Mardiros Dickran Indjoudjian (41) Mathématicien, Ingénieur, Visionnaire
Mardiros Dickran Indjoudjian est de ces personnages qui suscitent l’admiration dès qu’on les côtoie. D’une totale intégrité, d’un jugement solide et acéré, fidèle à ses préférences – la Montagne-Sainte-Geneviève, les mathématiques et le bridge qu’il présenta régulièrement, des années durant, dans La Jaune et la Rouge – et amitiés, il fut un artisan clé de la modernisation de notre pays lors des trente glorieuses.
Un visionnaire
Cet intellectuel majeur, ce visionnaire affectionne, outre les maths, les grands problèmes de société, qu’il s’agisse de terrorisme ou de construction d’Europe. Sa réflexion est toujours lucide, raisonnée, tournée vers l’avenir. Un grand banquier, comme il le fut pendant des décennies, est en quelque sorte par fonction, une vigie. Toujours très soigné, chaleureux, il vous gratifie d’un verbe et d’une écriture impeccables. Il choisit soigneusement ses termes, il m’apprit ce qu’est une apocope.
Son nom le montre, il est d’origine arménienne : son père était un antiquaire, à Paris depuis 1920, qui parcourait l’Empire turc à la recherche de pièces rares. Il fut de la promotion 1941, repliée pour sa scolarité à Villeurbanne. Il s’y adonna à ses matières de prédilection, l’analyse et l’électromagnétisme. Pour éviter d’aller en Allemagne, il fut tout un temps mineur de fond. Il parvint ensuite à entrer dans le corps des télécommunications, cumulant ainsi ses préférences scientifiques et son désir de se colleter avec la vie réelle. Puis, il se donna un très utile complément de formation, suivant en 1945–1946 les cours de Laurent Schwartz sur sa toute nouvelle théorie des distributions.
Des télécoms à la banque
Sa carrière connut deux chapitres, de 1946 à 1957 au CNET de Pierre Marzin (25), puis de 1957 à 1992 à la Banque Paribas. Durant ces deux périodes, Indjoudjian fit énormément pour la modernisation de la France.
Lors de la première période, il fut l’un des acteurs de la révolution téléphonique, concevant des centraux, nourris par des câbles coaxiaux, qui firent passer notre pays de la préhistoire – le célèbre 22 à Asnières – au présent. Ce faisant, il tint à élaborer des solutions à la française, refusant toute inféodation aux Américains. De 1951 à 1953, il devint conseiller technique du ministre des Postes d’alors, Roger Duchet. Il veilla à ce que « les choix de systèmes de commutation téléphoniques soient faits dans des conditions tenant compte de l’évolution des techniques et donnant le maximum de chance à l’industrie française ». En décembre 1957, il s’exprime vigoureusement sur l’urgence d’une rationalisation des programmes d’électronique du ministère de l’Air.
C’est aussi durant cette première période qu’il est aussi enseignant : d’abord maître de conférences d’analyse à l’École des ponts, puis à l’École nationale supérieure des télécommunications. Vers 1954, il succède à Georges Darmois à l’Institut de statistique de l’université de Paris. Il y enseignera statistiques et probabilités quinze années durant. L’Institut Henri-Poincaré est l’un de ses lieux de prédilection. Il y côtoie les mathématiciens, tant purs qu’appliqués, et s’initie à la recherche opérationnelle.
“Un artisan des trente glorieuses”
La seconde période le trouve chez Paribas, où il travaillera, avec un égal succès jusqu’à 72 ans révolus. Il y entre en 1957, comme fondé de pouvoir à la direction industrielle ; y deviendra
sous-directeur en 1964. Le patron d’alors, Jean Reyre, s’attache à la modernisation de l’industrie française. Il charge MDI de suivre, outre le secteur des télécommunications, celui du nucléaire. En 1960, MDI s’adresse à Jacques Lesourne (48), major de sa promotion, futur directeur du Monde, pour cofonder une société de mathématiques appliquées, la Sema.
En 1965, il part en mission aux États-Unis étudier l’informatique d’une grande société (GE), dans le cadre de négociations ardues pour établir des liens en informatique entre Bull et General Electric. Son rapport circule dans l’élite dirigeante de notre pays. Dans les années 60, MDI fut pressenti pour prendre la direction de l’École. Comme haut dirigeant de sa banque, MDI eut jusqu’à 17 mandats d’administrateur pour le compte de Paribas, avec pour mission de valoriser et de moderniser ces entreprises.
Notre pays lui doit énormément. Je m’honore personnellement de son amitié : full disclosure, je lui dois, ainsi qu’à Maurice Bernard (48), mon entrée au comité éditorial de La Jaune et la Rouge.
Pour en savoir plus :
Indjoudjian (Dickran), « Dix ans dans le CNET des débuts », dans Réseaux, Histoire, recherche, télécommunications, sous la direction de Michel Atten, hors-série 14, 1996, chapitre 10, p. 221–233.
« Parcours d’un grand banquier d’affaires », entretien de Bernard Colasse et Francis Pavé avec Dickran Indjoudjian, Annales des Mines, décembre 2000, p. 4–15.
Lesourne (Jacques), Un homme de notre siècle. De Polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000.