Les équipements aéronautiques civils
Il y a une vingtaine d’années, les constructeurs d’équipements aéronautiques français, déjà fournisseurs d’Airbus, qui cherchaient à développer leurs relations avec Boeing, alors leader incontesté des constructeurs d’avions civils, étaient reçus à Seattle par le directeur des achats qui leur tenait en substance ce langage : » Je ne connais guère vos sociétés ; mais je sais que vous êtes fournisseurs majeurs d’Airbus, et Airbus fait de bons avions : j’en déduis que vous devez faire de bons équipements ; pour ceux que vous fournissez à Boeing (il en existait quelques-uns), je peux vous dire qu’ils sont techniquement performants ; vous avez de bons ingénieurs ; mais il vous faut améliorer la qualité de votre production, le respect des délais au jour près, et la qualité du support aux compagnies aériennes. »
Vingt ans plus tard, il est clair que les équipementiers français ont su, dans le sillage d’Airbus, atteindre les standards requis en matière de coûts, délais, qualité de production et de service, et se hisser au niveau des leaders américains du domaine. Ils ont réussi à maintenir leurs positions sur Airbus, mais aussi à développer leurs relations avec Boeing et avec les autres constructeurs d’avions régionaux ou d’affaires.
Ces gains de parts de marché, associés à la croissance des ventes d’avions résultant du transport aérien mondial, leur ont ainsi procuré une croissance annuelle moyenne de 7 % depuis trente ans (en euros courants), modulée par les cycles propres à la construction aéronautique civile.
Cette croissance est le fruit d’efforts soutenus tout au long de ces décennies, notamment en matière d’investissements en recherche et développement. Elle a été accompagnée par une forte évolution du tissu industriel français. Nous examinerons successivement les aspects techniques, puis les aspects structurels de cette évolution.
Les innovations techniques
Les équipementiers français ont su répondre en temps voulu aux sollicitations des avionneurs en matière technologique, contribuant ainsi à la mise sur le marché par Airbus d’avions plus innovants que ceux de Boeing.
En effet les équipements jouent un rôle fondamental, par leur efficience et leurs fonctionnalités, au même titre que la cellule ou les moteurs, dans les performances opérationnelles et économiques, la sécurité et le confort des avions.
Ces progrès ont porté essentiellement sur l’automatisation et la réalisation de fonctions » intelligentes « , la miniaturisation, la fiabilité et la durée de vie, les évolutions techniques à venir.
La miniaturisation, la fiabilité et la durée de vie
L’évolution des matériaux et de l’électronique a permis des réductions de masse et de volume considérables (division par 5 en vingt ans pour le système de pilotage), et une constante amélioration de la fiabilité, de la sécurité et de la durée de vie de matériels destinés pour certains à fonctionner pendant plus de vingt ans à raison de 5 000 heures par an.
L’automatisation et la réalisation de fonctions » intelligentes »
Une des évolutions les plus marquantes a été celle de l’automatisation des systèmes de pilotage et de navigation qui a permis de ramener à deux le nombre de membres d’équipage techniques tout en améliorant la sécurité : les calculateurs de commandes de vol, transmettant leurs ordres aux actionneurs de gouvernes par liaison numérique, assurent la stabilité et le maintien de l’appareil sur la trajectoire désirée. Le système de gestion du vol, véritable cerveau de l’appareil, détermine, à partir des informations de navigation (centrale inertielle, GPS, aides radioélectriques), des caractéristiques de l’avion, et de multiples paramètres dont le prix du carburant, la trajectoire optimale de l’avion depuis le décollage jusqu’à l’atterrissage suivant le plan de vol prédéfini par le pilote et modifiable à tout moment selon les consignes transmises par les contrôleurs aériens. Des systèmes de sécurité supplémentaires avertissent le pilote des perturbations atmosphériques, des risques de collisions en vol ou de la proximité du sol.
Poste de pilotage d’Airbus A380 ©AIRBUS
Les instruments séparés ont été remplacés par des systèmes intégrés de planche de bord, informatisés, qui font appel à des technologies voisines de celles que chacun retrouve sur son PC, mais avec des contraintes d’ergonomie, de sécurité (zéro » plantage » de programme) et de durée de vie autrement plus importantes.
Ainsi le pilote n’est plus un » manipulateur « , mais un » manager » devant son » poste de commandement « , assurant la supervision générale, les prises de décisions stratégiques… et intervenant si certains organes se déclarent défaillants.
À côté des équipements » d’avionique « , en charge des fonctions de pilotage, navigation, guidage et gestion du vol, d’autres assurent les fonctions de » servitude » (génération et distribution électrique, hydraulique, fluidique, servocommandes et actionneurs, atterrisseurs, systèmes de freinage et d’antidérapage, etc.), le confort » de cabine » (sièges, galleys, éclairage, conditionnement d’air, oxygène, alarme incendie, toboggans d’évacuation, systèmes multimédias, etc.).
