Stratégie de Sourcing – l’approche contractuelle

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°618 Octobre 2006
Par Tru DÔ KHAC (79)

La pra­tique domi­nante de gou­ver­nance de l’ex­ter­na­li­sa­tion est fon­dée sur l’a­na­lyse de pro­ces­sus à par­tir de laquelle le péri­mètre exter­na­li­sable est déter­mi­né. Nous pro­po­sons une approche de gou­ver­nance ortho­go­nale basée sur l’a­na­lyse des rela­tions client-fournisseur.

L’ex­ter­na­li­sa­tion (out­sour­cing) des acti­vi­tés éloi­gnées du cœur de métier est, au même titre que le re-engi­nee­ring des pro­ces­sus, une pra­tique recon­nue en ges­tion d’en­tre­prise. Selon le Baro­mètre Out­sour­cing 2005 [3], 96 % des diri­geants d’en­tre­prise déclarent savoir ce qu’est l’out­sour­cing même si 35 % annoncent ne pas y recou­rir. La res­tau­ra­tion, le trans­port, la flotte auto­mo­bile et la main­te­nance appli­ca­tive sont les acti­vi­tés les plus externalisées.

En confiant à un pres­ta­taire externe une acti­vi­té récur­rente aupa­ra­vant réa­li­sée en interne, les diri­geants d’entre­prise cherchent d’a­bord à réduire les coûts. Pour répondre à ces exi­gences, cer­tains pres­ta­taires, en sys­tèmes d’in­for­ma­tion notam­ment, ont délo­ca­li­sé mas­si­ve­ment la pro­duc­tion de cer­tains ser­vices dans des pays où, à com­pé­tences égales, le coût du tra­vail est infé­rieur : Europe de l’Est, Inde, Chine…

Ain­si, dans le monde glo­ba­li­sé des sys­tèmes d’in­for­ma­tion, les gise­ments de pro­duc­ti­vi­té de l’out­sour­cing sont d’ores et déjà exploi­tés par les pres­ta­taires : une récente enquête IDC-Uni­log mon­trait1 que lors de la phase finale d’un appel d’offres, l’é­cart des prix entre les concur­rents était infé­rieur à 2 % dans la moi­tié des cas. Dès lors, des cri­tères secon­daires tels que la qua­li­té de ser­vice ou la confiance dans le pres­ta­taire deviennent déterminants.

Assurer la confiance

La qua­li­té de ser­vice est l’ob­jet d’en­ga­ge­ments de la part du pres­ta­taire qui les confirme dans un contrat de ser­vice (Ser­vice Level Agree­ment2, SLA). Pour chaque ser­vice appar­te­nant au cata­logue de ser­vices, des niveaux de qua­li­té sont défi­nis et asso­ciés à des moyens de mesure. Cela sera par exemple un niveau de dis­po­ni­bi­li­té ou un délai de livrai­son. Toute défaillance entraîne le paie­ment de pénalités.

La confiance se tra­duit par un deuxième type d’ac­cord dési­gné par Ope­ra­tion Level Agree­ment3 (OLA) qui fixe les objec­tifs de per­for­mance des res­sources pro­dui­sant les ser­vices. Par exemple, les OLA peuvent dési­gner une capa­ci­té en réserve. Ce peut être aus­si un temps de tran­sit d’un maillon inter­mé­diaire d’une chaîne de com­mu­ni­ca­tion. En défi­nis­sant des OLA, le pres­ta­taire accepte une cer­taine trans­pa­rence sur son usine de pro­duc­tion de ser­vices, ce qui per­met à son client de mieux appré­cier les risques de la four­ni­ture. Ain­si une capa­ci­té de ser­vice insuf­fi­sante crée un risque de dépas­se­ment des délais de livrai­son en cas d’un accrois­se­ment sou­dain du volume de ser­vice. Si un man­que­ment n’est pas sanc­tion­né direc­te­ment et immé­dia­te­ment (ce sont des objec­tifs), il consti­tue néan­moins une alerte qui incite le pres­ta­taire à s’a­mé­lio­rer afin de gar­der la confiance du client et, à terme, de sécu­ri­ser le renou­vel­le­ment du contrat. Certes, il existe quelques effets de bord : une demande par le client de rabais des prix au motif d’une amé­lio­ra­tion sen­sible des per­for­mances, une dif­fu­sion d’une infor­ma­tion sen­sible à la concurrence…

