17 rayons d’espoir : deux alumni à vélo vers 17 objectifs durables
Épisode 3 : Du Bénin à la Bolivie
Nous continuons les aventures du couple des jeunes diplômés, Matthieu Oriot (X18) et Astrid Perchet (Ensta), à vélo de l’Afrique à la Bolivie. À travers leur voyage américain à présent, ils racontent leur quotidien, humainement si riche.
Lire aussi : 17 rayons d’espoir : deux alumni à vélo vers 17 objectifs durables, Episode 1 et Épisode 2 : Du Sénégal au Bénin
Jour 217 depuis notre départ de France. La partie africaine de notre périple se transforme progressivement en un joyeux amas de souvenirs, tous plus variés les uns que les autres. Et nous nous lançons avec enthousiasme dans un nouveau chapitre du voyage : les personnages restent les mêmes, mais le décor change drastiquement. Nous voilà en Bolivie !
De Cotonou à La Paz, d’une extrémité de la planète à l’autre
Mais revenons en arrière. Parce que, pour être aujourd’hui en Bolivie, il a d’abord fallu y parvenir depuis l’Afrique – et faire en sorte que nos vélos nous suivent sans rechigner. Nous les avons donc emballés bien soigneusement, dans un hôtel à Cotonou, au Bénin. Le jour du départ, nous quittons le continent avec émotion. C’est le jeu de l’itinérance, à grande ou petite échelle : chaque jour nous offre de nouvelles rencontres, mais chaque départ annonce un nouvel adieu. Nous sentons qu’à plusieurs endroits il aurait été possible de prendre racine. Nous sommes des sédentaires dans l’âme qui jouent à imiter les nomades.
Nous prenons un premier avion pour Istanbul, suivi d’un second direction Buenos Aires, capitale de l’Argentine. Mais le trajet ne s’arrête pas là : maintenant, il faut traverser presque tout le continent pour rejoindre La Paz, en Bolivie. Afin de limiter l’avion, nous avons décidé de prendre un bus qui nous emmènera directement de Buenos Aires à La Paz, le tout en 48 heures. Comparaison intéressante, la distance qui sépare les deux villes est la même que celle entre Le Mans et Kiev. Heureusement, les bus sud-américains sont très confortables, on peut presque s’allonger et des arrêts réguliers sont prévus pour les repas.
La Bolivie, entre nouveautés et repères imprévus
Et enfin nous arrivons à La Paz. La ville surplombe le pays avec ses 4 000 mètres d’altitude, c’est la capitale la plus haute du monde. Il faut nous habituer au manque d’oxygène ; le paracétamol et les feuilles de coca sont nos meilleurs alliés pour contrer le mal de tête et l’essoufflement à chaque fois que nous montons trois marches. Nous sortons doucement le bout de notre nez dehors et, alors que nous nous attendions à être totalement dépaysés, un ensemble de similitudes avec l’Afrique nous frappe quand nous marchons dans les rues.
« Un ensemble de similitudes avec l’Afrique nous frappe quand nous marchons dans les rues. »
Les marchés par lesquels nous passons proposent les mêmes produits, en vrac ou présentés dans les mêmes grands sacs en plastique : tomates, oignons par centaines, avocats, carottes, riz, pâtes, lots de casseroles, bassines, lunettes de soleil, pantalons… À côté de ces marchés, des vendeuses proposent un assortiment de plats bon marché à déguster sur place, en guise de déjeuner. Comme en Afrique, ce sont des plats simples et revigorants qui appartiennent à la cuisine traditionnelle. Ici, même s’il n’y a plus de manioc, on retrouve le riz, le poulet en sauce et même des bananes plantains ! Ces dames portent aussi des tissus colorés avec des motifs traditionnels. Ce ne sont plus des pagnes mais des châles rose vif, vert tendre ou bleu roi avec des dessins de lama stylisés et des hexagones et motifs géométriques (nous apprendrons plus tard qu’il s’agit d’une représentation du soleil et des étoiles).
Nous découvrons également tout un système de taxis collectifs très semblables à ceux du continent que nous venons de quitter : ce sont des petites camionnettes blanches, aménagées pour accueillir une douzaine de passagers. Sur les pare-brise, un ou plusieurs écriteaux indiquent la destination de ce collectivo. Le passager doit ensuite savoir par où passe la camionnette afin de vérifier si elle le déposera bien à sa destination. Nous en empruntons un pour aller randonner dans une vallée voisine et vérifier que nous nous sommes bien acclimatés.
Lamas et alpagas eux jamais faire ainsi !
Ces ressemblances se confirment alors que nous prenons la route pour nos premiers kilomètres boliviens. La vie rurale semble tenir une grande place ici aussi, on a juste transformé les troupeaux de vaches en troupeaux de lamas et d’alpagas. Il y en a d’ailleurs vraiment beaucoup, ce n’est pas un mythe. Nous en croisons des dizaines. En revanche, au risque de décevoir les aficionados de Tintin, ils ne crachent pas : ils préfèrent s’arrêter quelques secondes, nous contempler avec mépris, avant de s’éloigner tranquillement d’un air dédaigneux tout en mâchant des herbes piquantes. Nous avons quand même croisé un petit bébé alpaga, pas peureux pour un sou, qui était très câlin. Il venait nous voir et essayait de téter nos fermetures éclair. On en garde encore le cœur tout fondu.
