Acculturer l’entreprise à l’intelligence artificielle : l’efficacité du jeu sérieux
Les serious games, ou jeux sérieux, ne sont pas que ludiques, comme leur nom l’indique, ils trouvent une application très efficace dans l’acculturation à l’intelligence artificielle non seulement des cadres mais aussi des comités de direction au sein des entreprises.
La plupart des entreprises ont aujourd’hui pris conscience de l’avantage compétitif décisif qu’elles peuvent tirer de l’exploitation de leurs données par des algorithmes d’intelligence artificielle. Elles se sont dotées d’infrastructures techniques et de compétences pointues en sciences de la donnée, et pourtant très peu d’entreprises arrivent aujourd’hui à en tirer parti : seulement 12 % selon une étude récente d’Accenture. Pourquoi ? Le frein le plus important est culturel : les métiers ont tendance à considérer que l’IA est un sujet technique qui n’est pas de leur ressort. Or c’est justement le manque d’implication des métiers dans les projets d’IA, qui est la cause majeure de leur échec. Il s’agit d’acculturer l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise à l’univers de la donnée et de l’intelligence artificielle. Mais comment ?
Lire aussi : Définir le cadre normatif d’une IA de confiance dans les entreprises
L’intelligence artificielle nécessite un mode d’acculturation différent
L’intelligence artificielle est un sujet particulièrement vaste et complexe, au croisement des cultures scientifique, technologique, économique, sociologique et philosophique. C’est une discipline en évolution permanente qui commence à peine à être enseignée dans les établissements d’enseignement supérieur, qui requiert plusieurs années d’études ou d’expérience pour être maîtrisée, et les meilleurs experts ne maîtrisent chacun qu’une facette de l’IA. Dans le même temps, l’intelligence artificielle est extrêmement médiatisée et présentée sous un jour tantôt miraculeux, tantôt anxiogène. Les romans et films de science-fiction, les médias télévisés ou sur internet et le marketing quelquefois exagéré de certaines entreprises ont imprimé dans l’esprit de la plupart des personnes de l’entreprise des contre-vérités et des a priori qui peuvent créer de la défiance ou au contraire un optimisme démesuré.
“Créer la confiance et diffuser le juste niveau de connaissances en IA.”
L’enjeu de l’acculturation à l’IA est donc d’abord de déconstruire les idées reçues, de fournir un socle de connaissances accessible à tous et de créer les conditions pour que les collaborateurs de l’entreprise partagent et construisent une culture commune. Les méthodes d’acculturation classiques manquent d’efficacité pour relever ce défi. Les conférences d’experts sont trop descendantes et peuvent renforcer le sentiment de défiance. Elles sont aussi trop courtes pour donner au public un socle de connaissances réellement utile. Les formations plus longues, sur un ou plusieurs jours, permettraient de lever ces barrières, mais elles ne peuvent pas être dispensées à l’ensemble des collaborateurs dans des délais et des budgets raisonnables. Comment, sur de courtes séquences de temps, créer la confiance et diffuser le juste niveau de connaissances en IA à des collaborateurs qui ont des cultures personnelles très diverses ?
On prendra trois exemples de jeux sérieux qui sont très utiles pour l’acculturation à l’IA.
