Rente du contribuable versus rente sans contribuable
Réinventer l’impôt
Ne pouvant inventer d’impôt, réinventons-le. Le repenser, dégager une logique là où ne surnage qu’un inventaire à la Prévert. Ce saupoudrage souligne l’indigence de la réflexion économique, où une fausse créativité consiste à tout taxer. Nulle stratégie ici.
Une fausse créativité consiste à tout taxer, un peu ou passionnément
De même nous cédons à la facilité d’imposer d’abord ce qui est visible et préemptable : l’impôt sur le revenu est surtout un impôt sur le travail, aisément repérable.
Il est moins ardu de détecter un entrepreneur faisant des bénéfices après un bon choix qu’un autre ayant fait des erreurs. Difficile de taxer l’inefficacité ou l’incompétence, si immatérielles.
Taxer les provisions sans chèque
Dans Le Roman d’un tricheur, Sacha Guitry propose de « taxer ceux qui ne dépensent pas leurs revenus, et les provisions sans chèque ». Ce film fut réalisé en 1936, au sortir d’un siècle de rentier roi, tandis que nous sortons d’une longue période de consommation keynésienne. Jacques Rueff, qui s’opposa à Keynes, aurait sans doute critiqué notre propension à taxer l’acte producteur plus que l’acte consommateur.
La résurrection d’impôts ne fournirait qu’un intermède : ostiarium, gabelle, cens (Margaret Thatcher initia sa pool tax qui recréait le cens sous forme de capitation), voire corvée – en germe avec les travaux d’intérêt général décidés par les tribunaux.
La théorie professe que l’impôt idéal, hormis celui qui n’existe pas, ou cyniquement, celui que seul votre voisin paye, est neutre, c’est-à-dire n’induit pas de modification des comportements des agents économiques.
C’est le cas du mécanisme de la TVA inventé par Maurice Lauré, qui ne pénalise ni n’encourage les concentrations d’entreprises.
Cela suppose que le système économique dans son ensemble respecte les mêmes impératifs de pureté. Léon Walras affirmait : « À l’état de concurrence pure et parfaite, le profit est nul. » À l’aune des dividendes versés trimestriellement, nous sommes loin de cette perfection.
REPÈRES
Reste-t-il des impôts n’existant pas, hormis, qui sait, l’impôt sur le crédit d’impôt ? Il en est sur l’eau via la TVA, sur l’air pour les pollueurs, sur la terre par l’impôt foncier, et sur le passage de l’air à la terre (taxe d’aéroport), sur les ondes avec les enchères en téléphonie, sur les idées par les redevances de brevet, sur la naissance (droits d’enregistrement) puis la mort (succession), sur l’occupation d’un espace (taxe d’habitation), sur le fait de stationner (parcmètres) comme de circuler (péages). Il en est sur ce qu’on fait ou ne fait pas, ce qu’on acquiert, possède, loue, cède, transmet, sur ce qui entre, sort, dort, ce que l’on consomme et ne consomme pas : l’affaire chypriote est un noir présage pour l’épargne.
Quel impôt dans une économie « parfaite » ?
Dans l’idéal, un radar routier ne génère aucun revenu car il modifiera le comportement des automobilistes, avec pour aboutissement d’assécher sa propre base. Esquissons une hypothèse improbable, pour par la suite s’en approcher indirectement : « À l’état d’économie pure et parfaite, l’impôt (sur les acteurs économiques) est nul. »
La « rente du contribuable »
Tel emplacement de radar relève-t-il d’une quête de rentabilité sociale (sauver des vies) ou comptable (multiplier les amendes sur une portion incitatrice à l’infraction) ? Le législateur calibre les taux et assiettes afin de trouver un pseudo-optimum. En fait, il mise sur une résistance sociale à l’égard de l’impôt, qui constitue une forme originale d’inélasticité (le conducteur contribuable continue à enfreindre les limitations de vitesse).
L’actuelle philosophie fiscale relève d’un jeu pour deviner combien on peut prélever sans tuer poule et œufs d’or, approche qui explore ses limites avec l’adage Trop d’impôt tue l’impôt.
Jules Dupuit (1822) Dans les annales des Ponts et Chaussées de 1844, Jules Dupuit (1822) écrivait : « Si on augmente un impôt depuis 0 jusqu’au chiffre équivalant à une prohibition, son produit commence par être nul puis croît, atteint un maximum, décroît puis devient nul. »
Ladite courbe de Laffer est un emprunt de Dupuit.
