Moscou en quête de logements et de transports

Dossier : MégapolesMagazine N°691 Janvier 2014
Par Vincent PIRON (68)

En décri­vant Mos­cou, Dide­rot, dans son Ency­clo­pé­die, note : « Cette ville est par­ta­gée en quatre par­ties, dont cha­cune est entou­rée d’une muraille et d’un fos­sé. Elle dépé­rit tous les jours, parce que la plu­part des mai­sons étant de bois, les incen­dies y sont fré­quents, et le czar a défen­du qu’on les rebâ­tit de pierre, afin d’attirer encore mieux les grands et les riches à Saint-Pétersbourg. »

Lorsque Napo­léon enva­hit Mos­cou en sep­tembre 1812 les Mos­co­vites avaient déjà brû­lé la ville avant de l’évacuer.

REPÈRES
Mos­cou a été fon­dée offi­ciel­le­ment en 1147, par Iou­ri Dol­go­rou­ki, pre­mier à construire un mur de bois et un fos­sé pour défendre les habi­tants contre les pillards. Aucun obs­tacle natu­rel impor­tant ne pro­tège la ville, et d’immenses forêts de bou­leaux l’entourent. Il était alors rela­ti­ve­ment aisé d’envahir Mos­cou et de la brû­ler. C’est ce que n’ont pas man­qué de faire les Mon­gols et les Tatars, qui ont domi­né suc­ces­si­ve­ment la région mos­co­vite, jusqu’à l’arrivée de Michel Roma­nov en 1613.
Une rup­ture appa­raît en 1703, lorsque Pierre le Grand, conscient du déve­lop­pe­ment de l’Europe et de l’importance de la marine pour l’indépendance d’un pays, décide de fon­der Saint-Péters­bourg. Mos­cou cesse alors d’être la capi­tale de la Rus­sie, et tous les efforts du tsar se tournent vers la mer Baltique.

Une structure concentrique

De 1813 jusqu’à 1914, le siècle est extrê­me­ment pro­duc­tif en Rus­sie : sciences, arts, tech­niques, culture, archi­tec­ture, c’est un fes­ti­val de moder­nisme et de créa­ti­vi­té, tant à Saint- Péters­bourg qu’à Mos­cou. Les construc­tions en brique se géné­ra­lisent. Mos­cou a tou­jours connu une struc­ture cir­cu­laire. Il exis­tait autour du Krem­lin des quar­tiers d’artisans (slo­bo­di), autour des­quels on construi­sait des murs.

La struc­ture de la ville actuelle a conser­vé ce prin­cipe concen­trique. La com­bi­nai­son d’un pou­voir poli­tique abso­lu, des incen­dies suc­ces­sifs et de l’immensité de la plaine russe a don­né la pos­si­bi­li­té aux archi­tectes de pro­fi­ter d’un espace libre sans limites pour don­ner de l’espace et du volume à leurs ouvrages : aujourd’hui bou­le­vards, espaces verts, loge­ments, bureaux et palais sont imbriqués.

Une répar­ti­tion de zones urbanisées
Avant l’incendie de Mos­cou par Napo­léon, la ville héber­geait 270 000 habi­tants. Puis la popu­la­tion décroît jusqu’à 215 000 en 1813, pour remon­ter pro­gres­si­ve­ment : 241 000 en 1825 et 350 000 en 1840. C’est encore une petite ville, qui n’atteindra le mil­lion d’habitants qu’en 1897. Au XXe siècle, Mos­cou s’affirme suc­ces­si­ve­ment comme la capi­tale éco­no­mique de la Rus­sie, de l’URSS, puis de la Rus­sie avec une dimen­sion mondiale.
Aujourd’hui, la popu­la­tion du Grand Mos­cou est d’environ 17 mil­lions d’habitants, au-delà des 12 mil­lions recen­sés dans les strictes limites admi­nis­tra­tives. Le sys­tème se com­pose de zones urba­ni­sées denses, sépa­rées par des espaces verts impor­tants, et d’un réseau de dat­chas capables d’héberger 5 mil­lions d’habitants.

Construire des axes routiers

Lénine, crai­gnant une pos­sible inva­sion étran­gère, aban­donne Saint-Péters­bourg et trans­fère le siège du gou­ver­ne­ment à Mos­cou en mars 1918. La popu­la­tion y afflue. L’his­toire raconte que, le 6 jan­vier 1931, Mos­cou était tota­le­ment para­ly­sée à cause du tra­fic. Ni tram­ways, ni bus, ni calèches, ni taxis ne pou­vaient plus circuler.

