Mise en œuvre de techniques de génie écologique : réhabilitation de milieux dégradés d’altitude
Processus de dégradation
Les processus de dégradation qui vont se manifester sur ces milieux résultent essentiellement de la réduction ou de la destruction du couvert végétal pérenne. Le décapage de la couche superficielle du sol peut alors survenir, ce qui ne fait qu’accroître les processus d’érosion : arrachement des particules et transport le long des pentes.
On peut alors constater :
- une réduction de la matière organique du sol,
- la compaction du sol par suite de la destruction ou de la fragilisation de sa structure,
- la réduction de sa porosité, de son oxygénation, de sa perméabilité et donc de sa capacité de stockage en eau,
- la disparition de toute vie dans le sol…
La résultante de toutes ces perturbations est une diminution rapide de la biodiversité des milieux concernés, ainsi que des modifications paysagères importantes. Sur certains aménagements, des problèmes de sécurité et de stabilité peuvent apparaître.
Solutions technologiques
Face à ces processus, des solutions technologiques se développent pour lutter contre l’érosion, et réussir l’intégration écologique et paysagère des ouvrages. Ces solutions font appel à un nouveau champ disciplinaire de recherche : l’écologie de la restauration. Ces solutions passent par la mise en œuvre de techniques de génie écologique.
Ces interventions volontaires sur le milieu concernent des travaux de sol (protection et reconstitution) puis la réintroduction d’un matériel végétal adapté. On procède ainsi à la mise en place d’un écosystème simplifié » synthétique » comportant un nombre réduit d’espèces, qui constitue une étape intermédiaire entre l’état dégradé et l’écosystème de référence.
Le Cemagref, Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement, conduit des recherches et expérimentations sur :
- la protection des sols par utilisation de géotextiles biodégradables,
- la reconstitution des sols par utilisation de matières organiques issues de la dépollution des eaux,
- l’utilisation d’un matériel végétal adapté.
Les techniques de génie biologique développées ci-dessous portent sur des exemples de réhabilitation de sites dégradés en altitude, mais les méthodologies sont applicables à d’autres milieux.
Utilisation des géotextiles biodégradables
Les opérations de végétalisation des pentes et des talus sont généralement précédées de pose de matériaux biodégradables (toile de jute ou toile de coco) pour fixer le sol. Ainsi, sur les talus de routes de montagne, il est de plus en plus courant d’utiliser de la toile de jute sur les secteurs les plus délicats.
Les talus de route de montagne
La période d’intervention en altitude est toujours extrêmement courte et il convient, pour réussir la végétalisation des zones à forte pente, de protéger le sol des phénomènes érosifs et de garantir aux semences des conditions de germination optimales. Nous avons étudié sur site, puis en laboratoire, le rôle de la toile de jute sur deux facteurs écologiques : l’eau et la température, qui sont les éléments indispensables à la germination des semences puis à la croissance des plantules.
32,81 g.
Mise en place du dispositif d’essai sur la route de la Bérarde.
PHOTO FRANÇOISE DINGER
Sur le site d’essais mis en place sur un talus amont de la route de la Bérarde (Isère) on a effectivement pu constater, par la mesure de la production aérienne et racinaire sous toile et hors toile, que la toile de jute avait un effet positif sur le développement racinaire et aérien des végétaux semés.
De plus, aux basses températures atmosphériques, le bilan thermique du sol du talus recouvert par de la toile de jute est plus favorable que celui du sol nu. Cet effet est capital au printemps, au moment où la végétation qui redémarre bénéficie de températures au sol nécessaires aux premiers processus de son développement.
Effet de la toile de jute | ||
Production moyenne de matières sèches | ||
Racinaires Aériennes |
Hors toile de jute | Sous toile de jute |
10,80 g. 32,81 g. |
15,62 g. 46,20 g. |
Enfin, la toile de jute est capable d’absorber jusqu’à 5 fois son poids en eau. Les essais de simulation de pluie ont confirmé cette propriété de la toile, qui ensuite restitue l’eau au sol et participe ainsi à l’alimentation de la plante. La toile imbibée intercepte une bonne partie de l’énergie solaire utilisée à l’évaporation de son eau. Ainsi l’été, le sol reçoit moins de chaleur et l’eau qu’il contient s’évapore moins vite que celle du sol nu.
Aujourd’hui, de nombreux chantiers en altitude mettent donc en œuvre avec succès de la toile de jute avant semis sur des surfaces importantes à forte pente, créant ainsi les conditions microclimatiques favorables à une rapidité de germination et d’installation d’une végétation dense et homogène, tout en s’opposant sur les pentes au processus d’érosion dû au ruissellement.
