4e colloque X‑ENA-HEC : une bonne habitude
Nous voilà donc à la quatrième édition de ce colloque organisé annuellement depuis l’année 2000 par les trois associations d’anciens élèves : la première édition avait traité de la formation des responsables, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne ; la seconde, déjà au ministère de l’Économie, de la concurrence mondiale ; la troisième, au Centre de conférences internationales de l’avenue Kléber, de la compétition entre l’Europe et les États-Unis ; cette fois-ci le sujet choisi était le risque économique, sujet d’actualité puisque les effets des attentats du 11 septembre 2001 sont dans tous les esprits, si l’on veut s’intéresser à un risque qui s’est réalisé, et puisque, si l’on pense au risque marqué par une grande incertitude, l’épidémie de pneumonie atypique fournit un exemple inquiétant. Je ne mentionnerai pas le risque de se planter lorsqu’on se lance dans une extrapolation : ceux de nos lecteurs qui ont la meilleure mémoire auront remarqué que ma petite formule de l’année dernière Mn + 1=Mn – 1, où M est le numéro du mois de l’année et n le millésime, n’a pas été vérifiée cette année. En revanche, il n’y a guère de risque que nous n’ayons pas un autre colloque X‑ENA-HEC en 2004, dans la mesure où la satisfaction de tous était évidente lors du cocktail qui a clôturé cette excellente journée de réflexions, de débats et parfois de polémiques.
L’ouverture a été faite, comme cela est traditionnel, par les présidents des trois associations, qui ont pu rappeler en quoi ce type de manifestation est significatif pour chacune d’entre elles et pour leur ensemble. Arnaud Teyssier, pour les énarques, a relevé combien une bonne part des problèmes que connaît la France provient d’une incompréhension entre le secteur privé et le secteur public, ce à quoi ce type de débat contribue à remédier.
Pierre-Henri Gourgeon, qui en tant que dirigeant d’Air France – une entreprise particulièrement concernée par la notion de risque – s’est exprimé par ailleurs à plusieurs reprises dans la journée, a bien souligné en quoi l’X se situait en quelque sorte à cheval sur la sphère privée et sur la sphère publique et était à même de tenir un rôle central dans ce type de coopération.
Jean-Luc Allavena, pour HEC, a pour sa part insisté sur l’internationalisation déjà ancienne mais toujours croissante de chacune des trois écoles, qui par ailleurs sont tout à fait emblématiques d’une certaine spécificité française, le présent colloque se situant dans une perspective ellemême très internationale ainsi que les débats ont pu le confirmer. Je me permettrai d’ajouter ici, en tant qu’impliqué dans le montage de cette opération depuis son tout début, que chacune des éditions m’a paru se dérouler, aussi bien dans sa phase de préparation que dans sa réalisation, avec une aisance et une sorte d’allégresse croissantes par rapport à la fois précédente. Le mérite en revient certes au concept qui est pertinent, mais tout autant au savoir-faire de l’opérateur commun, Regards International, qui a obtenu à chaque fois un coût nul pour les associations.
L’articulation des différents moments de la journée permettait de ménager une progression de l’évaluation du risque jusqu’à la perspective d’une “société de confiance, société de croissance ” en passant par la maîtrise des risques et par l’établissement des solidarités nécessaires à cette fin.
Je ne rendrai pas compte ici du détail de chaque intervention, tout en soulignant néanmoins qu’il n’en fut pas de dénuée d’intérêt et que chacune mériterait d’être rapportée : vous trouverez les actes détaillés sur le site Internet de l’Association.
Je remarquerai que la question du risque met en cause finalement six catégories d’acteurs : l’entreprise bien sûr, qui doit assumer le risque, et le politique, qui doit fixer le cadre normatif de ce défi, mais aussi le scientifique qui apporte l’éclairage de l’expert, le personnel directement concerné par le risque, le journaliste qui porte l’image du risque, et enfin le juge qui sanctionne lorsque les choses se sont mal passées. Le jeu est pour chacune de ces catégories, qui étaient représentées sur le podium et pour un bon nombre par des intervenants étrangers, de rejeter les responsabilités sur les autres catégories ; là ce fut partiellement le cas, mais sans excès.
Le scientifique s’est bien un peu plaint du fait que le politique était tenté de l’instrumentaliser, alors que son rôle doit se borner à apporter un éclairage objectif dont il appartient au politique de tirer en toute responsabilité les décisions qui lui incombent ; les journalistes étaient un peu montrés du doigt, pour avoir tendance dans une perspective sensationnaliste à surestimer les risques et à contribuer ainsi à grossir le risque perçu dans nos sociétés modernes peu disposées à accepter ce risque. Cela n’a pas empêché que l’impression dominante donnée par les intervenants de tous horizons a été globalement plutôt optimiste.
Si le risque est certainement de plus en plus grand dans un monde plus sophistiqué, la maîtrise du risque croît aussi et on ne saurait prétendre que le risque net soit en augmentation lorsque l’on fait le bilan.
Il faut dire que les débats avaient été lancés par un exposé très stimulant d’un universitaire américain, le professeur Peter Schwartz, dont la fonction était dans son exposé intitulé “ The big surprises ” de mettre en évidence tous les éléments de risque susceptibles d’être apportés par le futur ; le propre d’un tel exercice est d’offrir une image un peu démoralisante de ce qui nous attend ; on peut voir dans son appréciation comme quoi l’euro ne serait pas certain de survivre une possible concession à la vision américaine des choses ; en revanche, un certain nombre de ses idées méritent d’être méditées. Ainsi, les États-Unis dans leur politique actuelle de puissance témoigneraient d’une évolution structurelle et non pas conjoncturelle, liée à une équipe politique particulière en place, de l’État nord-américain.