Les deux évolutions structurantes majeures communes à la plupart de ces systèmes concernent :
• le » tout numérique « , utilisation généralisée des calculateurs pour assurer les automatismes, échanger les données entre les systèmes et contrôler leur état de fonctionnement, avec l’exigence en architecture et logiciels de haute sécurité,
• le » tout électrique « , accroissement de l’utilisation de la puissance électrique, soit en remplacement de l’hydraulique, du pneumatique ou du mécanique pour les divers actionneurs, pompes, ou pour le conditionnement d’air, soit pour fournir du confort (sièges réglables électriquement) ou du divertissement aux passagers (systèmes multimédias de bord).
C’est ainsi que la puissance électrique installée sur un avion long-courrier est passée de 500 kW sur les avions conçus il y a vingt ans à 1,5 MW sur le Boeing 787 conçu en 2004.
Les évolutions techniques à venir
Ces évolutions se poursuivront dans les prochaines décennies, avec toujours comme objectif d’apporter au niveau de l’avion global :
• une augmentation de la sécurité et de la sûreté,
• une réduction des coûts de possession,
• une augmentation du confort,
• un accroissement de la fluidification et une densification du trafic,
• une protection accrue de l’environnement.
Un enjeu majeur est l’évolution de la gestion du trafic aérien, indispensable pour faire face à un doublement du trafic prévu à un horizon de quinze ans. Il faudra notamment accroître et optimiser les échanges automatisés de données de positionnement et de plan de vol entre l’avion, les centres de contrôle du trafic aérien au sol, les centres opérationnels des aéroports et des compagnies aériennes. Il sera fait plein usage des systèmes de navigation par satellites (GPS et Galileo), et des systèmes de communications dont le fonctionnement doit être entièrement sécurisé. Ils seront complétés par des dispositifs automatisés d’évitement d’obstacles, qui pourraient également assurer des fonctions de sûreté telles qu’empêchement de survol de zones interdites quelles que soient les volontés du pilote.
Ces évolutions sont rendues complexes par le nombre d’acteurs qu’elles concernent et par la nécessité d’assurer l’interopérabilité au niveau mondial et la compatibilité avec les anciens systèmes. La Commission européenne soutient à cet égard l’initiative » sesame » lancée par les industriels Thales, EADS et Airbus pour définir et déployer avec tous les acteurs européens concernés (autorités et centres de recherche de l’aviation civile, industriels, compagnies aériennes, contrôles aériens, aéroports) les infrastructures au sol ou les équipements d’avions nécessaires.
L’évolution de l’industrie française des équipements aéronautiques
L’industrie française des équipements aéronautiques a réalisé en 2004 un chiffre d’affaires de l’ordre de 6 milliards d’euros, dont plus de 70 % dans le domaine civil (les proportions étaient inverses il y a trente ans). La quasi-totalité des ventes civiles sont destinées à l’exportation directe ou indirecte via l’avionneur.
Une industrie duale à haute intensité technologique et capitalistique, et à très long cycle
Née pour l’essentiel du domaine militaire, l’industrie des équipements aéronautiques reste en grande partie une industrie duale, même si la part militaire est aujourd’hui minoritaire. L’activité militaire lisse les cycles du civil, nourrit pour partie les avancées technologiques (les militaires bénéficiant en retour des retombées de l’organisation industrielle et de l’organisation d’après-vente mises en place pour les besoins civils).
Les équipementiers partagent avec l’avionneur les risques des programmes en finançant leurs propres dépenses de développement ; ces dépenses peuvent représenter plusieurs années du chiffre d’affaires espéré sur un programme donné. Aussi les retours sur investissement n’interviennent qu’une dizaine d’années après le lancement d’un programme.
Cette industrie duale est donc caractérisée par une très forte intensité tant capitalistique que technologique. Elle prend en outre vis-à-vis de ses clients mondiaux (et vis-à-vis des passagers) des engagements à très long terme.
Ces caractéristiques induisent les évolutions structurelles de l’industrie, engagées dans les décennies précédentes et qui se poursuivront :
• l’internationalisation
Le marché aéronautique civil est mondial et ouvert. Les constructeurs américains, après quelques hésitations au départ, ont bien compris l’importance d’Airbus, et ont porté la concurrence à Toulouse, Hambourg ou Bristol. Les équipementiers français ont lutté et doivent lutter tant pour maintenir leurs positions en Europe que pour se rapprocher des avionneurs américains, canadiens, brésiliens. Ainsi Thales, après d’ailleurs s’être rapproché d’Airbus en s’implantant à Toulouse, est présent en Allemagne et en Grande-Bretagne, mais aussi aux États-Unis (notamment à Seattle) et au Canada, et dispose de filiales ou d’antennes auprès de tous les grands avionneurs et grandes compagnies du monde : c’est l’application dans ce domaine du principe de la multidomesticité. La présence auprès de l’avionneur restera un facteur clé de succès pour les équipementiers. Les équipementiers doivent élargir leurs débouchés et diversifier leurs risques : il faut donc poursuivre l’effort d’implantation internationale, y compris auprès de constructeurs émergeant en Chine ou en Russie.
