L’éthanol carburant au Brésil : réalité ou fantasme ?
Le Brésil est le premier exportateur mondial d’éthanol et le second producteur derrière les États-Unis. L’éthanol brésilien présente un double avantage. D’abord, son prix de revient n’est, selon la Banque mondiale, que de 0,83 dollar le gallon (3,78 litres) contre 1,09 dollar aux États-Unis. Ensuite, provenant de la canne à sucre, il ne provoque pas dans la chaîne alimentaire la forte inflation consécutive au détournement du maïs vers l’élaboration de biocarburants. La production d’éthanol du Brésil et des États-Unis totalise 72 % de la production mondiale. Washington et Brasilia pourraient appuyer l’étude ou le développement de la production d’éthanol dans plusieurs pays latino-américains. Source : LatinReporters
La situation aujourd’hui
L’agriculture brésilienne est une des plus puissantes et performantes du monde. Le Brésil est leader mondial pour le soja, les agrumes, le café, le tabac, la viande, les volailles, la canne à sucre, avec des coûts de production très bas et, comme le Brésil le répète inlassablement dans les réunions sur le commerce international, sans subventions (en réalité : presque pas…).
L’exportation de l’agro-industrie représente 40 % de la balance commerciale.
La filière sucre-éthanol est le quatrième poste à l’export, après le soja, la viande et la filière bois-papier.
L’éthanol carburant
L’alcool carburant (éthanol) est obtenu par fermentation du jus de la canne à sucre. Toutes les usines sont mixtes et produisent à la fois du sucre et de l’éthanol. Rappelons que l’Europe utilise la betterave ou les céréales. Les USA utilisent uniquement le maïs.
Le coût de production de l’alcool brésilien est le plus bas du monde : 240 US $/m3. À titre de comparaison : USA = 350 US $/m3, Europe = 650 US $/m3.
Le poids de la canne à sucre dans la matrice énergétique est significatif, aussi bien par l’alcool produit que par l’utilisation de la bagasse (résidu fibreux de la canne après extraction du jus). Si on additionne l’utilisation de la biomasse (essentiellement la canne à sucre) et l’hydroélectricité, on constate que l’énergie renouvelable représente 40 % des besoins énergétiques, un des records mondiaux.
Le Brésil peut faire valoir qu’il est, à cet égard, « écologiquement correct ».
Le bilan écologique de la production d’alcool de canne est incontestablement favorable : pour une calorie utilisée pour le produire, on récupère entre 8 et 9 dans le carburant. Un calcul similaire pour l’éthanol de betterave en France donne, au mieux, un ratio de 2.
Deux alcools sont aujourd’hui utilisés au Brésil :
• l’alcool hydraté, utilisé tel quel dans les moteurs adaptés ou les véhicules flexfuel, au choix du consommateur à la pompe,
• l’alcool anhydre, utilisé en mélange dans toutes les essences, sans que le consommateur ait le choix.
La production totale est environ 20 millions de mètres cubes, dont 3 sont exportés.
Rapide regard sur le passé
Le programme Proalcool a été lancé au milieu des années 1970, après le premier choc pétrolier. L’économie était réglementée et relativement fermée aux échanges extérieurs. Le gouvernement a mis en place un programme permettant d’utiliser l’alcool hydraté directement dans les moteurs adaptés à ce combustible.
À cette époque, la production de sucre n’était pas très importante. Elle était essentiellement concentrée dans le Nordeste ; le Brésil n’exportait pas.
La culture de la canne s’est rapidement développée pour satisfaire cette nouvelle demande d’alcool. L’expansion a eu lieu essentiellement dans l’État de São Paulo.
Le succès initial du programme Proalcool a incontestablement enclenché un cercle vertueux : le développement de la culture de la canne a permis de créer des usines performantes et modernes et de grande capacité, entraînant une baisse des coûts de production agricoles et industriels.
La production combinée de sucre et d’alcool a permis d’amortir les frais fixes sur l’ensemble des deux produits, donc de baisser les coûts de production des deux. Le Brésil est ainsi devenu en quelques années le plus gros producteur de canne à sucre du monde.
Suite à l’ouverture économique du pays rendant possible l’importation et la production locale de véhicules modernes, non équipés pour consommer de l’alcool tel quel, la demande d’alcool hydraté a diminué.
Afin de compenser la baisse de production d’alcool hydraté, le gouvernement a rendu obligatoire l’incorporation d’alcool anhydre dans toutes les essences – aujourd’hui 23 %.
La substitution progressive du parc automobile ancien par les nouveaux modèles et l’augmentation du parc automobile ont permis de maintenir la demande totale d’alcool.
Depuis le début de 2004, le lancement de véhicules « flexfuel » relance la demande d’alcool hydraté.
Ces véhicules peuvent consommer indifféremment, au choix de l’utilisateur, soit de l’essence, soit de l’alcool.
L’adaptation nécessaire est l’utilisation d’un système d’injection électronique spécial qui règle le mélange air/essence en fonction de la mesure de la teneur en oxygène du carburant et des rejets.
Les véhicules flexfuel représentent actuellement 70 % des ventes de véhicules neufs.
L’économie
N.B. : 1 USD = 2,15 R$ Les alcools ne payent pas la taxe pétrolière sur les carburants (CIDE).