Dès lors, il faut régu­ler cette confiance. Les arran­ge­ments de gou­ver­nance de ser­vice, que nous avons dési­gnés par Gover­nance Level Agree­ment®4 (GLA), cap­turent les dis­po­si­tifs de ges­tion de la vie des ser­vices et des res­sources. Le pres­ta­taire et le client conviennent de gérer conjoin­te­ment les SLA et les OLA. Afin de faire inter­opé­rer leurs orga­ni­sa­tions res­pec­tives qui par­fois dif­fèrent nota­ble­ment5, le pres­ta­taire et le client arrangent des inter­faces spé­ci­fiques. Il faut aus­si pré­voir des dis­po­si­tifs de sécu­ri­té (confi­den­tia­li­té, auto­ri­sa­tion d’ac­cès, etc.) qui, jus­qu’à pré­sent étaient lar­ge­ment res­treints au péri­mètre juri­dique de l’en­tre­prise, doivent s’é­tendre aux deux par­te­naires. Nous dési­gnons le trai­té de sécu­ri­té de ser­vice ain­si for­mé par Defense Level Agree­ment®4 (DLA). La fusion Alca­tel Lucent en donne une bonne illus­tra­tion en pré­voyant un trai­te­ment spé­ci­fique des Bell Labs…

Ain­si, une bonne gou­ver­nance du pres­ta­taire asso­ciée à un cadre sécu­ri­taire appro­prié doit garan­tir une four­ni­ture de ser­vice conforme aux besoins de l’en­tre­prise cliente mais aus­si une mobi­li­sa­tion des res­sources pro­duc­trices de ser­vice en phase avec la stra­té­gie de l’en­tre­prise cliente.

Organiser la confiance

On peut orga­ni­ser les res­sources de pro­duc­tion de ser­vice en un pro­cess model à trois com­po­santes : la ges­tion, le front-office et le back-office.

Le back-office recouvre les acti­vités de construc­tion et de main­te­nance de l’u­sine à pro­duire des ser­vices. On y trouve les acti­vi­tés d’in­gé­nie­rie tech­no­lo­gique, d’ad­mi­nis­tra­tion de la chaîne logis­tique, de déploie­ment et de main­te­nance de l’in­fra­struc­ture de pro­duc­tion. Le front-office ras­semble les acti­vi­tés qui apportent le ser­vice aux uti­li­sa­teurs : com­mande fac­tu­ra­tion, sup­port aux uti­li­sa­teurs, trai­te­ment des récla­ma­tions et des déran­ge­ments, acti­va­tion et assu­rance du ser­vice. Enfin, la ges­tion pilote le front-office et le back-office : pré­vi­sion des demandes et esti­ma­tion des besoins, spé­ci­fi­ca­tion et concep­tion des ser­vices, arbi­trage tech­ni­co-éco­no­mique, tari­fi­ca­tion, dimen­sion­ne­ment de l’in­fra­struc­ture et ges­tion du patri­moine6.

Pour un ser­vice don­né, on peut confier à un pres­ta­taire (1) le back-office, (2) le back-office et le front-office, ou (3) l’en­semble du pro­cess model. Lorsque le back-office est exter­na­li­sé, le pres­ta­taire pro­duit pour le client les mêmes ser­vices que pro­dui­raient des res­sources propres à l’en­tre­prise. Le client a recours à une infra­struc­ture pri­vée vir­tuelle. Lorsque le péri­mètre d’ex­ter­na­li­sa­tion est éten­du à l’en­semble du pro­cess model, il délègue la ges­tion du ser­vice à son pres­ta­taire qui devient son opé­ra­teur pri­vé vir­tuel de services.