Le jeu sérieux : un outil d’acculturation à l’efficacité prouvée
La vocation d’un jeu sérieux est de rendre attrayante la dimension sérieuse d’un apprentissage par une activité ludique… Dans la forme, ce peut être un jeu de cartes, un jeu de société, un jeu vidéo ou toute autre activité ludique. Sur le fond, il s’agit d’atteindre un objectif pédagogique bien précis, comme acquérir une compétence ou permettre l’échange de connaissances. Philippe Lacroix, expert de la formation multimédia, cofondateur et directeur associé du cabinet de conseil IL&DI, nous explique les raisons du succès de cette méthode d’acculturation : « Les jeux sérieux permettent de placer la compréhension d’un sujet dans un univers où les freins à son appropriation sont plus faibles que dans la réalité. Il n’y a pas d’enjeu de réussite immédiate, le droit à l’erreur est assuré par le principe même du jeu. Il y a moins d’objections dans le contexte imaginaire du jeu, par rapport à une approche frontale du sujet et ses impacts dans l’entreprise. Utiliser un jeu sérieux permet donc de contourner les réticences et de lever les a priori négatifs s’ils existent, pour laisser la place à l’échange de connaissances. Cela en fait un outil très adapté au sujet de l’intelligence artificielle. »
Attention toutefois à ne pas transformer la formation en jeu. Bien sûr, l’expérience ludique lève chez l’apprenant la réticence à investir du temps de formation sur un sujet difficile, mais il ne faut pas « se prendre au jeu ». Il est facile d’être séduit par la conception d’un « vrai » jeu avec des règles, des objets, des personnages, des univers… qui détourne à la fois le concepteur de sa mission pédagogique et l’apprenant de ses objectifs d’apprentissage. Le but d’un jeu sérieux est bien de former, pas de jouer. C’est une crainte légitime qui retient souvent les organisations d’opter pour cette modalité d’acculturation. Philippe Lacroix précise : « Le mot jeu peut être repoussoir, voire banni par certaines personnes qui s’interdisent d’associer la formation à une activité considérée comme futile. Accoler sérieux au mot jeu n’est souvent pas suffisant pour faire sauter le verrou. Je préconise généralement de qualifier l’activité de défi ou d’expérience. »
Quel que soit le nom qu’on lui donne, les réticences sont encore plus fortes à utiliser cette modalité avec un comité de direction, plus habitué à des présentations millimétrées d’étude de marché et de positionnement concurrentiel. Les dirigeants ont pourtant tout autant besoin de déconstruire leurs a priori et de construire une compréhension commune des enjeux de l’intelligence artificielle, pour embarquer toute l’entreprise dans cette voie.
datacraft et son escape game
Le concept d’escape game s’est développé en France depuis les années 2010. Il consiste la plupart du temps à tenter de s’échapper d’une pièce en un temps limité et se pratique par groupe de deux à six participants. Les joueurs doivent chercher des indices disséminés dans une ou plusieurs pièces, puis les combiner pour avancer vers la sortie. datacraft a développé un escape game numérique pour sensibiliser les équipes aux enjeux d’un projet d’intelligence artificielle, au travers d’une aventure immersive et originale. Il se pratique environ en une heure, par équipes de un à six joueurs et peut accepter jusqu’à mille joueurs en parallèle. Les énigmes à résoudre illustrent les facteurs de succès d’un projet d’intelligence artificielle : clairement identifier les besoins métiers, produire des données propres, utiles et comprises dans leur contexte, etc. À la fin de la partie, un debrief vidéo permet de donner aux collaborateurs les messages clés à retenir. L’objectif du jeu est de permettre à chacun, sans minimum de compétences requis, de comprendre les enjeux liés aux projets de données, de donner envie de contribuer à ces projets, de comprendre le rôle que chacun peut avoir dans ceux-là, que ce soit en exprimant au mieux ses enjeux métiers ou en contribuant à une collecte de qualité des données.
Le Jeu de l’IA®, un atelier ludique et collaboratif
Le Jeu de l’IA est un atelier qui propose de découvrir les fondamentaux de l’intelligence artificielle et de réfléchir collectivement à son usage dans l’entreprise. Par équipes de quatre à six personnes, les participants découvrent une trentaine de cartes traitant chacune d’un concept important d’intelligence artificielle et les organisent progressivement pour construire un arbre des connaissances. À intervalles réguliers, le facilitateur intervient pour répondre aux questions, donner des exemples concrets et pratiques en entreprise, et animer le débat entre les participants. À l’issue de cette phase d’appropriation des connaissances théoriques, les participants travaillent sur un cas d’usage réel et doivent expliquer comment le projet a pu être mené (quel type d’IA ? quelles données ? quels impacts ?…). Enfin, dans une dernière phase de l’atelier, les participants imaginent ensemble des cas d’application de l’IA dans leur métier et repartent chacun avec une idée de projet concret formalisée. À l’issue de l’atelier, les participants ont assimilé les concepts fondamentaux et les enjeux de l’IA pour l’entreprise, ils sont capables d’identifier des cas d’application dans leur quotidien opérationnel et ils sont prêts à s’impliquer dans un projet IA avec des équipes techniques. L’atelier dure un peu moins de quatre heures et existe en présentiel ou en distanciel, et tous les contenus sont mis à disposition gratuitement sous licence Creative Commons pour être déployés de façon autonome en entreprise.