L’Altiplano n’est pas l’Afrique
Pourtant, nous le voyons clairement, il n’y a pas de doute : nous avons bien changé, et de pays, et de continent ! Déjà, la ville de La Paz porte bien son nom. Bien qu’animée, elle nous paraît très paisible, même dans les lieux où la foule s’amasse. La langue, bien sûr, n’est plus la même puisqu’on parle espagnol. Rien de mieux pour pratiquer un peu ; nous ne rentrerons sûrement pas bilingues, mais un peu plus à l’aise. La démographie est aussi clairement différente.
Nous ne croisons plus des enfants par grappes entières, seulement un ou deux emmitouflés dans de larges manteaux, qui sont très timides et courent se réfugier derrière leurs parents. Les villages sont beaucoup moins peuplés, bien des maisons semblent vides. Les rencontres sont moins fréquentes. Nous apprenons progressivement à les provoquer, en discutant autour d’un plat de pâtes servi dans une cantine de rue avec nos voisins de table, ou alors en restant simplement sur un banc de la place principale d’un village.
Parfois, notre gros équipage et nos vélos interpellent et nous nous faisons aborder, ce qui reste toujours une bonne surprise. Mais, malgré cela, il devient difficile de demander l’hospitalité. Soit il n’y a personne pour nous ouvrir, soit on nous renvoie au village un peu plus loin pour dormir dans un alojamiento, sorte de motel pour routiers qui permet d’avoir le confort d’une douche et d’un lit muni de grosses couvertures. En revanche, les espaces immenses que nous parcourons sont disponibles pour tout le monde ; c’est pourquoi nous faisons beaucoup plus de bivouacs.
Le deuxième volume d’un même voyage
Cette faible densité de villes et de population ainsi que le climat quasi désertique de l’Altiplano (très chaud et ensoleillé le jour, glacial la nuit) nous incitent à changer notre rythme. Nous prenons le temps pour émerger le matin, profitant d’un thé chaud tandis que le soleil pointe doucement le bout de son nez. Nous pédalons surtout en fin de matinée et en début d’après-midi, pour avoir le temps d’installer notre bivouac le soir. Nous faisons maintenant la cuisine au feu de bois, le réchaud ne sort presque plus de sa sacoche. Et à 19 h 30, au lit ! Ou plutôt direction la tente.
Nous avons mis en place tout un processus de couches multiples pour nous emmitoufler : pyjama, grosses chaussettes, pulls, pull sur les pieds, sac à viande, duvet et summum du luxe : une bouillotte d’eau chaude à glisser au fond du sac de couchage pour réchauffer les extrémités. Nous évitons ainsi à nos pieds de geler comme les gourdes. Ces dernières nous servent d’ailleurs de thermomètre : ont-elles gelé entièrement ? L’huile pour la cuisine a‑t-elle figé dans sa bouteille ? Si oui, c’est que nous sommes bien passés en dessous des ‑5 °C cette nuit !
Continuités et contraintes
La végétation se plie aussi à ce climat rude. Pas d’arbre à l’horizon, seulement des touffes d’herbes piquantes et des petits buissons verts, sûrement des résineux, ne dépassant pas les 50 cm. Ceux-ci nous fournissent étonnamment beaucoup de bois pour le feu du soir. Certes pas des bûches énormes, mais des branches tout à fait raisonnables pour faire revenir des oignons. Et, plus nous descendons vers le sud, plus nous rencontrons de gros cactus dignes des meilleurs westerns. L’altitude et le soleil rendent la région très sèche. Là-dessus aussi, il a fallu adapter notre fonctionnement. Nous remplissons notre bidon de 10 l dès que possible, dans les villages ou plus rarement dans les rivières, pour être certains d’avoir de l’eau en quantité suffisante.
« Ces kilomètres en Bolivie sont bien dans la continuité des cinq mois déjà écoulés. »
De la même manière, il n’est pas rare qu’on trouve dans nos sacoches l’autonomie pour trois jours en nourriture, faute de points réguliers de ravitaillement. Pourtant, même si tout ça est très différent de ce que nous avons vécu en Afrique, nous n’avons pas l’impression de vivre une deuxième aventure, qui serait indépendante. Ce n’est pas non plus une redite autour de la routine « découverte du pays – prise de rythme – bilan ». Ces kilomètres en Bolivie sont bien dans la continuité des cinq mois déjà écoulés.
Ce que nous avons appris sur la route hier nous sert aujourd’hui. Nous savons combien de kilomètres nous pouvons rouler en une journée, quelle hauteur nous pouvons grimper en une heure. Nous détectons mieux la fatigue et nos besoins en pause. Nous gardons le lien avec les personnes rencontrées sur la route et leur parlons de nos découvertes américaines. Et puis, le projet « 17 rayons d’espoir » contribue pour beaucoup à construire cette unité du voyage.