La nature de cette délé­ga­tion peut se carac­té­ri­ser en termes éco­no­miques. Il suf­fit de consi­dé­rer la for­mule sui­vante qui pose que le prix d’un ser­vice glo­bal défi­ni par un cata­logue de ser­vices est égal à la somme des pro­duits des prix uni­taires par leurs quan­ti­tés respectives.

Prix total = Σ prix uni­taire x quantité

Trois cas peuvent se présenter :
1) les prix uni­taires et leurs quan­tités sont déterminés,
2) les prix uni­taires sont déter­mi­nés tan­dis que leurs quan­ti­tés res­tent indéterminées,
3) et seul le prix total est fixé.

Mettre en œuvre la confiance

L’exa­men des grands7 contrats de four­ni­ture plu­ri­an­nuelle de ser­vices de télé­com­mu­ni­ca­tions sug­gère cer­tains ali­gne­ments entre les plans rela­tion­nels, orga­ni­sa­tion­nels et éco­no­miques [1]

En sous-trai­tance sélec­tive de ser­vices, le client reste le maître d’œuvre de son réseau pri­vé qu’il consti­tue en inté­grant divers élé­ments de ser­vice avec ses res­sources propres. À la signa­ture du contrat, les ser­vices sous-trai­tés sont géné­ra­le­ment pré­dé­fi­nis par le pres­ta­taire, sont l’ob­jet de SLA, ont un prix uni­taire fixé et leurs volumes de four­ni­ture sont prévus.

En maî­trise d’ou­vrage d’un Vir­tual Pri­vate Net­work, le client en four­nit les spé­ci­fi­ca­tions, à la charge du pres­ta­taire d’en réa­li­ser l’in­gé­nie­rie et la main­te­nance en mobi­li­sant ses res­sources de back-office. Les ser­vices four­nis par le VPN sont pré­dé­fi­nis dans un cata­logue de ser­vices ; en revanche, les quan­ti­tés sont indé­ter­mi­nées ; des OLA peuvent être définis.

Régimes contrac­tuels (BLA)
Régime contrac­tuel Sous­crip­tion de ser­vices catalogue Maî­trise d’ouvrage d’une infra­struc­ture pri­vée vir­tuelle de services Admi­nis­tra­tion d’un opé­ra­teur pri­vé vir­tuel de services
Prix uni­taire des services Déter­mi­né Déter­mi­né Indé­ter­mi­né
Quan­ti­té des services Déter­mi­née Indé­ter­mi­née Indé­ter­mi­née
Méca­nismes de contrôle de la prestation Enga­ge­ment de qua­li­té de ser­vice (SLA)
Trai­té de sécu­ri­té de ser­vice (DLA)
Enga­ge­ment de qua­li­té de ser­vice (SLA)
Objec­tifs de per­for­mance des res­sources (OLA)
Trai­té de sécu­ri­té de ser­vice (DLA)
Arran­ge­ments de régu­la­tion de ser­vice (GLA)
Trai­té de sécu­ri­té de ser­vice (DLA)

Enfin, en admi­nis­trant un Vir­tual Pri­vate Ope­ra­tor ®4, le client confie au pres­ta­taire un man­dat de ges­tion, lui fixe le bud­get (prix total) dont il assure la gou­ver­nance par des GLA.

La chaîne de valeur for­mée entre l’en­tre­prise cliente et son pres­ta­taire pré­sente une géo­mé­trie variable. Au centre, il appa­raît un maillon vir­tuel dont les res­sources sont répar­ties entre les deux par­te­naires et agen­cées sui­vant trois régimes contrac­tuels que nous dési­gnons par Balan­ced Level Agree­ment ®4 (BLA) :

• la sous­crip­tion de ser­vices cata­logue pré­dé­fi­nis par un prestataire,
 la maî­trise d’ou­vrage d’une infra­struc­ture pri­vée vir­tuelle pro­duc­trice de services,
 l’ad­mi­nis­tra­tion d’un opé­ra­teur pri­vé vir­tuel de services.