Le Diagnostic Flash IA de confiance de Quantmetry
L’intelligence artificielle présente des risques de différentes natures qui sont autant de freins à son développement : biais discriminatoires, piratage des modèles ou encore pollution numérique. Le régulateur européen a annoncé le 21 avril 2021 une proposition de loi que toutes les entreprises doivent se préparer à respecter. C’est dans ce contexte que Quantmetry propose un diagnostic d’IA de confiance, permettant d’identifier les tâches à accomplir pour rendre un projet fiable au regard de la future loi et de la charte de l’entreprise. Pour éviter de reproduire l’expérience peu réjouissante des audits ISO, Quantmetry a habilement translaté l’exercice des questions-réponses dans un ensemble de cartes à jouer. Pour identifier le type de données utilisées sur le projet, l’animateur présente quatre cartes – données tabulaires, séries temporelles, textes ou images – et les participants choisissent celles qui correspondent à leur projet. L’animateur poursuit avec des questions sur le processus d’entreprise concerné, la tâche à effectuer par l’IA et les risques pour l’entreprise. En l’espace de quelques minutes, le cadre du projet a été établi dans une ambiance ludique. L’animateur passe ensuite en revue les différentes dimensions de la confiance : qualité des données, contrôle des dérives, équité et intelligibilité du modèle, frugalité de l’algorithme, etc. Sur huit thèmes déclinés sur au moins trois cartes chacun, les participants réfléchissent sur des problématiques de confiance dont ils n’avaient pas forcément conscience. À l’issue de la réunion, le diagnostic s’affiche sous une forme très visuelle avec la définition du projet, ce qui a été fait en termes d’IA confiance et ce qu’il reste à faire, par ordre de priorité.
Impliquer aussi les comités de direction !
Les trois exemples ci-dessus illustrent la diversité des approches que permet le jeu : datacraft fournit une expérience ludique extrêmement élaborée, qui permet de toucher un large public ; le Jeu de l’IA propose une expérience collaborative qui crée une culture commune et qui porte vers l’action ; le Diagnostic Flash de Quantmetry utilise le jeu pour faciliter les échanges sur un sujet complexe et à fort enjeu. Le jeu rend le sujet de l’intelligence artificielle plus facile à comprendre, à discuter et à envisager dans l’entreprise, sans pour autant sacrifier le contenu : il permet de diffuser, à tous les niveaux de l’entreprise, le juste niveau de « culture de la donnée » nécessaire au succès de vos projets d’intelligence artificielle. Ne craignez pas d’utiliser cette modalité d’acculturation au plus haut niveau : les comités de direction ont eux aussi besoin de construire une compréhension commune des enjeux de l’intelligence artificielle, pour mieux embarquer toute l’entreprise dans cette voie.
Références :
- https://www.accenture.com/fr-fr/insights/artificial-intelligence/ai-maturity-and-transformation
- https://www.quantmetry.com/barometre-des-directions-data-2021/
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_s%C3%A9rieux
- https://il-di.com/ – ILDI – International Learning & Development Institute
- À propos de l’articulation entre motivation et apprentissage grâce aux facettes du jeu sérieux, voir https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/607186/filename/Marne-Bertrand-EAH2011.pdf
- https://cursus.edu/fr/3301/le-piege-du-jeu-a-tout-prix
- https://datacraft.paris/
- http://www.jeudelia.com
- https://artificialintelligenceact.eu/the-act/
- https://www.quantmetry.com/glossaire/intelligence-artificielle-de-confiance/
2 Commentaires
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Très intéressant
Je suppose que pour soutenir tout cela, il est nécessaire d’évoluer nos infrastructures techniques. Les ordinateurs risquent de rencontrer des difficultés à suivre, et la loi de Moore atteint peu à peu ses limites.