L’expression « rente du contribuable » s’apparenterait à celle de « rente du consommateur » (ou surplus du consommateur), énoncée par Jules Dupuit. Le concept ambigu de rente du consommateur désigne l’écart entre nos tarifs et ce qu’il serait prêt à débourser en plus. La rente du contribuable est ce qu’on aurait pu lui prendre en plus.
C’est là l’univers mental où s’affrontent, en éternels jouteurs, les tenants d’une baisse ou d’une hausse des impôts, à coup de courbes en cloche.
Compromis contre réforme radicale
Ainsi, comme pour un radar, taxer la spéculation se résume à placer le curseur fiscal à un niveau de rentabilité « optimale », mais en laissant perdurer ladite spéculation (la taxe Tobin relève de ce schéma).
Encourager l’innovation
La neutralité de l’impôt favorise-t-elle l’innovation technique ? Probablement pas si la neutralité se contente d’être un équilibre statique. Rappelons les thèses de Maurice Allais : vouloir saisir l’économie à travers la notion d’équilibre est insuffisant. La fiscalité doit épouser tout mouvement voulant dégager des surplus à partir de nos ressources (de nos raretés), jusqu’au seuil final où nul réagencement ne saurait en dégager plus.
Un équilibre à trouver en jouant sur de subtils déséquilibres avec un optimum qui soit un maximum.
Cette attitude de compromis est rarement celle des grands réformateurs : Maurice Allais, lorsqu’il pourfendait les traders spéculateurs, n’envisageait pas de demi-mesure fiscale mais leur éradication, plus encore que Keynes invoquant l’euthanasie du rentier.
Reste à discriminer bonne spéculation (prendre un risque avec son argent personnel) et mauvaise (jouer à découvert), tâche initiée par Paul Volcker et sa « règle Volcker ». L’imperfection de notre économie appelle des impôts ; or ces derniers visent rarement à accoucher d’une économie pure, mais profitent de comportements biaisés, qu’ils légitiment via cette ponction.
Taxer les vraies rentes
La rente du contribuable est ce qu’on aurait pu lui prendre en plus
Une première « imperfection » économique tient à l’existence de raretés immanquables. On peut, dans l’esprit d’un Marcel Boiteux, aboutir à des prix qui disent les coûts, quand les coûts disent – notamment – ces raretés. Lesquelles sont source majeure des rentes, naturelles ou artificiellement entretenues.
Auquel cas la pureté requiert la suppression des rentes, tout au moins leur compensation par l’impôt ou par la loi.
La neutralité appelle une action non neutre, reflet d’une planète dotée en ressources limitées : naturelles (pétrole ; etc.), foncières (terres arables ou à bâtir, etc.), mais aussi monétaires (droit d’émission, etc.).
Un percepteur planétaire
Une émission de monnaie excédant la stricte contrepartie des biens additionnels parallèlement créés (biens réels, non pas les variations de valeur d’origine spéculative) peut se concevoir comme un impôt sur la monnaie, qui détruit une fraction de la valeur des pièces préexistantes, dans une variante de ce que fut le rognage. La Fed est à regarder comme un percepteur de la planète, avec ses 3 milliards de dollars « imprimés » journellement.
Relisez le Traité des monnaies écrit par Nicolas Oresme dès 1366.
La rareté au service de la collectivité
Maurice Allais estimait en 2009 nécessaire de « réduire les impôts injustes, tels que celui sur le revenu qui est antiéconomique (taxer le travail, qui produit des biens, donc se trouve à l’origine des richesses utiles, est un non-sens).
Créateurs de richesse et spéculateurs
Imprimez et donnez un million à un maçon qui bâtira un immeuble, des biens auront été créés mais l’offre ainsi accrue incitera les prix à baisser (et la valeur du patrimoine collectif). Donnez ce million à un spéculateur immobilier, les prix monteront (le maintien de la rareté de l’offre y contribuera) et la richesse collective apparente croîtra en proportion
Pour contrebalancer le manque à gagner, il suffirait de faire bénéficier l’État du privilège régalien de la création monétaire, et d’autre part des rentes de rareté. Il est bon qu’une rente de rareté bénéficie non pas aux propriétaires des choses rares mais à la collectivité. »
Une seconde imperfection économique tient à la répartition spatiale aléatoire des sources de rente. Nous sommes inégaux dans la capacité à produire du gaz ou du dollar.