D’où, en par­tie, la déci­sion de construire des axes rou­tiers très larges et de com­men­cer la construc­tion du métro. Offi­ciel­le­ment, le début de son creu­se­ment date de novembre 1931.

La crise du logement

Lits et coins
Le terme​« appar­te­ments de lits et de coins » désigne des locaux, loués par por­tions, géné­ra­le­ment atte­nantes à un mur ou à un angle d’une pièce (« coin »), les­quels cepen­dant pou­vaient se mul­ti­plier à volon­té par des cloi­sons sup­plé­men­taires et des para­vents, ou encore par « lits ».

Le loge­ment a tou­jours été, et reste encore, un sujet endé­mique. Dans la Rus­sie tsa­riste du début du XXe siècle, en pleine indus­tria­li­sa­tion, la crois­sance atteint 50 000 per­sonnes par an. La crise du loge­ment, l’un des pro­blèmes majeurs du début de l’é­poque bol­che­vique, était de fait déjà aiguë avant la révo­lu­tion de 1905.

D’a­près le recen­se­ment de 1899, 15 % des loge­ments à Mos­cou sont des appar­te­ments de sous-sol et « de lits et de coins ». Sous-sols, lits de coin et asiles abritent alors 20 % de la popu­la­tion moscovite.

Les immeubles staliniens

Le loge­ment reste encore un sujet endémique

Au début de la période com­mu­niste, dès 1918, les appar­te­ments des immeubles loués et les hôtels par­ti­cu­liers sont divi­sés en par­ties indi­vi­duelles et par­ties com­munes, la norme offi­cielle des loge­ments col­lec­tifs étant d’une chambre par famille (mal­gré la norme, c’é­tait par­fois seule­ment un « coin » d’une chambre), et d’une cui­sine et une salle d’eau pour cinq ou six familles.

Ce n’est qu’à par­tir des années 1930 que com­mence la construc­tion des fameux immeubles sta­li­niens le long des grandes ave­nues. Seules les familles de Nomenk­la­tu­ra (ministres, membres haut pla­cés du Par­ti com­mu­niste, scien­ti­fiques, etc.) obtiennent un loge­ment dans ces immeubles.

C’est en 1935 qu’est conçu le Plan géné­ral de Mos­cou, deve­nu la base du déve­lop­pe­ment urbain jus­qu’à aujourd’­hui, avec la struc­ture de son métro.

Plan du premier Métro de Moscou 1935
Plan du métro de Mos­cou de Kaga­no­vitch, phase 1 et 2.

Les krouchtchovki

Krouchtchovki à Moscou. Immeuble de l'époque Khroutchtchev
Kroucht­chov­ki à Moscou.

Sous Khroucht­chev (1956), puis ensuite sous Bre­j­nev, suite à la crois­sance très impor­tante de la popu­la­tion de Mos­cou dans la période de l’a­près-guerre, on construit une grande quan­ti­té de kroucht­chov­ki, petits immeubles de cinq étages sans ascen­seur, mais aptes ˆ héber­ger les nou­veaux habi­tants. Les kroucht­chov­ki pro­posent nor­ma­le­ment 30 mètres car­rés par famille, dans un « deux-pièces ».

Tous les pro­jets sont rigou­reu­se­ment iden­tiques, le seul but étant de construire un grand nombre de loge­ments bon mar­ché afin de don­ner des loge­ments indi­vi­duels à des familles. Cette poli­tique est très appré­ciée de la popu­la­tion, qui par­ta­geait aupa­ra­vant des loge­ments com­muns (appe­lés kom­mou­nal­ki ), à deux à quatre familles par appartement.

Propriétaires et locataires

Le régime de Boris Elt­sine décide de pri­va­ti­ser les loge­ments, en les don­nant gra­tui­te­ment aux occu­pants. Appa­raissent ain­si des pro­prié­taires et, plus len­te­ment, des loca­taires. Ce qui explique une réa­li­té inha­bi­tuelle pour nous : les pro­prié­taires ne consti­tuent pas for­cé­ment une classe plus aisée que les loca­taires, les pre­miers ayant pu pos­sé­der leur appar­te­ment à peu de frais, tan­dis que les seconds doivent être capables de payer des loyers assez éle­vés. Mais la ques­tion de l’entretien des par­ties com­munes reste sou­vent en suspens.

