14 may : nouvelle lauréate du 25e concours X Mines Auteurs
Avec 14 May, Brigitte Calot (Mines de Nancy 1990) a remporté le 25e concours X Mines Auteurs (automne 2022) qui avait pour thème : « Les tribulations d’un honnête homme du XVIIe siècle dans la France d’aujourd’hui ». Nous vous proposons ici de découvrir son texte. Nous vous invitons aussi à découvrir L’égaré du village d’Auteuil, de Jean-François Guilbert (X67), qui est arrivé 2e du concours et Hubert, de François-Xavier Martin (X63), arrivé 3e. Les 17 autres nouvelles peuvent être lues sur le site de XMA : http://www.xm-auteurs.com (rubrique « Concours »).
« Je naquis le 14 may 1610. La guérisseuse de nostre village, Aliénor, déclara ceste date maudite qui verrait de grands malheurs pour le roy. Ce mesme jour, nostre bon roy Henri IV mouroit poignardé par un fou1. Si bien qu’en grandissant, à chacun de mes anniversaires, je tremblois que le roy ne meure.
Début may 1643, la rumeur enfla que le roy Louis XIII était très malade, mordu par un renard à la chasse. Je me sentis investi du dessein d’empêcher son trépas et, le 14 may, jour de mon anniversaire, je me précipitai au Louvre. J’avisai alors une étrange vieille femme me faisant signe avec insistance : la guérisseuse Aliénor ! Je travarsois la rue pour la rejoindre lorsqu’un cheval, arrivant au galop, me percuta. Il y eut un hennissement puis une aveuglante lumière.
Je revins à moi au milieu d’une grande clameur. D’énormes cubes de métal se précipitaient sur moi. Je me jetai de côté pour les éviter et remarquai alors, au milieu de la cour du Louvre, une immense pyramide transparente ne ressemblant à rien de connu. De nombreux gentilshommes bizarrement vêtus déambuloient, regardant fixement des sortes de petits miroirs lumineux.
Passée ma frayeur initiale, j’entendis estre, par quelque magie improbable, dans un monde futur foisonnant d’inventions et de machines inconnues aux fabuleux pouvoirs magiques. Nostre Seigneur Dieu m’offrait-il un moyen de sauver mon roy ?
Etourdis, je bousculois un chien qui me mordit violement le mollet avant de s’enfuir. Je tombai au sol, saignant abondamment. Alentour, chacun regardoit fixement son petit miroir, sourd à mes appels du fait de curieux petits bouchons d’oreilles blancs. Drôle d’époque où personne n’aide un honnête homme blessé. J’entendis néanmoins quelqu’un dire à son miroir : « Cours du Louvre… Mordu par un chien ». J’allois me relever lorsqu’arriva une autre gigantesque boite, crachant des feux bleus dans un vacarme du diable.
Deux hommes vêtus de blanc en sortirent qui se mirent à me questionner sur ma mésaventure et mes blessures. Ils s’exprimoient d’une manière curieuse et je n’entendois rien de leur insistante question : « Etes-vous vacciné contre la Rage ? ». Comme je restois coi, l’un d’eux prit un clystère miniature duquel il me piqua le bras avant que je ne puisse réagir. Curieux de cette pratique, je les questionnais sans faiblir.
Ils m’expliquèrent qu’ils m’avaient vacciné contre la rage, maladie transmise par les morsures animales. Les médecins savaient en effet immuniser les gens en leur injectant un peu de matière de la maladie. Assurément, ce prodige pouvait sauver mon roy. Il me falloit l’estudier. Je refusai donc tout net l’offre de me conduire à l’hospital car je n’avais pas une minute à perdre. Aussi m’orientèrent-ils vers une librairie où je pourrai me documenter.
La librairie était immense. Après de longues recherches, j’y trouvai un livre intitulé « Pasteur, inventeur du vaccin contre la rage » que je me mis à lire. Le mot Vaccin avait été inventé par un anglais, un certain Edward Jenner en 17961. L’une des références bibliographiques fit battre mon cœur : « Histoires du 14 mai ». Nous étions le 14 may, ceste date maudite. Cela ne pouvait être une coïncidence !