Les Balan­ced Level Agree­ment remettent au centre de l’ex­ter­na­li­sa­tion la rela­tion client-fournisseur.

De nature contrac­tuelle, leur logique renou­velle les approches clas­siques de l’ex­ter­na­li­sa­tion sous-ten­dues par l’a­na­lyse de pro­ces­sus. Selon ces der­nières, on déter­mine le péri­mètre d’exter­na­li­sa­tion en sépa­rant les pro­cess qui seront conser­vés en interne de ceux qui seront exter­na­li­sés. Sui­vant l’im­por­tance du péri­mètre, on qua­li­fie­ra l’ex­ter­na­li­sa­tion d’o­pé­ra­tion­nelle, tac­tique ou stra­té­gique. Notons aus­si que dans un contexte d’une glo­ba­li­sa­tion crois­sante, on voit appa­raître des approches plus sophis­ti­quées qui leur asso­cient la loca­li­sa­tion géo­gra­phique des res­sources (on-off­shore).

En adres­sant simul­ta­né­ment l’orga­ni­sa­tion, les rela­tions client-four­nis­seur et l’é­co­no­mie d’une exter­na­li­sa­tion, les régimes contrac­tuels consti­tuent un ins­tru­ment de gou­ver­nance. Leur mise en scène dans des modèles d’af­faires adap­tés au type de ser­vice (Web ser­vices, appli­ca­tions, télé­com­mu­ni­ca­tions…) peut notam­ment appor­ter un meilleur pilo­tage des rela­tions client-four­nis­seur, une meilleure mobi­li­sa­tion des res­sources des deux par­ties et, fina­le­ment, une meilleure per­for­mance éco­no­mique globale.

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1. Avril 2006.
2. Terme défi­ni notam­ment par l’I­TIL (Infor­ma­tion Tech­no­lo­gy Infra­struc­ture Library).
3. L’ITIL défi­nit l’O­pe­ra­tio­nal Level Agree­ment. Ce sont des accords pas­sés entre des enti­tés internes au pres­ta­taire dont la com­po­si­tion assure les SLA qui sont des accords externes.
4. Marque enre­gis­trée, éga­le­ment sous la pro­tec­tion des droits d’au­teur [1].
5. Par exemple, une logique d’orga­ni­sa­tion géo­gra­phique ver­sus une orga­ni­sa­tion sui­vant des lignes de produits.
6. Le lec­teur aura noté que ce modèle reprend le prin­cipe de la chaîne de valeur de Michael Por­ter [2] mais s’en écarte nota­ble­ment, le modèle de Por­ter dis­po­sant des acti­vi­tés pri­maires (acqui­si­tion des matières pre­mières, opé­ra­tions de trans­for­ma­tion, de dis­tri­bu­tion, de vente et de sup­port après-vente) et des acti­vi­tés de sou­tien (R & D, achat, ges­tion des res­sources humaines et admi­nis­tra­tion générale).
7. Supé­rieurs à 100 M€.

Références

[1] L’ex­ter­na­li­sa­tion des télé­coms d’en­tre­prise – L’O­pé­ra­teur Pri­vé Vir­tuel, Tru Dô-Khac, Her­mès Lavoi­sier, 2005. Ana­lyse de Quoc-Anh Tran (62) dans le n° 608 de La Jaune et la Rouge, octobre 2005.
[2] L’a­van­tage concur­ren­tiel, Michael Por­ter, 1986, Intereditions.
[3] Baro­mètre Out­sour­cing 2005, Ernst & Young, IFOP, mai 2005.

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