17 rayons d’espoir : deux alumni à vélo vers 17 objectifs durables
Épisode 2 : Du Sénégal au Bénin
Nous reprenons les aventures du couple des jeunes diplômés, Matthieu Oriot (X18) et Astrid Perchet (Ensta), à vélo en Afrique de l’Ouest. À travers leur voyage africain, commencé à Dakar et terminé à Cotonou, ils racontent leur quotidien, riche d’exemples d’accueil et de bienveillance, mais aussi de chocs culturels parfois désarmants.
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Un peu plus de cinq mois après notre départ de Dakar, nous arrivons à Cotonou, au Bénin, destination finale de notre périple en Afrique de l’Ouest, avant de nous envoler pour un deuxième volet en Amérique du Sud. Mais quel a été notre quotidien de cyclistes, étrangers de surcroît ? Cette question nous renvoie à tous les kilomètres parcourus depuis le Sénégal, aux nombreux repas pris à quelques mètres de la piste, à l’ombre des manguiers, à tous les villages que nous avons traversés et où nous avons été accueillis, à ces milliers de visages croisés sur le bord du chemin, en Guinée ou au Togo, en passant par la Côte d’Ivoire et le Ghana.
La valeur de l’hospitalité
La route de ces cinq derniers mois a été longue, mais – et ceci tient du miracle – nous n’avons pour l’instant jamais crevé. Et pourtant, trouver de l’aide n’aurait pas été un problème. Où que nous allions, nous sommes mis à l’aise par de petits gestes. Nous nous sentons accueillis par ces gens qui nous accordent l’hospitalité dans leur village. Lors d’une pause en milieu de journée, en Haute-Casamance, au Sénégal, deux hommes nous ont repérés en train de pique-niquer. Ni une, ni deux, les voilà qui arrivent avec… deux chaises, pour que nous n’ayons pas à rester assis par terre ! Ils nous laissent ensuite pour retourner vaquer à leurs activités. C’est bien anodin, mais ce petit geste a fait écho en nous : serions-nous capables de faire la même chose en France, si un étranger se trouvait assis sur des marches pour faire une pause ? Notre chemin est jalonné de ces belles leçons d’hospitalité.
“Ce petit geste a fait écho en nous : serions-nous capables de faire la même chose en France, si un étranger se trouvait assis sur des marches pour faire une pause ?”
Un soir, alors que nous découvrons la partie forestière de la Guinée, nous nous arrêtons dans un village. Nous demandons l’autorisation de planter la tente dans la cour d’une maison, autorisation qui nous est accordée sans souci aucun. Nous déballons alors notre matériel sous le regard curieux des enfants et du chef de famille. C’est le grand spectacle : on ouvre les sacoches, on en sort mille et une merveilles, on déplie notre petite tente verte et ses longs arceaux. Notre petite maison de toile prend forme, on la complète de deux matelas gonflables qui constituent pour nous le summum du luxe. Bref, tout roule. Puis le père nous interpelle : « Mais, dites, vous allez dormir là-dedans ? » « Euh, oui, tout à fait. » « Mais non mais non, il faut dormir à l’intérieur ! Il y a une chambre vide pour vous ici. » « Ah bon ? » « Eh bien oui. » Il nous laisse dormir en intérieur et ne veut rien entendre, nous ne passerons pas la nuit dans la tente. Nous remballons donc tout notre barda pour aller nous installer au chaud (à ce moment du voyage les nuits se faisaient fraîches, la température devait bien descendre à 15 °C, rendez-vous compte !). Ce même soir, on nous offrira des noix de cola (des noix roses très amères, riches en caféine, qui se croquent telles quelles, signe de fraternité) et deux énormes ananas. Les meilleurs ananas de toute notre vie.