Utilisation des matières organiques issues de la dépollution des eaux
L’aménagement des domaines skiables connaît depuis les années 1970 un fort développement, particulièrement en Europe. Il convient d’accueillir en toute sécurité de plus en plus de skieurs sur les pistes et même si l’on considère aujourd’hui que l’ensemble des domaines potentiels est aménagé, le renouvellement des remontées mécaniques par des appareils plus performants impose des travaux de pistes pour leur élargissement ou la recherche de nouveaux itinéraires.
Le dispositif de La Plagne un mois après sa mise en place.
Le dispositif de La Plagne trois ans après sa mise en place.
PHOTOS FRANÇOISE DINGER
Les conséquences de ces travaux en altitude sont multiples : sols décapés et stériles sensibles à l’érosion, paysages dégradés, écosystèmes naturels fortement perturbés.
Il faut donc intervenir rapidement après les travaux de construction de la piste et se donner les moyens de reconstituer la couverture végétale d’origine.
Bien que le meilleur support pour la plante soit la terre végétale, il n’est pas toujours possible de la récupérer en quantité importante et dans de bonnes conditions ; on peut alors dans certaines vallées alpines disposer de composts de boues de bonne qualité qui vont servir de support à la végétation.
En 1987, avant l’organisation des Jeux olympiques d’Albertville, le Cemagref a mis en place un dispositif d’essais dans la station de ski de La Plagne (Savoie) pour tester l’efficacité de composts de boues comme substrat avant végétalisation.
Les essais mis en place ont permis de tester trois types de support : des parcelles » témoin » (substrat brut) et des parcelles enrichies de compost testé sous deux épaisseurs (1 cm et 5 cm). Le semis a été réalisé avec différentes espèces : fétuque rouge, fléole, trèfle ainsi que les trois espèces en mélange. Ce dispositif a été implanté à 2 245 m d’altitude sur une zone ayant fait l’objet de travaux de terrassement anciens.
Il a donné dès le premier mois des résultats tout à fait encourageants.
On a ainsi pu définir qu’en reconstitution du substrat, 5 cm de compost sont nécessaires, soit de 100 à 150 tonnes par hectare, et qu’en fertilisation d’entretien sur couvert végétal installé, 1 à 2 cm suffisent, soit 30 à 50 tonnes/ha.
D’année en année, on a constaté que la couverture végétale se densifiait, que les espèces fleurissaient et produisaient des graines capables ensuite de germer et donc d’assurer la pérennité de la couverture protectrice du sol.
Enfin, au fil des années, l’augmentation du recouvrement du sol par la végétation s’est accompagnée d’une augmentation de la contribution des plantes natives.
Le compost est donc un produit tout à fait efficace pour la végétalisation des sites perturbés et pour la protection des sols contre l’érosion. De plus, ce produit ne s’oppose pas, bien au contraire, au retour des espèces composant l’écosystème de référence.
Les pratiques mises au point sur les pistes de ski de Tarentaise au moment de la réalisation des infrastructures olympiques sont aujourd’hui appliquées à d’autres aménagements pour lesquels une réhabilitation écologique et paysagère s’impose.
Ainsi, on peut citer les talus de routes et autoroutes pour lesquels un engin particulier a été mis au point ; il permet la projection régulière sur une hauteur assez importante de différents amendements, dont les composts de boues.
Dispositif du col de Forcle, La Plagne, Savoie | ||||
Parcelles | Recouvrement maximum en % |
Nombre maximum de plantes natives |
||
1990 | 1993 | 1990 | 1993 | |
Témoin Compost 1 cm Compost 5 cm Compost 5 cm + engrais |
3 | 2 | 11 | |
25 | 35 | 7 | 17 | |
55 | 80 | 6 | 15 | |
>55 | 85 | 5 | 14 |
Le choix du matériel végétal
Une fois le support stabilisé et enrichi, il faut procéder au semis en choisissant des espèces capables de s’implanter sur sol très pauvre et de résister aux contraintes fortes des milieux sur lesquels on souhaite les voir s’installer : froid, contrastes thermiques, enneigement prolongé, période de végétation courte.
Machine à projeter les boues. PHOTO FRANÇOISE DINGER
De plus, ces espèces doivent couvrir rapidement le terrain et présenter une bonne capacité à retenir le sol par un enracinement profond et colonisateur. Enfin, elles doivent préparer le retour des populations autochtones qui seront les seules à garantir l’intégration écologique et paysagère des sites aménagés.
Jusqu’à la fin des années soixante-dix, les premiers mélanges utilisés sur pistes de ski n’étaient composés qu’à partir d’espèces commercialisées (les graminées à gazons d’ornement) qui ne constituent pas forcément le matériel végétal le mieux adapté. Les critères de leur sélection (aspect esthétique global, finesse et couleur du feuillage, résistance aux maladies…) pour leur emploi traditionnel de » gazons à destination sportive « , » gazons d’ornement et d’agrément » ne satisfaisaient pas aux contraintes développées ci-dessus.