Le graphique ci-dessous compare les prix de l’essence et de l’alcool, correction faite de la différence des pouvoirs énergétiques.
Le coût de production de l’alcool est inférieur ou égal au prix de l’essence, départ raffinerie, hors taxes : le Brésil est le seul pays au monde dans ce cas. En d’autres termes, pour un prix du pétrole supérieur à 40 US$/bl, la production d’alcool est rentable, sans défiscalisation.
L’exemption de la taxe pétrolière (CIDE) permet à la fois aux producteurs d’assurer une bonne marge et aux propriétaires de flexfuel d’économiser.
La possibilité pour « l’usineiro » d’arbitrer entre la production de sucre et d’alcool en fonction des marges, et pour le propriétaire d’un véhicule flexfuel d’arbitrer entre alcool et essence induit des corrélations de prix entre sucre, alcool, essence et pétrole au Brésil.
Compte tenu de la place dominante du Brésil sur les marchés du sucre et de l’alcool, ces corrélations se répercutent sur les marchés mondiaux.
Les perspectives
Le Brésil dispose de la plus grande réserve mondiale de terres cultivables non exploitées.
Le Brésil n’utilise pour son agriculture que 55 millions d’hectares, dont 6 pour la canne à sucre.
90 millions d’hectares sont disponibles pour l’agriculture, sans déboiser la forêt : le « cerrado » s’étend sur la majeure partie du Mato Grosso, du Goias et du Minas Gerais.
220 millions d’hectares sont consacrés à l’élevage, pour un cheptel d’environ 180 millions de têtes. L’élevage est donc très extensif. Il est possible d’augmenter le cheptel tout en diminuant la surface consacrée à l’élevage, et donc de libérer des surfaces supplémentaires.
Le potentiel apparaît gigantesque, presque illimité, et certains, au Brésil et à l’étranger, voient le Brésil comme le grand pays de « l’Opep vert », capable d’apporter la solution à l’épuisement des réserves pétrolières.
La réalité est bien différente…
Le Brésil est devenu en quelques années un des plus gros consommateurs d’engrais du monde et il est également gros importateur : son agriculture est donc dépendante des marchés mondiaux des engrais, eux-mêmes corrélés au prix de l’énergie.
La forte consommation de phytosanitaires (plus de 3 milliards US $/an) est critiquée par certains qui la jugent très excessive et préjudiciable à l’environnement. Certaines pratiques (épandage par avion, par exemple) sont certes efficaces, mais peu « écologiques ». On dénonce déjà des pollutions de nappes phréatiques par l’excès de phytosanitaires.
Dans la majeure partie des « nouvelles frontières » qui seront exploitées pour la production de canne et de biocarburants, l’hiver (mai à septembre) est chaud et sec. La culture de la canne exige l’irrigation.
On oublie de dire que dans ces régions il faut ajouter, en plus de l’eau pluviale, 500 mètres cubes d’eau pour produire UN mètre cube d’alcool.
Les infrastructures sont dans l’ensemble insuffisantes pour satisfaire la volonté du Brésil d’augmenter ses exportations, compte tenu de l’immensité du territoire (15 fois la France !) :
• le réseau routier est insuffisant pour permettre l’écoulement des marchandises qui seront produites dans les nouvelles zones agricoles et les routes non asphaltées sont impraticables en période de pluies. On assiste souvent en période de récolte de soja et de sucre à d’importants bouchons sur les routes d’accès aux ports ;
•. le réseau ferroviaire est limité et en mauvais état ;
• les voies fluviales ne sont pas exploitées comme elles pourraient l’être ;
• last but not least, les installations portuaires sont saturées.
Compte tenu de ces contraintes et aussi des énormes besoins en financement, il apparaît impossible de développer plus de 400 000 hectares de nouvelles terres cannières par an. Pour produire sur les 90 millions d’hectares disponibles théoriquement, il faut plus de deux siècles, horizon largement plus lointain que les réserves de pétrole.
Une croissance de 400 000 hectares par an est :
• énorme du point de vue brésilien. Cela suppose la construction d’une usine par mois, des investissements supérieurs à 2 milliards US$ par an, la création de 20 000 emplois supplémentaires par an ;
• insignifiante du point de vue de la matrice énergétique mondiale.
Compte tenu de la croissance de la demande de sucre brésilien et de la croissance de la consommation locale d’alcool, les volumes disponibles à l’exportation ne dépasseront pas 10 millions de mètres cubes (équivalent essence) par an en 2030, moins de 1 % de la consommation mondiale.
Conclusion
Soutenue par une insatiable demande internationale, la production d’alcool de canne au Brésil continuera à croître et à attirer les investisseurs qui y trouveront des opportunités de développer une activité rentable. L’utilisation de l’alcool par les Brésiliens eux-mêmes aura un impact très significatif sur leur propre matrice énergétique. Cependant, les quantités que le Brésil pourra exporter seront insignifiantes par rapport à la consommation d’essence mondiale.
Pour répondre à la question posée en titre, nous pouvons donc conclure ainsi : réalité ET fantasme.
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L’éthanol et ses déclinaisons
Les avancées certaines en matières d’utilisation de l’éthanol font que l’on ne peut plus parler de fantasmes, au Brésil ou ailleurs. Le meilleur exemple réside d’ailleurs dans le domaine des cheminées. Samir webmaster du site gayomart.fr