La route et le repos
Ces escales quotidiennes au hasard des villages croisés donnent le pouls de nos semaines. Nos journées suivent un battement dont le soleil est le chef d’orchestre. Nous nous levons avec lui, nous roulons quand il est bas, le matin et le soir, et nous nous couchons avec lui encore. Les moments de repos sont très structurants. Il y a les multiples arrêts pour boire quelques gorgées d’eau ou regarder la carte et vérifier notre position. Et il y a la « pause aux heures chaudes ». D’abord, vers 10 h 30, nous identifions un coin d’ombre qui durera jusqu’à 16 h, quand la chaleur sera un peu retombée. En général, nous terminons sous un manguier dont le feuillage dense nous assure un rempart longue durée contre le soleil. Prenez note : les cacaoyers fournissent aussi une belle ombre, mais sont souvent la garantie de fourmis qui viennent vous chatouiller les orteils, tandis que les anacardiers (arbres qui donnent la noix de cajou) sont également très bons pour s’abriter du soleil. En revanche, on évitera les hévéas et les tecks aux feuillages trop clairsemés ou les palmiers isolés dont l’ombre tourne trop rapidement. Prendre le temps d’une sieste est indispensable si nous voulons tenir le rythme, nous sommes tous les deux de (très) gros dormeurs. Mais nous profitons aussi de ces quelques heures pour prendre du temps pour nous, écrire dans nos carnets, lire un peu sur nos liseuses ou avancer sur les podcasts. Ainsi, chaque journée a une trame finalement assez constante, avec sa routine quotidienne qui s’installe, et pourtant ! Les personnes rencontrées, l’humeur du jour, les paysages qui se dévoilent, leur donnent une coloration toujours différente. Jour jaune et lumineux quand la route glisse toute seule, après une discussion formidable avec le chef du village à refaire le monde. Jour rouge et poussiéreux quand il faut grimper des côtes raides au possible, après une mauvaise nuit de sommeil. Jour bleu quand la nostalgie du foyer se fait sentir, quand nous voyons des familles se rassembler pour le repas du soir et que les nôtres nous semblent bien lointaines. Un des signes qui ne trompent pas sur notre bonne humeur, c’est quand le chant se mêle à la route. Tout le répertoire y passe, des Champs-Élysées à La Strasbourgeoise en passant par du Maître Gims. Souvent même de nouvelles paroles viennent s’ajouter à l’air connu : « C’est un fameux vélo fin comme un oiseau, hissez haut ! » Nous nous surprenons parfois à rouler à toute vitesse, entraînés par l’élan que le chant nous a donné. Nous sommes immergés dans un univers à mi-chemin entre les vacances et la sortie sur le terrain, dans un entre-deux hors du temps qui nous semble parfois irréel.
Quand la route devient rude
Heureusement, le corps est là pour nous rappeler que tout ce que nous vivons est loin d’être fictif ! Nous le savions, et pouvons maintenant le confirmer : en Afrique, il fait chaud. Et encore, nous sommes à la saison sèche, plus fraîche et moins humide que la saison des pluies. La moindre côte autour du mont Agou au Togo nous laisse en nage et nous avalons des hectolitres d’eau. Le corps encaisse, et pas seulement sur les vélos. Plusieurs fois sur la route, Astrid est tombée malade à cause de repas qui ne sont pas bien passés. Ce n’est jamais grave, mais suffisamment pénible pour obliger à s’arrêter dans un hôtel le temps de se rétablir. La fatigue et la sensation d’être impuissant entraînent aussi des grosses baisses de moral, heureusement soutenues par le voyage à deux. Nous nous serrons les coudes pour tenir le choc.
Une autre difficulté revient souvent, presque quotidiennement. Nous sommes sans cesse confrontés au regard des habitants. Pour eux, nous sortons de l’ordinaire et nous en avons bien conscience, mais il faut se rendre compte de l’ampleur de la chose. Un soir, à Anatolekro, village ivoirien, alors que nous faisions la cuisine, nous avons compté plus de quarante enfants qui étaient rassemblés autour de nous à nous observer. Plus tard, au Togo, nous nous lavions dans le fleuve Mono. Plus de quinze personnes nous regardaient de la rive opposée et une petite dizaine s’étaient arrêtées sur le pont au-dessus de nous, intriguées par le spectacle que nous formions.
Le choc de différentes cultures
Ces regards ne cessent pas de nous le rappeler : nous sommes français et blancs, et ce n’est pas anodin dans les pays par lesquels nous passons. En nous voyant, beaucoup d’enfants chantent « Toubabou » ou « Yovo, yovo bonsoir ! », selon la région. Le Blanc. D’autres viennent nous demander de l’argent, un téléphone, nos vélos, ou nous dire qu’ils ont faim, parfois encouragés par les adultes, nous laissant désemparés devant cette conduite qui nous déroute et parfois nous heurte. Pourtant, nous avons fait le choix de voyager avec ce qui nous semble le strict minimum. Nos vélos, avec chacun quatre grosses sacoches remplies de nos habits, nos affaires de bivouac, des provisions achetées le long du chemin, quelques médicaments de base, des carnets pour raconter nos aventures, nos liseuses et nos téléphones.
Pour nos podcasts, nous avons trouvé un petit micro à piles, qui fonctionne parfaitement bien, et Matthieu se charge de faire les montages directement sur son smartphone. Mais toutes ces affaires, qui sont pourtant assez simples, dénotent déjà. Nos vélos sont vieux, nous les avons depuis plusieurs années. Ici, ils paraissent ultra-perfectionnés avec leurs freins fonctionnels et leurs sept vitesses et trois plateaux. Même les sacoches, dont la moitié a été récupérée chez nos grands-parents, ont tapé dans l’œil d’un jeune homme qui partait travailler en brousse et qui nous a demandé si on pouvait lui en donner une. Les quelques médicaments que nous avons ont parfois fait des envieux à la douane, et nos smartphones sont suffisamment récents pour qu’Astrid se fasse piquer le sien dans un hôtel. Bref, nous nous rendons compte à quel point tout en nous crie la richesse et contraste souvent avec les ressources dont disposent nos hôtes.
