Marketing vient de mercure, le successeur d'Hermès

Étymologie :
À propos de marketing digital

Dossier : Marketing digitalMagazine N°746 Juin 2019
Par Pierre AVENAS (X65)

Il y a deux adjec­tifs digi­tal en fran­çais. Le pre­mier signi­fie « rela­tif au doigt » (cf. une empreinte digi­tale), et il pro­longe le latin digi­ta­lis, for­mé sur digi­tus « doigt », d’où viennent en fran­çais doigt et en anglais digit, d’abord au sens de « doigt ». Puis dans ce sens, fin­ger a sup­plan­té digit (cf. fin­ger­print « empreinte digi­tale »), et digit a sub­sis­té, mais à par­tir du XVe siècle dans le sens de « chiffre », d’où au XXe siècle l’anglais digi­tal pour ce qui s’écrit en chiffres, et plus récem­ment pour ce qui fait appel à un ordi­na­teur. De là vient en fran­çais le second adjec­tif digi­tal, un angli­cisme du lan­gage infor­ma­tique qui a pros­pé­ré au détri­ment de numé­rique, pour­tant recom­man­dé par l’Académie.

Appli­qué au mar­ke­ting, digi­tal vient donc du latin par l’intermédiaire de l’anglais. Un pas­sage par l’anglais assez clas­sique, que d’ailleurs le mot mar­ke­ting illustre aussi.

Le commerce, les marchands et les marchés

Tout com­mence en latin avec merx, mer­cis « mar­chan­dise », d’où dérive une grande famille de mots pas­sés au fran­çais pour l’essentiel.

La mar­chan­dise consi­dé­rée pour sa valeur explique le déri­vé merces, mer­ce­dis « prix, rému­né­ra­tion », et au figu­ré, « récom­pense… ou en néga­tif, puni­tion », puis en bas latin « faveur, grâce », abou­tis­sant en fran­çais à mer­ci « grâce, pitié » (cf. à la mer­ci de) et à l’expression mer­ci, d’où le verbe mer­cier en ancien fran­çais, rem­pla­cé par remer­cier en fran­çais (par­fois néga­tif quand remer­cier signi­fie « licencier »).

De merx dérive aus­si en latin le verbe mer­ca­ri « ache­ter », pré­fixé par cum « avec » en com­mer­ca­ri « ache­ter en masse, com­mer­cer », com­mer­cium « tra­fic, commerce ».

De mer­ca­ri lui-même dérivent mer­ca­tor « mar­chand, com­mer­çant » et mer­ca­tus « com­merce, négoce, mar­ché, place du mar­ché ». Ces mots deviennent en fran­çais mar­chand et mar­ché, où l’on voit que la consonne k du latin a évo­lué vers le ch chuin­tant du fran­çais. Cepen­dant, sous l’influence de la langue des Vikings, cette consonne k s’est main­te­nue plus long­temps dans la langue nor­mande, sous la forme mar­ket au lieu de mar­ché (cf. quien au lieu de chien, quêne au lieu de chêne, etc.). Or l’anglais a d’abord emprun­té mar­ket (attes­té au milieu du XIIe siècle) au nor­mand, et plus tard mer­chant (fin XIIIe siècle) au fran­çais : d’où la dif­fé­rence entre mer­chant et mar­ket.

C’est plus tard encore (envi­ron XVIIe siècle) qu’apparaissent en anglais le verbe to mar­ket et le nom mar­ke­ting, d’abord dans le sens fac­tuel de « action de com­mer­cer », puis, pro­gres­si­ve­ment au cours du XXe siècle, dans le sens plus com­plexe de « science du com­merce ». Et c’est dans ce der­nier sens que le mot mar­ke­ting est emprun­té en français.

Une inspiration divine

On rap­proche merx, mer­cis de Mer­cu­rius, le nom latin de Mer­cure, le suc­ces­seur d’Hermès. Avec ses pieds ailés, il est vif et rapide, d’où son nom don­né à la pla­nète la plus proche du Soleil, et plus tard au vif-argent, ce métal liquide étran­ge­ment mobile. C’était le dieu pro­tec­teur des com­mer­çants et des voya­geurs, agiles comme lui, et une mer­cu­riale est res­tée le tableau des prix des mar­chan­dises ven­dues sur les marchés.

Épilogue

L’Académie n’aime pas l’anglicisme mar­ke­ting et recom­mande mer­ca­tique, employé pour une matière ensei­gnée au lycée. Il faut cepen­dant un cer­tain cou­rage pour par­ler de mer­ca­tique dans la vie cou­rante. Est-il vrai­ment utile d’imposer par­tout mer­ca­tique numé­rique à la place de mar­ke­ting digi­tal ?
Peut-être pas ! Dans les deux cas, de toute façon, c’est du latin.

Voir toutes les chro­niques éty­mo­lo­giques de Pierre Avenas

A lire : l’ar­ticle de l’A­ca­dé­mie fran­çaise sur le mot « digital »

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