La création des podcasts
Nous sommes toujours lancés dans la création de nos podcasts. Sur notre parcours, nous avons découvert un avantage de ce mode de communication : il nous incite à ouvrir tout grand nos oreilles. Non seulement nous voyons et gardons des souvenirs grâce aux photos, mais les sons qui nous entourent prennent une place toute privilégiée grâce à notre petit micro.
Un bruissement d’oiseaux nous rappelle la forêt primaire de Ziama où nous avons dormi, le vrombissement des camions évoque une nationale particulièrement fréquentée en Gambie, le chant des enfants au Bénin nous ramène à notre dernière nuit chez l’habitant en Afrique, le crépitement du feu parle de ce bivouac sous les étoiles en Bolivie… Les podcasts ont vocation à la fois à documenter notre périple et, surtout, à rencontrer 17 associations sur notre itinéraire en liaison avec les 17 objectifs du développement durable (ODD) de l’ONU. Aucune de ces associations n’a été repérée à l’avance.
Les associations locales
À chaque fois, quand nous arrivons dans un lieu intéressant, nous commençons à prospecter. En passant par les réseaux sociaux, internet, le bouche à oreille, parfois grâce à des rencontres fortuites, nous trouvons des personnes au parcours intéressant, qui œuvrent pour leur pays, leur communauté, pour rendre le monde un peu plus juste et un peu meilleur. Souvent, nous essayons de les appeler ou de les rencontrer une première fois afin d’expliquer notre démarche. Nous racontons notre voyage, nous présentons le principe des podcasts et nous essayons de mieux comprendre ce que fait l’association.
Vient ensuite le moment de l’entretien : dans la mesure du possible, nous cherchons un coin calme pour éviter les bruits parasites. Parfois nous interrogeons une seule personne, responsable de l’association, comme à Man en Côte d’Ivoire où nous avons rencontré Valérie Vaï, en lutte contre l’excision. Parfois c’est un groupe entier qui peut être là, comme à Koulé en Guinée où toutes les vieilles femmes de la ville sont venues nous voir. Ces rencontres sont toujours surprenantes.
Dans le rythme habituel du vélo, nous n’aurions jamais eu l’occasion de parler avec ces gens, ni d’aborder des sujets de discussion aussi précis que l’impact de la pêche sur les écosystèmes locaux ou les recettes de cuisine pour éviter la malnutrition des petits enfants. Parfois, nous avons la chance de découvrir le terrain qui forme le quotidien de ces structures. Ainsi, à Labé en Guinée, nous avons rencontré des agriculteurs qui nous ont montré leurs champs, leurs élevages et les ruches modernes nouvellement installées. Tout en passant un moment vraiment convivial avec les différents acteurs, nous découvrons d’autres réalités.
Un engouement réconfortant
Nous sommes et restons des amateurs, et nous avons parfois été surpris de l’engouement suscité par le projet. Quand, à N’Zérékoré en Guinée, on a organisé pour nous une démonstration culinaire afin que nous puissions enregistrer le podcast, rassemblant une dizaine d’intervenantes et de femmes venues avec leurs enfants, nous avions peur de ne pas être à notre place.
Nous ne sommes pas journalistes, notre audimat est petit, loin des grands canaux d’information de la presse écrite ou audiovisuelle. Pourtant, le nombre de ceux qui désirent être entendus est important. Et aujourd’hui, alors que nous sommes en Bolivie, un nouveau défi se présente à nous : le pays est hispanophone ! Toutes les interviews doivent être menées en espagnol, puis doublées pour notre public francophone. Gare aux contresens et aux incompréhensions, donc. Mais il semble que, ici aussi, de nombreuses personnes œuvrent pour des causes variées et, à l’heure où nous écrivons, nous avons déjà pu rencontrer deux associations boliviennes. Podcasts à suivre…
17 rayons d’espoir
Certaines de ces rencontres nous marquent profondément et nous nous sentons changer, ou en tout cas mûrir grâce aux discussions que nous avons eues. Le quotidien des jeunes filles mères à Kullimaaroo, victimes de violence dans leurs famille, adouci après une équipe de femmes soignantes et prévenantes ; la persévérance de Lamine Souané pour prendre soin des personnes en situation de handicap ; l’optimisme de Delphine Chakpla quant à la réussite des jeunes dont elle s’occupe… Voilà autant d’exemples qui rayonnent d’espoir et nous donnent envie de nous investir, nous aussi, dans le monde. Et nous espérons bien partager ces pépites dans nos podcasts ! Nous ne savons pas dans quelle mesure tout cela aura un impact. Mais si, parmi ceux qui nous écoutent, une ou deux personnes peuvent être aussi touchées que nous l’avons été, alors nous considérerons que le projet est une réussite.
Pour en savoir plus
- Podcast : 17rayonsdespoir.lepodcast.fr et sur toutes les plateformes
- Instagram : 17rayonsdespoir
- Blog : https://17rayonsdespoir.fr/
En couverture : Le mont Sajama, 6 542 m, surplombe la route.