Taxer le travail, qui produit des biens, est un non-sens
Maurice Allais considérait les différentiels salariaux mondiaux comme une autre rente pour le producteur installé dans les pays à bas salaire. À ses yeux existent des gisements de travail à bas coût (à haut rendement financier), comme il est des gisements de cuivre à ciel ouvert, ou des terres arables à haut rendement. Quiconque contrôle ces richesses en tire une rente. Le pétrole de certains émirats sert à leurs fonds souverains pour acheter des entreprises, le travail de pays à bas salaires sert la vente à bas prix, ruinant des entreprises concurrentes.
Jacques Rueff aurait proposé un système d’ajustement des parités monétaires pour recréer un équilibre. Outre l’impossibilité présente pour la France de dévaluer, Maurice Allais pensait que cette option à moyen terme nous verrait industriellement morts entretemps.
Déplacer le centre de gravité du système fiscal
Propos d’un confiseur
Dans son ouvrage Propos d’O. L. Barenton, confiseur, Auguste Detoeuf (1902) notait : « On défend le consommateur en évitant d’augmenter la rémunération du salarié ; on défend le salarié en chargeant d’impôts le capitaliste ; on défend le capitaliste en vendant cher au consommateur ; et la justice se trouve satisfaite car le salarié, le capitaliste et le consommateur, c’est souvent le même type. » Cela devient faux depuis les délocalisations du capital dans les paradis fiscaux et de l’ouvrier en Asie.
Le ministère du Redressement productif a salué la taxe douanière sur les panneaux photovoltaïques, secteur dévasté. Maurice Allais est un de ceux qui ont proposé cette captation douanière de la rente sur les bas salaires, par des quotas et taxes – source de revenus pour l’État –, incarnant dans son esprit l’arme du juste : une taxe compensatoire objectivement calibrée sur la réalité des écarts salariaux.
Le cumul des revenus tirés de ces diverses rentes n’équivaut pas mécaniquement au total des prélèvements antérieurs, mais un tel repositionnement déplace le centre de gravité du système économique.
Un choix de société s’esquisse entre conserver notre système fiscal fait de traque à la rente du contribuable et autres « optima» ; ou imposer les sources de rente économique, tendant à ce que « à l’état d’économie pure et parfaite, l’impôt (sur les acteurs économiques) soit nul ».
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Un contribuable écrasé sous les taux
Mais qu’attend-on pour défricher le maquis des taux de nos élus locaux ? En Rhône-Alpes les taux totaux (oui, la somme des taux communaux, syndicaux, intercommunaux, départementaux et régionaux) des taxes d’habitation 2010 s’échelonnaient (de 1 à 6,56) depuis 4.93% à Saint-Colomban-des-Villards(73) jusqu’à 32.37% à Oullins(69).
En Ile-de-France, l’éventail des taux totaux des taxes foncières se répartissait (de 1 à 7,44) entre 9.03% à Neuilly-sur-Seine (92) et 67.21% Bussy-Saint-Georges(77) Le cas de Neuilly constitue un record avec la sixième place parmi nos 36 682 communes, après deux communes impénétrables de Guyane, une commune fictive de l’Ariège et les îles de Sein et de Molène où les taxes foncières sont nulles car inexistantes !
Les taux de nos impôts locaux : http://julien-de-prabere.fr
Théoriquement assis sur des valeurs locatives, les taux effectifs de nos impôts locaux résultent pour l’essentiel de besoins disparates cumulés de nos nombreuses collectivités. Comment réhabiliter nos banlieues en y défavorisant l’investissement immobilier avec des impôts fonciers élevés ? Comment dissuader les constructions près des centrales nucléaires, établissements dangereux où même aéroports bruyants si les impôts locaux y sont plus faibles qu’ailleurs ? Comment oser évoquer l’aménagement du territoire et plus encore l’égalité des territoires avec de telles disparités ? Comment nos parlementaires et ministres peuvent-ils laisser perdurer des décennies d’impérities de Bercy et Beauvau ?
Plutôt que de continuer à empiler les besoins de nos nombreuses collectivités, confions à nos élus régionaux le soin de répartir, entre des collectivités diverses et variées, un impôt local mieux assis les réalités des territoires que des valeurs de marchés ou des sommes de besoins de politiques de clochers ? De meilleurs fondements pour assoir nos quatre vieilles :
http://julien-de-prabere.fr/equite_des_territoires.pdf