Dès cette période, nous avons donc testé en altitude 27 variétés commerciales, pour ne retenir que celles qui allaient répondre à nos attentes.
Puis l’introduction des légumineuses s’est rapidement imposée sur ces sols pratiquement stériles car, outre leur capacité à fixer l’azote atmosphérique, elles établissent des relations avec les graminées, par exemple une complémentarité de recouvrement et d’enracinement.
Achillée et Anthyllis introduites dans les mélanges.
PHOTO FRANÇOISE DINGER
Ensuite, compte tenu des conditions écologiques des espaces à réhabiliter, il convenait de fournir aux aménageurs les moyens de reconstituer à terme des groupements végétaux dont les caractéristiques soient les plus proches possibles des phytocénoses naturelles.
Les études sur la richesse floristique des milieux en cours de réhabilitation nous ont fourni des éléments importants de diagnostic de la stabilité de la végétation et de son dynamisme, ainsi que des espèces natives qui contribuaient préférentiellement au retour d’une certaine biodiversité. En effet, compte tenu du faible nombre (souvent inférieur à 10) des espèces généralement introduites lors du semis, ce sont les espèces autochtones (appelées aussi natives ou sauvages) qui contribuent à l’obtention d’une richesse spécifique et d’une biodiversité élevée.
L’ensemble de ces observations met l’accent sur la nécessité de trouver les moyens de favoriser le retour des espèces autochtones, qui sont les seules à garantir la richesse des milieux réhabilités, et donc leur stabilité. Il convient donc, soit de les introduire dans les mélanges semés, soit de préparer le milieu pour favoriser leur retour spontané. Corrélativement, il convient de raisonner la fertilisation car l’excès d’engrais bénéficie exclusivement aux espèces artificiellement semées.
La piste après travaux de terrassement.
Après avoir étudié le comportement des espèces du commerce, nous avons donc engagé une recherche sur les plantes pionnières des zones terrassées en altitude, avec pour objectif d’encourager leur production massive et leur introduction dans les mélanges.
On conseille aujourd’hui l’emploi, parmi les espèces disponibles, de celles qui possèdent une grande amplitude écologique : extension géographique et extension en altitude.
On peut résumer la réhabilitation du couvert végétal en quelques images
La piste un an après le semis.
Elles illustrent l’importance du choix des semences dans la réhabilitation écologique ; en effet il est important de faire précéder les travaux de création de pistes de ski d’une analyse floristique précise du couvert végétal, qui va renseigner sur les espèces qu’il convient d’introduire dans le mélange de semences.
Ensuite, l’état de la piste après les travaux de terrassement conditionne l’apport ou non de matières organiques ou de terre végétale.
Les premières années après le semis, ce sont les graminées qui s’expriment. Les légumineuses et les plantes natives du mélange s’installent ensuite avant le retour progressif et spontané des espèces sauvages présentes à proximité du site aménagé.
On constate alors dans l’essentiel des cas une continuité dans une dynamique de végétalisation complémentaire (espèces semées/espèces sauvages) dont la vitesse de recolonisation dépend des conditions environnementales et typologiques des espaces concernés.
La piste cinq ans après le semis. PHOTOS FRANÇOISE DINGER
Depuis près de vingt ans, de nombreux sites aménagés font l’objet d’observations particulières pour juger de l’efficacité à long terme des différentes composantes des mélanges : graminées, légumineuses, plantes sauvages. Nous sommes aujourd’hui en mesure de proposer, en fonction des sites à réhabiliter, les espèces qui sont manifestement de bonnes colonisatrices, en tenant compte aussi de leur disponibilité sur le marché et de leur coût.
Bilans et perspectives
Le bon choix des techniques et des produits est une des conditions de la réussite de la réhabilitation des espaces dégradés. D’autres conditions doivent être remplies : bâtir un cahier des charges précis, le faire respecter par une parfaite maîtrise d’œuvre sur le terrain, condition indispensable à la maîtrise de la qualité et de la quantité des produits utilisés.
Enfin, il convient aussi, dès le début du chantier, de prévoir le mode de gestion des ouvrages ainsi réalisés.
Par exemple en altitude, l’entretien du couvert végétal installé passe par l’ouverture au pâturage des pistes, ce qui assure la pérennité de la végétation et un retour à une meilleure biodiversité ; le mélange choisi doit tenir compte de cette gestion en introduisant préférentiellement des espèces fourragères.
Les responsables de grands aménagements que sont les domaines skiables, les autoroutes, les voies ferrées, les voies navigables réalisés dans des situations écologiques difficiles appliquent de plus en plus ces techniques de réhabilitation dans la mesure où les enjeux économiques et environnementaux de leurs ouvrages sont importants et qu’il convient de les intégrer au paysage tout en assurant une protection rapide des activités concernées.