Parallèlement l’Union européenne finirait bien sa construction politique mais – et c’est à noter – cet effort l’empêchera encore longtemps d’être effectivement une puissance. Autre idée : le nucléaire, qui joue un si grand rôle dans le risque perçu par les opinions publiques, rentrerait en grâce auprès des écologistes, qui finiraient par se rallier à des avantages qu’ils ont voulu jusqu’à présent ignorer. La conclusion a été que pour acquérir le leadership, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un État, le problème est certes de maîtriser le risque mais surtout d’être capable de développer des stratégies adaptatives en milieu incertain, afin de réagir positivement et rapidement à l’avènement du risque qui se réalise.
© REGARDS INTERNATIONAL
Dans la riche prairie des débats qui ont suivi, on peut cueillir telle ou telle fleur. Un universitaire a noté que le risque était de plus en plus créé par l’homme lui-même, après avoir été subi du fait de la nature.
Pierre-Henri Gourgeon a noté la disproportion colossale entre la réalité du risque de la pneumopathie atypique (SRAS) apparue en Chine et les mesures prises pour s’en protéger, avec un effet économique catastrophique qui se traduira selon toute vraisemblance par des dégâts humains infiniment supérieurs à ceux causés par la maladie elle-même.
Le P.-D.G. de Delta Airlines est intervenu en vidéoconférence pour en appeler à l’intervention de l’État afin de compenser les effets économiques des attentats du 11 septembre ; les intervenants dans la salle ne se sont pas privés de relever combien un entrepreneur américain pouvait être convaincant lorsqu’il s’agissait de justifier l’intervention de la puissance publique dans les affaires économiques !
Philippe Lagayette, actuellement président de J.-P. Morgan, a finement analysé la problématique de l’évolution parallèle du risque réel, des techniques de maîtrise de ce risque, du risque perçu, des protections qui en sont déduites, de l’opportunité aussi que représente sur un plan économique le risque luimême, dans un contexte de complexification générale ; en définitive ce qui importe n’est pas le risque brut, mais le risque net, ainsi que le démontre pertinemment l’automobile où le risque brut croît fortement sur le long terme mais où le risque net décroît à la mesure des stratégies de maîtrise qui sont adoptées ; la moindre acceptation du risque, qui peut s’interpréter comme une perte de sangfroid, risque de se traduire par une stérilisation de toutes les initiatives, ce qui est le contraire même de l’esprit d’entreprise.
Un régulateur, Michel Prada, et un juge, Antoine Garapon, se sont retrouvés pour souhaiter que l’on sanctionne bien la faute, mais qu’on laisse le soin au marché de tirer les conséquences des erreurs.
Anne Lauvergeon, présidente d’AREVA, a rappelé combien, après avoir dès le début intégré la maîtrise du risque technique dans son édification, l’industrie nucléaire a dû ensuite réintroduire l’aspect humain du risque ; ainsi que plusieurs intervenants l’ont souligné, une évolution climatique majeure est à peu près assurée dans un avenir relativement proche, il est donc certain que les besoins d’énergie continueront à augmenter et que le rôle du nucléaire devra être réapprécié par l’opinion publique dans le cadre d’un débat démocratique indispensable.
Plusieurs intervenants se sont sur ce point étonnés de la sous-médiatisation du problème de la sécurité routière alors même que ses conséquences humaines sont incomparablement plus importantes que celles du nucléaire ou même que celles du risque de santé publique pour les épidémies infectieuses. Avec la première table ronde sur l’évaluation, brillamment animée par Nicolas Beytout, directeur des Échos, la dernière table ronde animée par Erik Izraelewicz, rédacteur en chef de ces mêmes Échos avec Bertrand Collomb, président de Lafarge, Denis Kessler, président-directeur général de la SCOR, de Nicole Notat, ancienne présidente de la CFDT, Klaus Schwab, organisateur du forum de Davos, a particulièrement attiré l’attention.
Denis Kessler a encore une fois fait la preuve de son très grand talent d’estrade, rappelant que le risque doit être accepté comme consubstantiel à l’entreprise et, selon lui, on a abusivement rendu l’entreprise responsable de tout alors que l’État se désengageait toujours davantage.
Bertrand Collomb l’a rejoint pour déplorer une certaine conception du principe de précaution qui peut amener à bloquer toute activité innovatrice.
Le ministre, notre camarade Francis Mer, qui avait effectivement assisté à une partie des débats et qui a rendu ce colloque possible en mettant à notre disposition les très fonctionnelles installations de son ministère, a conclu cette journée dans un style très direct et informel qui a été apprécié des participants.
Il a notamment souligné la nécessité de développer les leviers de maîtrise du risque : contre le risque objectif la culture du process ; contre le risque subjectif la formation de l’opinion et des médias, ce qui passe par une éducation dès le plus jeune âge. Il a appelé à la coopération entre les pouvoirs publics, éditeurs des normes, et les entreprises responsables de la maîtrise de leur propre risque professionnel, pour que dans le cadre d’une vision internationale l’évolution des normes ménage à la fois la protection du citoyen et le dynamisme économique. Il s’est associé à la condamnation du principe de précaution envisagé dans un sens malthusien afin parallèlement d’appeler au développement durable qui, lui, se situe dans une perspective de profit collectif.