17 rayons d’espoir : deux alumni à vélo vers 17 objectifs durables
Épisode 4 : Du salar d’Uyuni au parc de Sceaux
Les meilleures choses ont une fin… Nous terminons les aventures de Matthieu Oriot (X18) et Astrid Perchet (Ensta) à vélo de l’Afrique à la Bolivie. Et ils tirent pour nous leurs conclusions de leur périple hors du commun !
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Il est émouvant de revenir sur les derniers mois de notre voyage et d’écrire ces quelques mots sur un canapé bien connu, chez nos parents. Au dernier épisode, nous étions quelque part au milieu de la Bolivie. Mais que s’est-il passé depuis lors ? Du salar d’Uyuni jusqu’au parc de Sceaux, voici le récit de la fin de notre périple.
Vers le salar d’Uyuni
Nous avions laissé nos vélos à Oruro, une ville au bord de l’Altiplano, cette grande étendue plane à plus de 4 000 m d’altitude. Derrière la ville le plateau, peuplé seulement de lamas, de petits buissons verts et de quelques villages éparpillés. À ses côtés, des bourrelets de montagnes qui indiquent la fin du plateau et à ses pieds des vallées, des rocs, des éboulements qui signalent l’entrée brute dans les Andes. Nous partons plein sud, car à une centaine de kilomètres de là nous attend le mythique salar d’Uyuni. C’est un vaste désert de sel, le plus grand du monde. On peut même l’apercevoir sur des vues satellites, tellement sa blancheur est éclatante. Le traverser est un grand classique du voyage à vélo, mais le terme « désert de sel » reste très impressionnant. Alors nous anticipons. Nous étudions la carte pour choisir l’itinéraire le plus adapté. Il nous faut au moins deux jours de vélo pour traverser le désert. Au centre, il y a plusieurs îlots, dont un particulièrement connu. Il s’appelle Incahuasi, surnommé aussi « l’île aux cactus ». Ce sera notre point de chute pour la nuit. Nous espérons ne pas nous perdre, en l’absence totale de points de repère. Nous restons quelques jours en bordure du salar, pour reprendre des forces et nous assurer que nous sommes prêts. Et nous partons. Sensation grisante de vivre une aventure dans l’aventure.
Une mer de sel
En quittant le rivage ocre du volcan Tunupa, nous roulons pour la première fois sur cette mer de sel qui s’étend à perte de vue. Le ciel est très bleu, le sol est très blanc. En y regardant de plus près, l’eau de la saison des pluies s’est évaporée sur le sel en laissant de grands hexagones se former. Lorsque nous roulons dessus, ça croustille ! Matthieu trouve une image très parlante : on dirait le dessus géant d’une tarte au citron meringuée. Après quelques coups de pédale, nous sentons un goût de sel au fond de la gorge à force de respirer les embruns secs. Nous sommes seuls au monde. Et voici que l’on aperçoit Incahuasi sur l’horizon. La perspective nous trompe : alors que nous estimions l’île à un quart d’heure de route, il nous faudra en fait presque une heure pour la rejoindre.
La concentration touristique
Incahuasi est véritablement une île plantée au milieu du sel, recouverte de hauts cactus. L’endroit est magique. Quand nous arrivons, c’est un choc : nous sommes bien loin d’être seuls, puisque des dizaines de 4×4 sont garés au pied de l’île, et autant de touristes se promènent sur les sentiers balisés pour découvrir le salar vu de haut. Le contraste avec la solitude dans le désert est frappante. L’effet de concentration, parce que ce lieu est « à voir », nous interpelle aussi car nous ne sommes pas dans la même temporalité que tous ces voyageurs qui visitent la région d’Uyuni et de Sud Lípez en trois jours. Nous retrouverons cette sensation étrange de décalage à plusieurs reprises dans notre traversée américaine, à chaque passage dans des zones très touristiques, comme dans le nord de l’Argentine par exemple. Qu’à cela ne tienne, nous restons comme prévu sur l’île et demandons l’hospitalité au gardien des lieux, qui nous prête un matelas pour passer la nuit dans cet endroit glacial. Au crépuscule, la foule repart et il ne reste que nous et les cactus de l’île.
Traversée réussie !
Pour la deuxième journée de route, le paysage n’a guère changé et il faut rouler plus de 70 km pour atteindre le bord du salar : c’est plus que n’importe quelle étape depuis que nous avons quitté Dakar. Nous partons de bonne heure, alors que le soleil se lève à peine, plein est, à pleine vitesse. La météo est toujours excellente. Le sel est toujours aussi blanc et le désert toujours aussi vide. Alors, pour la première fois du voyage, nous mettons de la musique pour nous donner du courage et faire passer le temps. Nous faisons aussi quelques arrêts, malgré le froid, pour remettre une triple couche de crème solaire ou prendre des photos. Quand nous arrivons aux rivages du salar, nous découvrons le monument de sel en l’honneur du Paris-Dakar délocalisé en Amérique latine, dont l’arrivée se faisait ici, au bord du désert. Un petit clin d’œil qui rappelle le début de notre périple. Avec la fin du sel reviennent les petits buissons verts et les villages. Nous avons réussi la traversée ! Certes, nous avons beaucoup roulé et l’étape est mythique pour tout cyclotouriste. Mais finalement ce n’était pas si difficile que ça, et nous arrivons à Uyuni bourrés d’engelures mais en pleine forme.