Je cherchois en vain cet ouvrage. Je hélai un vieil homme qui m’ignora, puis un damoiseau qui fit de mesme. Quelle époque incivile ! Enfin, une damoiselle vint à mon aide. Seules les dames avaient-elles un comportement digne à cette époque ? Elle se mit à utiliser une sorte d’appareil d’imprimerie lumineux qui sembloit lui donner accès à une source infinie d’information. Après un long moment, elle localisa par prodige un exemplaire, propriété d’une excentrique collectionneuse à qui elle parla au travers d’un de ces étranges miroirs, négociant que je consultasse le livre.
A la nuit tombante, j’arrivois à l’adresse qu’elle m’avait indiquée, le Pavillon du Roi Henri IV, rue de Birague. Je fus conduit au travers d’un couloir sombre bordé d’improbables piles de livres jusqu’au plafond. Dans une salle éclairée de chandelles, au centre d’une grande table, se trouvoit l’ouvrage.
Je l’ouvris sans attendre. Il destailloit tous les faits occurrés un 14 May au fil de l’histoire.
J’y trouvois les détails de l’invention du vaccin. En 1796, Edward Jenner avait immunisé un garçonnet, James Philip, l’inoculant, par une incision au bras, d’un peu de pus prélevé sur un bouton de Variole1. Je tenois la maniesre de sauver mon roy et ses descendants !
Parcourant les pages, je découvris aussi la source de ma malédiction. Lors de la bataille de Lewes le 14 may 12641, Aliénor de Provence, épouse du roy Henry III d’Angleterre1, vaincu par Simon de Monfort1, avait maudit ceste date en condamnant deux roys de France à y mourir. Mais, prise de remords, cette pieuse dame avait prédit à cette mesme date une invention qui sauverait des vies.
Deux roys devaient mourir ? J’avais donc échoué et Louis XIII était mort. J’étais glacé mais je détenais un savoir capable de sauver tous les roys à venir !
Soudain, je remarquai à l’entrée de la pièce une vieille dame aux yeux pétillants de jeunesse. Elle ressemblait trait pour trait à la guérisseuse Aliénor. Je balbutiai :
— Vous ? Mais comment est-ce…
— Vous avez une mission.
— Oui, je dois sauver le…
— Non, c’est trop tard puisque vous êtes là.
— Je l’entends. Mais alors quelle…
— Rapportez le savoir pour sauver les suivants. Allez‑y, oust !
— Mais comment ? où …
— Comme tous les héros, là d’où vous venez, avant minuit !
Elle restoit à me regarder sans rien dire, souriant, la tête légèrement penchée, attendant que j’y entende quelque chose. Et soudain je sus : … Au Louvre, je dois retourner au Louvre ! Tout y a commencé ce matin et c’est là que tout va finir ce soir.
Je ne marche pas, je bondis. Je ne bondis pas, je courre. Je ne cours plus, je vole. Dans les escaliers, dans les couloirs, dans les rues, à travers les lampadaires et les objets, les véhicules et les passants. Je traverse sans un regard, je saute les barrières, j’enjambe les ponts. Mes poumons sont en feu, mes jambes sont en pierre.
Il fait nuit noire maintenant. La pyramide de verre éclaire la cour. Où aller ? Tournant la tête, je vois la rue qui vrombit de ces étranges cubes métalliques se déplaçant par magie sans aucun cheval de trait. Alors, je traverse la chaussée et une aveuglante lumière me désoriente.
Lorsque je rouvre les yeux la pyramide de verre a disparu. Je suis revenu en 1643 avecque toute la mesmoire de mes tribulations. Puisque ce roy est mort, c’est maintenant au médecin royal que… »
***
Edward Jenner, sidéré, avait reposé le manuscrit qui, déchiré, s’arrêtait là. De manière improbable, Guillaume Le Monnier, ancien premier médecin du roi Louis XVI1, le lui avait remis en ce 14 mai 1792 car Jenner y était cité. Ce document, vieux de 150 ans, avait permis au médecin d’immuniser le roy Louis XVI contre la Variole dès 17781, le sauvant de la mort qui avait emporté son père, une première en France.
Sur la base du manuscrit, Jenner poursuivit ses travaux. Il était porté par une exaltation fabuleuse. Il avait, effectivement, appelé ce procédé Vaccination, en référence à la Variole de la vache ou Vaccine1. Une version rudimentaire avait sauvé Louis XVI. La Vaccination sauverait d’autres rois et changerait la face du monde !
Après quelques années, Jenner fut prêt à procéder. Il vaccina, avec succès, le fils de son jardinier, un garçonnet de 8 ans, appelé, comme dans le manuscrit, James Philip. C’était en 1796, le 14 mai1.
1. Fait historique.