• la concentration
Le secteur, comme et après les avionneurs et les motoristes, est en voie de concentration. Cette évolution est souhaitée par les avionneurs qui veulent réduire le nombre de leurs fournisseurs et leur confier des responsabilités plus globales de réalisation de sous-ensembles et par les compagnies aériennes qui souhaitent simplifier leur logistique. En France la quinzaine d’équipementiers de premier rang qui existaient il y a vingt ans sont aujourd’hui regroupés autour de trois grands acteurs d’envergure mondiale : Thales, le groupe Safran et Zodiac, avec lesquels on peut citer des filiales de groupes américains (Goodrich, Hamilton Sundstrand) ou européens (Liebherr), et complétés par un réseau de PME.
L’industrie des équipements reste néanmoins relativement peu concentrée en Europe en regard des motoristes et des avionneurs ou en comparaison avec les équipementiers américains. Le mouvement de concentration se poursuivra. Élargir leur offre et faire partie du club des 5 ou 6 grands équipementiers mondiaux fournisseurs de premier rang des avionneurs constitue un enjeu majeur pour les équipementiers français. Il est d’ailleurs de l’intérêt bien compris d’Airbus que ces regroupements se fassent sous le contrôle d’intérêts européens.
Dans l’immédiat, les équipementiers français doivent relever plusieurs défis
Maintenir et financer un haut niveau de R & D
L’effort de R & D se situe entre 10 et 20 % du chiffre d’affaires suivant les domaines.
Après quelques années de relatif conservatisme, les industriels américains redoublent aujourd’hui d’efforts pour proposer des solutions technologiques innovantes, comme en témoigne la définition technique du Boeing 787 en cours de développement, sur lequel les équipementiers français ont d’ailleurs obtenu plusieurs succès significatifs.
L’industrie française, et de manière plus générale l’industrie européenne, ne doit pas s’assoupir après le développement des systèmes de l’Airbus A380 : il lui faut préparer sa compétitivité future.
Or, aux États-Unis, une grande part de cette R & D est financée par des contrats militaires ou par les profits provenant de contrats militaires. Ce n’est pas le cas en Europe. C’est pourquoi il est fondamental de maintenir dans nos pays des mécanismes efficaces de financements publics de cette R & D.
Les Programmes cadres de recherche et développement de l’Union européenne jouent à cet égard un rôle grandissant, en complément des programmes nationaux. L’organisation ACARE (Advisory Council for Aeronautics Research in Europe) rassemble industriels, centres de recherche, compagnies aériennes, autres opérateurs du transport aérien et administrations. Elle permet une large concertation au niveau européen, la définition d’un agenda de recherches à vingt ans, et une augmentation de l’efficacité par réduction des redondances d’études inutiles.
Mais il convient également de maintenir les systèmes d’avances consenties par les États, remboursables et même au-delà en cas de succès. Ces systèmes, bien adaptés à la problématique de réduction du risque associée à des opérations à très lointain retour sur investissement, ont prouvé leur efficacité. On a d’ailleurs pu démontrer qu’en moyenne 1 euro prêté par l’État pour inciter l’investisseur privé à entreprendre ces développements était récupéré quatre fois par l’État, directement par le biais des remboursements et redevances, et indirectement par le biais des prélèvements fiscaux sur les salaires, de la taxe professionnelle, ou de l’imposition sur les bénéfices d’activités quasi entièrement orientées à l’exportation.
Maintenir la compétitivité face à des économies en dollars
Sur ce sujet, les équipementiers partagent la problématique de l’avionneur puisque tous leurs contrats sont libellés ou indexés sur le taux du dollar, y compris les contrats avec Airbus. Les taux de change actuels, s’ils devaient se maintenir, pèseraient fortement sur les marges.
Les mesures à prendre pour atténuer ces effets consistent à augmenter la part d’achats en dollars, à transférer en zone dollar les activités non stratégiques à faible valeur ajoutée, à innover en termes de productivité. Il faut néanmoins préserver les compétences stratégiques et ne pas laisser disparaître tout le tissu de sous-traitances indispensable.
Préparer l’avenir avec constance et optimisme
Relever ces défis doit permettre aux équipementiers français de poursuivre leur croissance pendant les prochaines décennies et confirmer leur place parmi les leaders mondiaux. Les perspectives sont bonnes, à condition de préparer l’avenir avec constance.