Le long de la route
À la suite de cet épisode marquant, nous avons l’impression que la fin du voyage est déjà proche, alors qu’il nous reste deux mois à l’étranger. Une forme de fatigue s’installe. Le froid des nuits est de plus en plus vif et, si nous savourons chacune de nos soirées au coin du feu sous le ciel étoilé, les nuits sous la tente deviennent dures. Montre en main, il nous faut une demi-heure pour enfiler pyjama, chaussettes, double couche de pulls, pull autour des pieds, sac à viande, bonnet du ventre, duvet, manteau autour des pieds et bouillotte chauffée sur le feu. Imaginez le drame quand il faut aller aux toilettes en pleine nuit… Nous arrivons toujours à dormir, mais les premiers rayons du soleil apportent à chaque fois un soulagement inouï. Aujourd’hui encore, le jour se lèvera et sera là pour nous réchauffer. En conséquence, nous dormons dès que possible en dur. Chaque soir, nous essayons de demander l’hospitalité chez l’habitant, ce qui fonctionne rarement. Sinon, nous visons des alojamientos, de petits motels qui nous permettent de ne pas avoir trop froid la nuit.
L’Argentine, enfin !
Enfin, nous arrivons à la frontière et passons en Argentine. Nous avons choisi notre itinéraire pour arriver jusqu’à Salta, une ville au nord-ouest de l’Argentine. Mais nous nous rendons compte que nous roulons plus vite que prévu. Nous pourrons donc pousser un peu plus loin et rejoindre Cafayate, et même San Miguel de Tucumán. Cet itinéraire, fait un peu par hasard, surtout pour minimiser le dénivelé positif sur notre parcours, nous permet en fait de passer par des régions absolument splendides, sur un itinéraire bien connu dans les provinces de Jujuy et Salta en Argentine. Nous ne nous aventurerons pas à décrire les paysages ici, d’autres l’ont fait avant nous, mais nous dirons simplement que nous nous sommes régalés à traverser les vallées et les gorges aux milles couleurs et à retrouver peu à peu des températures plus douces. Dans la province de Jujuy, nous croisons des manifestations. Ici, pour exprimer un désaccord, les habitants bloquent les routes avec des barrages en palettes de bois et pneus de voiture. La plupart du temps, nous pouvons les contourner en mettant pied à terre : c’est l’avantage de voyager à vélo et pas en voiture ! Mais l’un des barrages est trop bien fermé. Nous voilà obligés d’attendre avec la file de voitures que la route s’ouvre pour nous laisser passer.
La culture sud-américaine comprise en pointillés
À cette occasion, nous discutons de la situation avec une Argentine. Elle est quechua et vit dans un petit village des environs. Un nouveau gouverneur de province vient d’être élu et il a fait passer une réforme de la constitution locale, attribuant la propriété des terres non plus aux habitants mais à la province. Or, dans cette région, la ressource principale est le lithium. Les habitants craignent de se voir enlever leurs terres pour l’implantation de mines, surtout dans un contexte où la demande mondiale pour ce minerai est de plus en plus forte. Plus tard, nous rencontrons un couple d’Argentins venant de la province de Santa Fe, en vacances dans le coin. Avec eux, nous découvrons que l’Argentine est partagée sur le sujet, puisqu’ils voient dans cette réforme un levier pour redresser l’économie en crise du pays. À l’inverse de l’Argentine qui cherche à constituer un État-nation sur le modèle des pays européens, où tous les peuples forment la Nation argentine, la Bolivie se proclame « État plurinational ». La différence est subtile, mais il nous a semblé que la situation des peuples aborigènes était plus paisible en Bolivie qu’en Argentine. Il faut dire que la Bolivie est le seul pays d’Amérique latine où les Indios sont majoritaires. Visuellement, le plus remarquable est qu’en Bolivie deux drapeaux sont reconnus comme officiels : le drapeau bolivien rouge, jaune et vert, avec son blason surmonté d’un condor, et le Wiphala. Ce dernier est un damier aux couleurs de l’arc-en-ciel, chaque couleur ayant une signification. Par exemple, le rouge symbolise la Pachamama (la Terre-mère) et le vert l’économie et la production andine. En Argentine, le Wiphala n’est pas officiel, mais il est aussi utilisé par les communautés aborigènes des Andes pour affirmer leur identité et revendiquer leurs droits. Ce drapeau est si beau que Matthieu décide de l’arborer fièrement à l’avant de son vélo !
