule l’US Navy a fait ce choix, même si Northrop Grumman espère toujours vendre son système à l’exportation.
Dans cet esprit, en France, Airbus Helicopters (AH) étudie la « dronisation » du drone léger Guimbal Cabri qui devrait donner naissance au système de drone VSR 700/Orka d’une taille intermédiaire (700 kg, endurance 8 heures).
Le drone Serval (Schiebel S‑100) sur L’Adroit.
Dans le domaine du VTOL embarqué, l’autre système emblématique est le Schiebel S‑100, qui correspond à une philosophie radicalement différente : concevoir un UAV tactique VTOL à partir d’une feuille blanche pour obtenir un petit appareil tactique (200 kg, endurance 6 heures). Le S‑100 a été développé initialement pour les armées de terre (il est notamment en service aux Émirats arabes unis, qui en ont par ailleurs financé le développement initial), mais aussi pour apponter. Le S‑100 a réalisé des démonstrations à partir de navires en Allemagne, en Inde ou au Pakistan, etc.
Plusieurs marines emploient ou emploieraient le S‑100 à partir de navires, parmi lesquelles la Chine (bien qu’officiellement les forces chinoises ne confirment pas la possession de S‑100), les Émirats arabes unis, les forces spéciales américaines.
Ce système offre des capacités intéressantes notamment en raison de sa taille qui permet d’envisager son intégration à bord d’une frégate avec un hélicoptère embarqué de taille moyenne.
UN PROGRAMME POUR LA MARINE NATIONALE
La France n’a pas encore de drone embarqué, mais elle mène différentes expérimentations et continuer à préparer le futur programme SDAM (Système de drone aérien pour la Marine) qui devrait entrer en service au début de la prochaine décennie. Depuis 2011, la Marine mène le programme SERVAL (Système embarqué de reconnaissance, vecteur aérien léger).
Elle est la seule marine européenne à mettre en œuvre en autonomie totale et sur la durée ce type de drones sur un bâtiment. Les autres marines européennes qui ont mené ce genre d’expérimentation l’ont toutes fait sur de courtes périodes et avec l’assistance d’industriels.
VERS L’APPONTAGE D’AVIONS SANS PILOTE
LE X‑47B
Le X‑47B a volé pour la première fois à partir d’un porte-avions (CVN-77) en 2013. Il a été, en avril 2015, le premier UAV à être ravitaillé en vol. Ce système devait être une première étape vers l’UCLASS (Unmanned Carrier Launched Airborne Surveillance and Strike), qui vise à mettre en service un drone de combat sur porte-avions vers 2020.
Les États-Unis n’ont jamais abandonné l’idée de faire apponter des UAV à voilure fixe sur porte-avions et ont même testé, sans succès, un MQ‑5 Hunter sur un porte-hélicoptères.
Finalement, l’US Navy a lancé le programme N‑UCAS (Naval UCAS) qui a donné naissance au Northrop Grumman X‑47B (MTOW 20 t).
En février 2016, l’US Navy a annulé le programme UCLASS au profit du programme CBARS (Carrier-Based Aerial- Refueling System). Cette annulation n’est pas un échec technique mais une décision pragmatique : l’US Navy a besoin d’un ravitailleur rapidement et il s’agira d’une étape. Il ne fait aucun doute que l’avenir de sa flotte aérienne sera une flotte mixte UAV/avions pilotés.
VAINCRE LES RÉTICENCES HUMAINES
Le segment des drones maritimes est en plein développement. La majorité des problèmes techniques sont aujourd’hui résolus ou en cours de résolution, notamment l’intégration physique et fonctionnelle optimale, mais il reste encore des étapes à franchir avant que les drones se généralisent sur les bâtiments.
“ Les États-Unis n’ont jamais abandonné l’idée de faire apponter des UAV à voilure fixe sur porte-avions ”
Il reste encore des réticences humaines à abolir face à la robotisation de cet espace, mais aussi face à l’opposition des pilotes (comme pour les armées de l’air) et plus généralement des habitudes.
La question n’est pas de savoir si les drones (pas seulement aériens, mais aussi de surface et sous-marins) seront déployés un jour sur les bâtiments, mais quand.
Demain, il y aura les marines de premier rang qui mettront en œuvre des drones, et les autres.
Essais du drone X‑47b de Northrop Grumman à bord d’un porte-avion de l’US NAVY
On pourra zapper sur les minutes 5 à 14 qui s’éternisent sur le grutage de l’engin à bord du porte-avions
pour admirer ensuite le pilotage, le décollage et l’appontage