Les pro­prié­taires ne consti­tuent pas une classe plus aisée que les locataires

Aujourd’hui, ce sont les ser­vices publics qui gèrent les espaces com­muns inté­rieurs et exté­rieurs. La loi n’est pas encore adap­tée à ce type de situa­tion, et les vraies copro­prié­tés qui fonc­tionnent à l’occidentale, avec entre­tien des par­ties com­munes, sont éva­luées à 1 % seule­ment du parc total.

Cela dit, l’intérieur des appar­te­ments actuels est d’une qua­li­té bien meilleure que ce que laisse pen­ser l’approche de l’appartement. Les beaux appar­te­ments du centre-ville s’échangent pour des prix au mètre car­ré com­pa­rables aux prix londoniens.

Un frein au changement

Par rap­port aux habi­tudes occi­den­tales, Mos­cou pré­sente donc un cas très dif­fé­rent, avec notam­ment un frein consi­dé­rable au chan­ge­ment de rési­dence, donc à l’optimisation du temps de trans­port du ménage. Il est vrai que le temps n’a pas la même impor­tance à Mos­cou qu’à Paris, et que, grâce au télé­phone, les voi­tures deviennent une exten­sion des bureaux.

Il reste tou­jours une part impor­tante de per­sonnes mal logées, notam­ment les per­sonnes immi­grées qui viennent cher­cher du tra­vail dans le mar­ché de l’emploi le plus dyna­mique du pays.

Plan de Moscou en 1739.
Plan de Mos­cou, 1739.

Dat­chas et appartements
La construc­tion neuve à Mos­cou se fait en géné­ral sous deux formes, la forme dat­cha, avec son ter­rain, et la forme appar­te­ment, dans des immeubles de grande hau­teur. Idéa­le­ment, un ménage aisé pos­sède l’un et l’autre. La rudesse des hivers russes pousse à l’habitat cen­tral, bien chauf­fé et situé dans des zones bien déneigées.
D’où un habi­tat en hau­teur, regrou­pé par paquets urbains de forte den­si­té, et des dat­chas. Le prix du ter­rain pousse éga­le­ment à la den­si­fi­ca­tion, ain­si que le coût éle­vé des réseaux, à la charge du promoteur.
Cela contri­bue à la construc­tion des immeubles « typiques » de qua­li­té moyenne, car les pro­mo­teurs font sou­vent des éco­no­mies sur les maté­riaux de construction.

Des loge­ments communs
Les kom­mou­nal­ki ont conti­nué d’exister dans les grandes villes sovié­tiques jusqu’aux années 1980. La mai­rie payait la qua­si-tota­li­té de l’ensemble des charges liées au loge­ment (construc­tion et fonc­tion­ne­ment). Les appar­te­ments étaient « assi­gnés » aux familles, qui n’en étaient ni pro­prié­taires ni loca­taires (pas de loyer, juste des taxes sur les fluides).

Le Grand Moscou

L’agglomération de Mos­cou est immense et ne dis­pose que par­tiel­le­ment d’un réseau de trans­ports à la hau­teur des besoins et des ambi­tions de la capi­tale. Mos­cou a vu sa sur­face plus que dou­bler suite au rat­ta­che­ment à la capi­tale russe de ter­ri­toires situés au sud-ouest, un espace bap­ti­sé Grand Moscou.

Conçu de façon concen­trique, avec des radiales cor­res­pon­dant aux axes rou­tiers reliant Mos­cou aux capi­tales his­to­riques (Saint-Péters­bourg, Minsk, Kiev, Iaro­slavl, Nij­ni Nov­go­rod), le plan de l’agglomération actuelle est aisé à com­prendre. Autour du Krem­lin se trouvent suc­ces­si­ve­ment l’anneau de bou­le­vards (1,6 km de rayon), puis l’anneau de jar­dins (3 km), puis le troi­sième anneau, à 5 km, qui déli­mite la zone dense et chro­ni­que­ment embou­teillée. Un grand péri­phé­rique de deux fois cinq voies et 108 km de long (le MKAD) se trouve à 15 km du centre-ville et entoure le Mos­cou actuel (hors son exten­sion récente).

Enfin, la route dite beton­ka est, pour le moment, le der­nier anneau, à 45 km du Krem­lin. Cet anneau sera trans­for­mé en un nou­veau péri­phé­rique de grande capa­ci­té : le TsKAD, qui fera 600 km de long.

