Moscou en quête de logements et de transports
En décrivant Moscou, Diderot, dans son Encyclopédie, note : « Cette ville est partagée en quatre parties, dont chacune est entourée d’une muraille et d’un fossé. Elle dépérit tous les jours, parce que la plupart des maisons étant de bois, les incendies y sont fréquents, et le czar a défendu qu’on les rebâtit de pierre, afin d’attirer encore mieux les grands et les riches à Saint-Pétersbourg. »
Lorsque Napoléon envahit Moscou en septembre 1812 les Moscovites avaient déjà brûlé la ville avant de l’évacuer.
REPÈRES
Moscou a été fondée officiellement en 1147, par Iouri Dolgorouki, premier à construire un mur de bois et un fossé pour défendre les habitants contre les pillards. Aucun obstacle naturel important ne protège la ville, et d’immenses forêts de bouleaux l’entourent. Il était alors relativement aisé d’envahir Moscou et de la brûler. C’est ce que n’ont pas manqué de faire les Mongols et les Tatars, qui ont dominé successivement la région moscovite, jusqu’à l’arrivée de Michel Romanov en 1613.
Une rupture apparaît en 1703, lorsque Pierre le Grand, conscient du développement de l’Europe et de l’importance de la marine pour l’indépendance d’un pays, décide de fonder Saint-Pétersbourg. Moscou cesse alors d’être la capitale de la Russie, et tous les efforts du tsar se tournent vers la mer Baltique.
Une structure concentrique
De 1813 jusqu’à 1914, le siècle est extrêmement productif en Russie : sciences, arts, techniques, culture, architecture, c’est un festival de modernisme et de créativité, tant à Saint- Pétersbourg qu’à Moscou. Les constructions en brique se généralisent. Moscou a toujours connu une structure circulaire. Il existait autour du Kremlin des quartiers d’artisans (slobodi), autour desquels on construisait des murs.
La structure de la ville actuelle a conservé ce principe concentrique. La combinaison d’un pouvoir politique absolu, des incendies successifs et de l’immensité de la plaine russe a donné la possibilité aux architectes de profiter d’un espace libre sans limites pour donner de l’espace et du volume à leurs ouvrages : aujourd’hui boulevards, espaces verts, logements, bureaux et palais sont imbriqués.
Construire des axes routiers
Lénine, craignant une possible invasion étrangère, abandonne Saint-Pétersbourg et transfère le siège du gouvernement à Moscou en mars 1918. La population y afflue. L’histoire raconte que, le 6 janvier 1931, Moscou était totalement paralysée à cause du trafic. Ni tramways, ni bus, ni calèches, ni taxis ne pouvaient plus circuler.
D’où, en partie, la décision de construire des axes routiers très larges et de commencer la construction du métro. Officiellement, le début de son creusement date de novembre 1931.
La crise du logement
Lits et coins
Le terme« appartements de lits et de coins » désigne des locaux, loués par portions, généralement attenantes à un mur ou à un angle d’une pièce (« coin »), lesquels cependant pouvaient se multiplier à volonté par des cloisons supplémentaires et des paravents, ou encore par « lits ».
Le logement a toujours été, et reste encore, un sujet endémique. Dans la Russie tsariste du début du XXe siècle, en pleine industrialisation, la croissance atteint 50 000 personnes par an. La crise du logement, l’un des problèmes majeurs du début de l’époque bolchevique, était de fait déjà aiguë avant la révolution de 1905.
D’après le recensement de 1899, 15 % des logements à Moscou sont des appartements de sous-sol et « de lits et de coins ». Sous-sols, lits de coin et asiles abritent alors 20 % de la population moscovite.
Les immeubles staliniens
Le logement reste encore un sujet endémique
Au début de la période communiste, dès 1918, les appartements des immeubles loués et les hôtels particuliers sont divisés en parties individuelles et parties communes, la norme officielle des logements collectifs étant d’une chambre par famille (malgré la norme, c’était parfois seulement un « coin » d’une chambre), et d’une cuisine et une salle d’eau pour cinq ou six familles.
