La start-up militante du biométhane
Waga Energy défend la place du gaz renouvelable dans le mix énergétique en valorisant le biogaz des sites d’enfouissement. Les explications de Mathieu Lefebvre, PDG et co-fondateur de cette start-up engagée dans la transition énergétique.
Dites-nous-en plus sur votre engagement en faveur de la préservation de l’environnement et de la transition énergétique.
L’Humanité connaît depuis le XIXe siècle un développement extraordinaire grâce aux énergies fossiles : charbon, pétrole et gaz naturel. Ce modèle n’est plus supportable, du fait de la raréfaction des ressources et des dommages qu’il cause à l’environnement. Dans un contexte d’urgence climatique et de tensions géopolitiques, nous devons agir et trouver des solutions pour l’avenir de nos enfants.
Waga Energy est née de ce constat. Mes associés Nicolas Paget, Guénaël Prince et moi-même avons créé l’entreprise en 2015 pour contribuer au développement d’une nouvelle source d’énergie indispensable à la transition énergétique : le biométhane, substitut renouvelable du gaz naturel. Sur le plan des usages, l’enjeu principal, c’est le transport et le chauffage, qui représentent plus de 80 % de notre consommation, et pour lesquels nous dépendons principalement des énergies fossiles. L’électricité spécifique (éclairage, appareils ménagers, etc.) ne représentant que 15 % de notre consommation.
Dans ce cadre, vous avez la conviction que le gaz renouvelable est la clé de cette problématique…
Le biométhane est appelé à jouer un rôle essentiel dans le mix énergétique. Il se substitue directement aux énergies fossiles sur les applications de transport et de chauffage, responsables de l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Le biométhane est extrait de la biomasse par la méthanisation des déchets agricoles, agroalimentaires ou ménagers. Il est facilement stocké et transporté grâce aux infrastructures gazières existantes. La filière connaît un fort développement en Europe. Mais le coût de production demeure un frein : bien qu’il soit produit localement, le biométhane demeure plus cher que du gaz naturel importé de Norvège, des PaysBas, d’Algérie ou de Russie, car le coût des externalités positives n’est pas pris en compte aujourd’hui.
Comment contribuez-vous à promouvoir la place du gaz renouvelable dans la transition énergétique ?
Waga Energy mise sur l’innovation pour produire du biométhane à prix compétitif, et même comparable à celui du gaz naturel à moyen terme. Notre solution, baptisée WAGABOX®, récupère le méthane produit spontanément par la dégradation des matières organiques dans les sites d’enfouissement – autrement dit les “décharges“ – et l’injecte dans le réseau de gaz naturel.
C’est une idée de bon sens, mais aussi un défi technologique car le gaz des sites d’enfouissement est très difficile à épurer. Il contient du méthane, mais aussi du dioxyde de carbone, de l’air (azote et oxygène) et des impuretés. Sa composition et son débit varient constamment, au gré des conditions climatiques. La séparation du méthane, de l’azote et de l’oxygène est particulièrement complexe car les molécules sont de taille similaire. Les technologies utilisées pour traiter le biogaz de méthanisation sont inopérantes.
Il n’existait jusqu’à présent aucune solution simple, efficace et économique pour valoriser ce gaz. Au niveau mondial, la plupart des sites d’enfouissement le laissent s’échapper dans l’atmosphère, ce qui contribue au réchauffement climatique : le méthane est un puissant gaz à effet de serre dont la concentration dans l’atmosphère est en forte augmentation. Le stockage des déchets est responsable d’environ 5 % des émissions de GES à l’échelle de la planète, selon la Banque mondiale.
En France, les opérateurs sont tenus de capter le gaz pour éviter les émissions de méthane. Il est détruit en torchère, ou valorisé par combustion dans des moteurs de cogénération, avec des rendements énergétiques faibles : seul un tiers de l’énergie est convertie en électricité, et la chaleur est rarement exploitable du fait de l’éloignement des zones urbaines. La WAGABOX® transforme cette pollution atmosphérique en énergie renouvelable.
En valorisant un sous-produit du traitement des déchets, nous produisons le biométhane le moins cher du marché. Sur un site de grande capacité, nous pouvons nous approcher du prix du gaz naturel livré localement.
Sur le plan technique et technologique, comment avez-vous pu relever ce défi ?