Les trains de ban­lieue (elek­trit­ch­ki), un réseau de bus et trol­leys com­plètent le réseau actuel du métro (180 sta­tions et 12 lignes). Du MKAD vers le centre de Mos­cou, le temps de tra­jet est de l’ordre de trente minutes pour atteindre l’anneau de jar­dins, et ensuite tout est pos­sible, de quinze minutes à deux heures, pour les 5 der­niers kilomètres.

Expansion de Moscou, 1952-2013.
Expan­sion de Mos­cou, 1952–2013.

Le centre financier de la Russie

Mos­cou occupe une place essen­tielle dans l’économie russe. La méga­pole, au sens le plus large, pro­duit 27 % du PIB total de la Fédé­ra­tion de Rus­sie, pour envi­ron 17 mil­lions d’habitants sur 143 mil­lions au total, soit 13% seule­ment de la popu­la­tion russe.

Un pôle majeur pour les inves­tis­se­ments étrangers

Après sept décen­nies de com­mu­nisme, et depuis 1989, Mos­cou s’est pro­gres­si­ve­ment trans­for­mée en « géante capi­ta­liste » et prend une place de choix dans l’économie mon­diale. Aujourd’hui, la ville est le centre finan­cier de la Rus­sie et un pôle majeur pour les inves­tis­se­ments étrangers.

Au cours de ces der­nières années les inves­tis­se­ments étran­gers y ont dépas­sé 50% du mon­tant total des inves­tis­se­ments étran­gers en Russie.

D’importantes surfaces à construire

Le coût de la vie
On observe une crois­sance plus rapide à Mos­cou que dans les autres régions, de l’ordre de 1,5 fois. Les écarts socioé­co­no­miques sont deve­nus consi­dé­rables. Une part de la popu​lation mos­co­vite s’est for­te­ment enri­chie tan­dis que l’augmentation du coût de la vie a aggra­vé les condi­tions de vie des plus modestes. Le coût de la vie à Mos­cou est plus du double de ce qu’il est dans les autres villes russes, les salaires sont presque en pro­por­tion, sauf pour la maind’œuvre immi­grée qui reste encore sous-payée. Les indus­tries ne se déve­loppent plus dans l’agglomération mais vont s’implanter à quelques cen­taines de kilo­mètres : à Kalou­ga, Nij­ni Nov­go­rod, Saint-Péters­bourg, Oulia­novsk, Eka­te­rin­bourg, etc.

La métro­pole devrait croître de 17 mil­lions d’habitants aujourd’hui à 23 mil­lions en 2035. Les sur­faces nou­velles à construire sont de l’ordre de 440 mil­lions de mètres car­rés pour Mos­cou et l’oblast. Cela repré­sente 880 mil­liards de dol­lars aux­quels il faut ajou­ter 250 mil­liards de dol­lars pour les réseaux.

L’investissement annuel total serait alors de 55 mil­liards de dol­lars par an, dont pro­ba­ble­ment un tiers en pro­ve­nance des bud­gets publics, bien que la sta­bi­li­sa­tion des prix de l’énergie, avec le déve­lop­pe­ment du gaz de schiste et le ralen­tis­se­ment éco­no­mique mon­dial, ait ame­né le gou­ver­ne­ment à réduire son ambi­tion pour les trois pro­chaines années.

Élargir le territoire par le Grand Moscou

Début juin 2011, Dmi­tri Med­ve­dev avait pro­po­sé d’élargir consi­dé­ra­ble­ment le ter­ri­toire de Mos­cou et de trans­fé­rer la plu­part des ins­ti­tu­tions d’État au-delà des fron­tières exis­tantes de la capi­tale. L’élargissement a été réa­li­sé au 1er juillet 2012. Le trans­fert hors du centre-ville de quelques ins­ti­tu­tions est en cours d’étude pour réduire la conges­tion des trans­ports, et déve­lop­per des zones d’emplois dans des ter­ri­toires très peu denses, où il est pos­sible de construire des loge­ments à prix rai­son­nables et de mettre des ser­vices publics.

C’est éga­le­ment pour amé­lio­rer la liai­son de Mos­cou avec les régions du Sud-Ouest (zones éco­no­miques spé­ciales) et faci­li­ter la construc­tion des infrastructures.

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