Ce n’est qu’à partir des années 1930 que commence la construction des fameux immeubles staliniens le long des grandes avenues. Seules les familles de Nomenklatura (ministres, membres haut placés du Parti communiste, scientifiques, etc.) obtiennent un logement dans ces immeubles.
C’est en 1935 qu’est conçu le Plan général de Moscou, devenu la base du développement urbain jusqu’à aujourd’hui, avec la structure de son métro.
Plan du métro de Moscou de Kaganovitch, phase 1 et 2.
Les krouchtchovki
Krouchtchovki à Moscou.
Sous Khrouchtchev (1956), puis ensuite sous Brejnev, suite à la croissance très importante de la population de Moscou dans la période de l’après-guerre, on construit une grande quantité de krouchtchovki, petits immeubles de cinq étages sans ascenseur, mais aptes ˆ héberger les nouveaux habitants. Les krouchtchovki proposent normalement 30 mètres carrés par famille, dans un « deux-pièces ».
Tous les projets sont rigoureusement identiques, le seul but étant de construire un grand nombre de logements bon marché afin de donner des logements individuels à des familles. Cette politique est très appréciée de la population, qui partageait auparavant des logements communs (appelés kommounalki ), à deux à quatre familles par appartement.
Propriétaires et locataires
Le régime de Boris Eltsine décide de privatiser les logements, en les donnant gratuitement aux occupants. Apparaissent ainsi des propriétaires et, plus lentement, des locataires. Ce qui explique une réalité inhabituelle pour nous : les propriétaires ne constituent pas forcément une classe plus aisée que les locataires, les premiers ayant pu posséder leur appartement à peu de frais, tandis que les seconds doivent être capables de payer des loyers assez élevés. Mais la question de l’entretien des parties communes reste souvent en suspens.
Les propriétaires ne constituent pas une classe plus aisée que les locataires
Aujourd’hui, ce sont les services publics qui gèrent les espaces communs intérieurs et extérieurs. La loi n’est pas encore adaptée à ce type de situation, et les vraies copropriétés qui fonctionnent à l’occidentale, avec entretien des parties communes, sont évaluées à 1 % seulement du parc total.
Cela dit, l’intérieur des appartements actuels est d’une qualité bien meilleure que ce que laisse penser l’approche de l’appartement. Les beaux appartements du centre-ville s’échangent pour des prix au mètre carré comparables aux prix londoniens.
Un frein au changement
Par rapport aux habitudes occidentales, Moscou présente donc un cas très différent, avec notamment un frein considérable au changement de résidence, donc à l’optimisation du temps de transport du ménage. Il est vrai que le temps n’a pas la même importance à Moscou qu’à Paris, et que, grâce au téléphone, les voitures deviennent une extension des bureaux.
Il reste toujours une part importante de personnes mal logées, notamment les personnes immigrées qui viennent chercher du travail dans le marché de l’emploi le plus dynamique du pays.
Plan de Moscou, 1739.
Datchas et appartements
La construction neuve à Moscou se fait en général sous deux formes, la forme datcha, avec son terrain, et la forme appartement, dans des immeubles de grande hauteur. Idéalement, un ménage aisé possède l’un et l’autre. La rudesse des hivers russes pousse à l’habitat central, bien chauffé et situé dans des zones bien déneigées.
D’où un habitat en hauteur, regroupé par paquets urbains de forte densité, et des datchas. Le prix du terrain pousse également à la densification, ainsi que le coût élevé des réseaux, à la charge du promoteur.
Cela contribue à la construction des immeubles « typiques » de qualité moyenne, car les promoteurs font souvent des économies sur les matériaux de construction.
Des logements communs
Les kommounalki ont continué d’exister dans les grandes villes soviétiques jusqu’aux années 1980. La mairie payait la quasi-totalité de l’ensemble des charges liées au logement (construction et fonctionnement). Les appartements étaient « assignés » aux familles, qui n’en étaient ni propriétaires ni locataires (pas de loyer, juste des taxes sur les fluides).
Le Grand Moscou
L’agglomération de Moscou est immense et ne dispose que partiellement d’un réseau de transports à la hauteur des besoins et des ambitions de la capitale. Moscou a vu sa surface plus que doubler suite au rattachement à la capitale russe de territoires situés au sud-ouest, un espace baptisé Grand Moscou.