“Plusieurs petites anecdotes nous font réaliser l’impact du « rêve occidental » que nous contribuons, malgré nous, à véhiculer.”
Plusieurs petites anecdotes nous font réaliser l’impact du rêve occidental que nous contribuons, malgré nous, à véhiculer : quand ils nous demandent de leur montrer de l’argent français pour voir à quoi ressemblent les euros ; quand on découvre des produits éclaircissants pour la peau ; quand les clips musicaux vendent un modèle de réussite à base de grosses voitures, de montres dorées, de jets privés et de jacuzzis ; quand, lors d’une conversation avec une vendeuse dans une supérette, elle veut que nous l’emmenions en France avec nous. De là, nous réalisons à quel point nous avons de la chance de pouvoir faire ce voyage, et non seulement d’en avoir le courage, la patience ou la folie, mais aussi les ressources matérielles. Et il faut se rendre à l’évidence : si nous sommes aussi souvent repérés, c’est sûrement aussi parce que nous avons plein de comportements qui paraissent décalés pour les gens que nous rencontrons. Certains doivent penser que nous sommes bien balourds ! Nous rions encore de ce soir où, au Ghana, une femme a vu Matthieu faire la lessive à la main et s’est exclamée, horrifiée : « Mais tu ne sais pas laver ? Attends, je vais te montrer ! » Et ni une, ni deux, elle lui prend le savon des mains et nous montre comment bien laver le linge. Une belle leçon d’humilité après quatre mois et demi à rouler et à laver notre linge de la mauvaise manière. Cela dit, depuis, nos t‑shirts n’ont jamais senti aussi bon ! De la même façon, il arrive souvent qu’on nous propose de l’eau en arrivant dans un village, mais jamais pour les mêmes raisons. Un jour c’est pour nous laver les mains, un autre pour nous laver le visage, un autre encore simplement pour boire. Il est difficile de dire combien de fois nous nous sommes trompés en utilisant cette eau, et je pense que nous avons dû sembler sacrément à côté de la plaque pour plusieurs de nos hôtes.
Dans la même veine, nous avions cru comprendre enfin les codes et très fiers de nous, nous essayions de les appliquer. Je pense au village de Djandjan en Guinée. Depuis plusieurs jours nous croisions des villages peuls et avions donc appris quelques mots de pulaar pour parler avec les gens. « Diarama ! Nala tum ? Diam tum ! Namarsudé ? Djam tum ! » pour le fameux « Bonjour ! Comment ça va ? Ça va bien ! » Ce soir-là, nous saluons les habitants comme nous l’avons appris. Et, après une heure et demie à discuter avec eux, nous présenter et visiter le village, un jeune homme nous annonce, tout fier : « Ici, c’est un village malinké ! On ne parle pas pulaar, on parle malinké. » « Oups… voilà que nous avons changé d’ethnie, il faut tout réapprendre. » Un autre jour, à Notsé, après presque cinq mois de voyage (où nous commencions à nous prendre pour de vieux roublards qui connaissaient les coutumes locales comme notre poche), nous déjeunons dans un maquis togolais, un restaurant local. Au menu : foufou, une purée d’igname qui se mange avec la main droite, et lapin en sauce. Nous nous régalons ! Et, de la même manière que nous l’avions vu faire au Sénégal par exemple, nous mettons les os du lapin en petit tas directement sur la table, à côté de nos assiettes. Oui mais voilà, la gérante du maquis s’approche de nous, nous fait les gros yeux et nous tend une petite corbeille en plastique qui traînait sur la table et dont nous n’avions pas compris l’utilité. Peut-être pour y mettre du pain ? Pas du tout ! C’est pour y mettre les fameux os. Oups derechef, donc. Décidément, il nous reste toujours à apprendre, même après cinq mois.
Au revoir Afrique
À la fin de notre itinéraire africain, les souvenirs se bousculent. Nous avons du mal à réaliser tout ce que nous avons vécu, de Dakar à Cotonou. C’est bien faible un petit à pour signifier tout ce qui s’est passé entre ces deux villes ! Il faut digérer ces événements qui nous ont fait grandir et appris tout autant sur nous-mêmes que sur des cultures qui nous étaient inconnues. Nous nous tournons à présent vers la deuxième partie de notre voyage, en Amérique du Sud. Troquerons-nous nos vélos contre un traîneau tiré par des lamas ? La suite au prochain épisode !
Pour en savoir plus sur le projet
- Podcast : « 17 rayons d’espoir » disponible sur toutes les plateformes ou au lien 17rayonsdespoir.lepodcast.fr
- Instagram : instagram.com/17rayonsdespoir
- Blog : https://17rayonsdespoir.fr/