Le défi du retour, ou comment bien rentrer
À mesure que nous avançons, les paysages changent : nous arrivons bientôt dans la région viticole de Cafayate, puis nous entamons la dernière montée et le dernier col avant de rejoindre San Miguel de Tucumán. Nous qui voulions minimiser le dénivelé, nous voilà embarqués dans une côte sans fin pour bien terminer notre itinéraire ! Nous emballons nos vélos pour la dernière fois. C’est ici que notre périple américain à bicyclette se termine. Pour autant, nous restons encore un peu sur le continent, puisqu’il nous reste deux semaines avant de rejoindre l’Europe. Nous expédions nos vélos par colis jusqu’à Buenos Aires et profitons de notre légèreté retrouvée pour aller jusqu’aux extraordinaires chutes d’Iguazú, proches de la triple frontière Brésil – Paraguay – Argentine, et y jouer les touristes. Nous qui haussions les sourcils en voyant les nombreux visiteurs du salar d’Uyuni, c’est à notre tour d’être dans la masse des touristes sur ces cascades. Nous revenons ensuite à Buenos Aires où nous attend notre avion. À la veille du retour, nous prenons le temps de faire le point sur ce voyage qui nous aura tellement apporté. Nous passons une après-midi entière à nous raconter mutuellement nos aventures en Afrique et en Amérique et, ensemble, nous passons du rire aux larmes à mesure que nous poursuivons le récit. « Tu te rappelles, ce jour-là, quand nous avons dû faire du stop au milieu de la brousse parce que j’étais malade ? Et cette autre fois, quand le petit Franquito, trois ans, nous a demandé si notre tente était une tortue ? » Et nous réalisons l’ampleur de ce que nous avons vécu. Nous nous interrogeons : comment, au retour, auprès de nos proches ou de ceux qui ne nous connaissent pas, pourrons-nous raconter cette aventure ? Que répondre à ceux qui nous demanderons : « Alors, le voyage, c’était bien ? » De manière très pragmatique, nous avons déjà planifié une arrivée en douceur, puisque nous atterrissons à Londres et que nous pédalerons pendant deux semaines entre Londres et Paris. Pour nous, c’est mieux que d’atterrir directement à Roissy ; nous pourrons reprendre pied tranquillement avec la vie en France. En plus, nos frères et sœur et des amis devraient nous rejoindre pour partager les derniers kilomètres avec nous.
Le gain de la confiance en soi
Et pour la suite, pour le retour au quotidien ? Cette année sur les routes nous aura montré ce dont nous sommes capables. Rouler plus de 5 000 km sur de vieux vélos et apprendre à les entretenir, voilà déjà un défi en soi, et nous réalisons tout juste que nous l’avons accompli. Nous savons aussi maintenant que nous avons confiance dans le fait d’arriver au bout d’un passage difficile, côte ou grosse distance. Bien sûr, ça risque d’être dur, il faudra prendre le temps, prévoir le ravitaillement nécessaire et faire des pauses. Mais ça passera. Et nous remarquons que cette confiance transpire pour la suite de nos vies : nous sommes sereins pour l’avenir, à deux nous parviendrons à avancer. Forcément, un an à dormir sous la tente, avec quatre T‑shirts, en partageant un énorme bouquet de souvenirs communs, ça marque ! Chaque parcelle de vécu nous aura permis de mieux nous connaître l’un l’autre.
“On fait trois voyages. Le premier, c’est la préparation. Le deuxième, c’est le voyage lui-même. Le dernier, c’est quand on le raconte.”
Le mal du pays après sept mois à l’étranger ou une succession de pique-niques pain-sardines-et‑c’est-tout ont dévoilé des faiblesses que nous apprenons à apprivoiser, et des forces sur lesquelles nous savons pouvoir compter. À l’heure où nous écrivons cet article, nous ne saisissons probablement pas l’entièreté de ce que nous aura apporté cette année. C’est à la relecture des mois qui arrivent que nous pourrons affiner le tableau. J’ai entendu un jour cette phrase : « On fait trois voyages. Le premier, c’est la préparation. Le deuxième, c’est le voyage lui-même. Le dernier, c’est quand on le raconte. » Alors en avant pour le troisième voyage !
Vers d’autres défis !
Nous sommes maintenant rentrés en France, où nous retrouvons avec joie nos familles et nos amis. Ils nous attendaient avec de grandes banderoles au parc de Sceaux, point final de notre folle équipée. Nous récurons nos gamelles et remettons nos vélos au garage : ils méritent une bonne séance de bricolage, mais nous attendrons un peu avant de nous y plonger. Ce qui est sûr, c’est que nous avons été convaincus par ce mode de voyage. Nous ne repartirons pas dans l’immédiat pour une aventure de cette ampleur, mais pédaler les quinze derniers jours dans le Sussex et en Normandie nous a donné envie de découvrir l’Europe sur nos bicyclettes. Et puis, maintenant, d’autres défis nous attendent. Ce voyage a été une charnière entre nos vies d’étudiant et celles de jeune professionnel. Après avoir été témoins de l’engagement des dix-sept rayons d’espoir rencontrés, nous souhaitons à notre tour nous engager ensemble dans notre quotidien. Mais, ça, c’est une autre histoire…
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