Conçu de façon concentrique, avec des radiales correspondant aux axes routiers reliant Moscou aux capitales historiques (Saint-Pétersbourg, Minsk, Kiev, Iaroslavl, Nijni Novgorod), le plan de l’agglomération actuelle est aisé à comprendre. Autour du Kremlin se trouvent successivement l’anneau de boulevards (1,6 km de rayon), puis l’anneau de jardins (3 km), puis le troisième anneau, à 5 km, qui délimite la zone dense et chroniquement embouteillée. Un grand périphérique de deux fois cinq voies et 108 km de long (le MKAD) se trouve à 15 km du centre-ville et entoure le Moscou actuel (hors son extension récente).
Enfin, la route dite betonka est, pour le moment, le dernier anneau, à 45 km du Kremlin. Cet anneau sera transformé en un nouveau périphérique de grande capacité : le TsKAD, qui fera 600 km de long.
Les trains de banlieue (elektritchki), un réseau de bus et trolleys complètent le réseau actuel du métro (180 stations et 12 lignes). Du MKAD vers le centre de Moscou, le temps de trajet est de l’ordre de trente minutes pour atteindre l’anneau de jardins, et ensuite tout est possible, de quinze minutes à deux heures, pour les 5 derniers kilomètres.
Expansion de Moscou, 1952–2013.
Le centre financier de la Russie
Moscou occupe une place essentielle dans l’économie russe. La mégapole, au sens le plus large, produit 27 % du PIB total de la Fédération de Russie, pour environ 17 millions d’habitants sur 143 millions au total, soit 13% seulement de la population russe.
Un pôle majeur pour les investissements étrangers
Après sept décennies de communisme, et depuis 1989, Moscou s’est progressivement transformée en « géante capitaliste » et prend une place de choix dans l’économie mondiale. Aujourd’hui, la ville est le centre financier de la Russie et un pôle majeur pour les investissements étrangers.
Au cours de ces dernières années les investissements étrangers y ont dépassé 50% du montant total des investissements étrangers en Russie.
D’importantes surfaces à construire
Le coût de la vie
On observe une croissance plus rapide à Moscou que dans les autres régions, de l’ordre de 1,5 fois. Les écarts socioéconomiques sont devenus considérables. Une part de la population moscovite s’est fortement enrichie tandis que l’augmentation du coût de la vie a aggravé les conditions de vie des plus modestes. Le coût de la vie à Moscou est plus du double de ce qu’il est dans les autres villes russes, les salaires sont presque en proportion, sauf pour la maind’œuvre immigrée qui reste encore sous-payée. Les industries ne se développent plus dans l’agglomération mais vont s’implanter à quelques centaines de kilomètres : à Kalouga, Nijni Novgorod, Saint-Pétersbourg, Oulianovsk, Ekaterinbourg, etc.
La métropole devrait croître de 17 millions d’habitants aujourd’hui à 23 millions en 2035. Les surfaces nouvelles à construire sont de l’ordre de 440 millions de mètres carrés pour Moscou et l’oblast. Cela représente 880 milliards de dollars auxquels il faut ajouter 250 milliards de dollars pour les réseaux.
L’investissement annuel total serait alors de 55 milliards de dollars par an, dont probablement un tiers en provenance des budgets publics, bien que la stabilisation des prix de l’énergie, avec le développement du gaz de schiste et le ralentissement économique mondial, ait amené le gouvernement à réduire son ambition pour les trois prochaines années.
Élargir le territoire par le Grand Moscou
Début juin 2011, Dmitri Medvedev avait proposé d’élargir considérablement le territoire de Moscou et de transférer la plupart des institutions d’État au-delà des frontières existantes de la capitale. L’élargissement a été réalisé au 1er juillet 2012. Le transfert hors du centre-ville de quelques institutions est en cours d’étude pour réduire la congestion des transports, et développer des zones d’emplois dans des territoires très peu denses, où il est possible de construire des logements à prix raisonnables et de mettre des services publics.
C’est également pour améliorer la liaison de Moscou avec les régions du Sud-Ouest (zones économiques spéciales) et faciliter la construction des infrastructures.