Gérard Berry (67), l’esprit d’enfance
Une marque d’éminence intellectuelle serait-elle la préservation chez l’adulte d’un esprit d’enfance ? C’est ce qui frappe en Gérard Berry, sa démarche procède d’un esprit ludique, du « faisons comme si », de jeux de mots et de langue et même, à l’occasion, de la ‘Pataphysique, puisque Gérard Berry est un membre éminent, « déformaticien », de son Collège, dont firent partie, en leur temps, Raymond Queneau ou Boris Vian.
Rigolard et jubilatoire
Il s’inscrit, de toute évidence, dans leur lignée : par la formation scientifique, un côté rigolard et jubilatoire, et la volonté arrêtée d’user du parler de tous les jours, y compris dans des expressions familières.
“ Dès 1968, il faisait joujou à l’École avec un ordinateur ”
Cependant, Gérard Berry n’est pas (encore) romancier, il est d’abord informaticien et professeur dans un autre Collège, celui de France. Se voulant à la hauteur de cet établissement prestigieux, il prépare ses cours scrupuleusement.
Spontanément altruiste
Ses grands-pères étaient un agriculteur et un commissaire de police. Sa mère, une vraie pédagogue passée par l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, enseigna les maths. Son père, véritable sociologue, normalien lui aussi (ENS Saint-Cloud), après seulement trois journées d’exercice du métier d’enseignant, élut d’être commissaire de police, par appel de l’action sociale ; qu’il transmit surtout à son fils Michel (63). Gérard, qui tient plutôt de sa mère sa vocation d’enseignant, reste spontanément altruiste.
Des bosses et des fractures
Son enfance, à Châtillon-sous-Bagneux, fut celle d’un gamin doué, dont l’avance en classes de deux ans fit un petit parmi les grands, d’où de multiples bosses et fractures ; qui passait son temps (je résume), d’une part dans les albums de bandes dessinées, dont les Tintin ; d’autre part à faire joujou, expérimentateur en herbe, avec sa boîte de petit chimiste rapidement transformée en vrai laboratoire.
Michel Berry (63) est son aîné de cinq ans. S’il eut beaucoup d’influence sur son frère, il « n’eut pas le temps de l’étouffer ».
Un séducteur
Égocentrique, conscient de sa valeur et de son originalité, spontanément séducteur – on se remémore dans sa famille l’épisode d’un train en Allemagne dont le jeune Gérard fit à 11 ans l’entière conquête – Gérard Berry est un homme plein d’assurance.
Sa scolarité tout entière lui fut facile. À la suite de son frère aîné, il entra à l’X et, tout comme lui, en sortit dans le Corps des mines. Dès 1968, il faisait joujou à l’École avec un ordinateur, un antique SETI PB250.
“ Soyez géniaux ”
Au Corps des mines, il contourna l’interdiction de faire de la recherche et, à l’incitation de Pierre Laffitte (44), s’installa en 1977 dans les laboratoires de Sophia-Antipolis, près d’Antibes. Il put s’y adonner à l’informatique et suivre l’injonction de Laffitte : « Soyez géniaux. »
Passionné jusque-là de montagne, il s’y donna un style de vie californien, anticipant sur la manière d’être des pionniers de la Silicon Valley, faisant de la planche à voile, puis de la voile – avec son bateau collectif nommé Le bar est ouvert.
Le tournant de sa carrière lui vint de l’informatique embarquée : en 1982, le magazine Microsystèmes lançait un concours de voitures-robots, dans lequel les automaticiens de son labo furent seconds. Par une innovation visionnaire, il postula, ce qui à cette époque d’ordinateurs lents était audacieux, une simplification majeure : faire comme si le temps de calcul était infiniment court.
Il entérina cet axiome dans le logiciel synchrone Esterel. La société Dassault comprit le puissant intérêt de ce logiciel dans des ordinateurs de bord, pour le contrôle automatique d’avions, comme le Rafale conçu alors (années 1980).
La société Esterel Technologies fut créée par la suite en 2000 pour commercialiser l’environnement Esterel Studio, et Gérard Berry la rejoignit de 2001 à 2009 comme directeur scientifique. Ses clients furent Dassault, Thalès, mais aussi Intel, Texas Instruments, ST Microelectronics pour une version d’Esterel dédiée à la conception des circuits électroniques. On y trouve maintenant tous les avionneurs, entre autres.
L’enfant et l’ordinateur
Gérard Berry, imbu de la force d’une idée simple, cultive le contraste de l’enfant et de l’ordinateur : le premier intelligent, approximatif et lent ; le second, d’une exactitude maniaque, rapide comme l’éclair, mais stupide. Il poussa très loin cette intuition magistrale.
Il est pénétré de l’importance de l’informatique, 30 % de la R & D mondiale ; point toujours prophète, à l’époque, à présent archaïque, d’Altavista, il ne voyait pas l’importance à venir des moteurs de recherche.
Cet homme, médaille d’or du CNRS en 2014, attiré par l’Inde, à l’intellect pénétrant et se projetant vers l’avenir, épris de mots et de bons mots, est profondément attachant.