67, Rue DUC-DES-CARS
1952–1955, trois années de prépa subies ensemble au lycée Bugeaud d’Alger, et qui plus est dans le même trinôme. Jacques Casanova endurait ce parcours du combattant, épuisant pour tant d’entre nous, avec un flegme tout britannique, impressionnant et agaçant à la fois. Comment cachait-il, derrière un énigmatique sourire, une telle capacité de travail alliée à une telle faculté de distanciation ?
Ces qualités, je les ai retrouvées dans cette autobiographie, ou plutôt cet Ouvrage littéraire non identifié (OLNI) dans lequel Jacques a tout fait pour éviter qu’on le reconnaisse. Larvatus prodeo revendique-t-il en se dissimulant derrière l’un ou l’autre de six personnages « aussi imaginaires que réels » qui dialoguent et s’interpellent. Six objecteurs éclairent une vie plus intensément et diversement qu’un seul.
Est-ce pour brouiller plus encore les pistes que cet OLNI suit l’une des plus improbables logiques spatiotemporelles que l’on serait en droit d’attendre d’un polytechnicien. On saute du 9 novembre 1942 à la fin 1967, pour revenir en 1960 après un long chapitre sur J. Kennedy, un détour en 1989 sur le management des multinationales, pour repartir ensuite en 1984. Entre-deux, une chronique sur les 35 heures, puis retour sur Mai 1968. Pour conclure cette fresque inclassable ce sera un matin de septembre 1958, du côté de Berrouaghia, la révélation d’un lourd secret.
Mais Jacques nous trace quelques routes sur une carte pour parcourir le territoire de sa vie. Au premier plan, celle, naïvement généreuse, de Camus et des progressistes, la route des occasions perdues. La longue route de l’armée française, de juin 1940 aux soldats perdus du putsch des Généraux. Celle aussi des Maillot, Minne ou Iveton, soldats perdus de la cause adverse. La route de J. Kennedy, des ambitions oubliées et sa fin tragique. La route en Iran et en Afghanistan qui est aujourd’hui celle de l’islamisme.
Soudain, à un carrefour inattendu, on rencontre notre auteur en six personnages dialoguant avec Antoine de Saint-Exupéry ou avec un DRH de multinationale. Et, pour les contemporains de Jacques, on y rencontre aussi parfois celui que l’on a été.