La WAGABOX® est le fruit de dix années de développement au sein du groupe Air Liquide, et de Waga Energy. Elle a été mise au point dans le bassin industriel grenoblois, qui concentre une expertise unique au monde dans l’ingénierie des gaz et la cryogénie. Notre technologie combine deux étapes d’épuration : la filtration par membranes et la distillation cryogénique. La première permet d’extraire le dioxyde de carbone, et la seconde de liquéfier temporairement le méthane pour le séparer de l’azote et de l’oxygène. Nous obtenons ainsi un méthane pur à 98 %, compatible avec les critères d’injection des opérateurs de réseau.
Les WAGABOX® sont de petites usines entièrement automatisées, pilotées à distance depuis notre siège, près de Grenoble. Elles se branchent directement sur le réseau de collecte du gaz du site d’enfouissement, à la place de la torchère ou du moteur de cogénération.
Les WAGABOX® valorisent 90 % du méthane contenu dans le biogaz (le reste est brûlé pour éviter son émission à l’atmosphère) et garantissent un rendement énergétique trois fois supérieur aux solutions basées sur la production d’électricité. Il s’agit clairement d’une technologie de rupture pour la valorisation du biogaz des sites d’enfouissement.
La WAGABOX® s’inscrit donc dans une démarche d’économie circulaire. Comment cela se traduit-il concrètement ?
La WAGABOX® transforme l’énergie contenue dans la partie fermentescible des déchets en énergie renouvelable, pour la restituer à ceux qui ont produit ces déchets par l’intermédiaire du réseau de gaz : c’est effectivement un exemple d’économie circulaire.
Face à l’urgence climatique, nous avons adopté un modèle économique favorisant un déploiement rapide et maîtrisé de cette solution. Waga Energy finance la construction des WAGABOX® dans le cadre de contrats avec les exploitants des sites d’enfouissement pour la fourniture du gaz brut. Nos revenus proviennent de la vente du biométhane aux énergéticiens. Une partie du chiffre d’affaires est partagée avec l’exploitant. En maîtrisant tous les paramètres du projet (autorisations, financement, construction, raccordement, etc.), nous sommes en mesure de mettre une unité en service moins de 12 mois après la signature du contrat.
Quels sont les avantages de votre solution ?
Notre solution présente un double intérêt pour la lutte contre le changement climatique : d’abord, elle donne une valeur économique au gaz des sites d’enfouissement, ce qui incite les opérateurs à le capter au mieux et contribue à réduire les émissions fugitives de méthane ; ensuite, nous produisons une énergie propre, locale et renouvelable, qui se substitue au gaz naturel pour alimenter les particuliers et les entreprises.
La première WAGABOX® a été mise en service en février 2017 avec le soutien de l’Ademe. Nous avons aujourd’hui six unités en exploitation en France, sur des sites opérés par des acteurs industriels (Coved, Suez et Veolia) ou des collectivités. Avec une capacité installée supérieure à 100 GWh, nous alimentons 16 000 foyers, tout en évitant l’émission de 20 000 tonnes de CO2 par an dans l’atmosphère. Quatre nouvelles unités sont en construction. Notre technologie contribue également à améliorer la performance environnementale des sites d’enfouissement. Ceux-ci deviennent des sites dédiés à la production d’énergie 100 % renouvelable et au stockage du carbone – notamment du carbone fossile utilisé pour la fabrication des matières plastiques, en grande proportion dans nos déchets. La seule alternative pour traiter ces déchets ultimes consiste à les incinérer, ce qui revient à transférer ce carbone dans l’atmosphère.
Vos enjeux et perspectives ?
Notre marché est avant tout international : il existe 230 sites d’enfouissement en France et plus de 20 000 dans le monde. Nous travaillons au déploiement de notre solution en Europe et en Amérique du Nord, où nous venons d’ouvrir une filiale. Notre ambition est de mettre une centaine d’unités en exploitation d’ici 2025 pour avoir un impact significatif sur la lutte contre le réchauffement climatique.
La tâche est immense : l’humanité produit plus de 2 milliards de tonnes de déchets par an, et ce chiffre pourrait augmenter de 70 % d’ici 2050 sous l’effet de la croissance démographique et de l’urbanisation. La majeure partie de ces déchets aboutissent dans des sites d’enfouissement. Une fois stockés, ils vont produire du gaz pendant des dizaines d’années. Cela représente des millions de mètres cubes de méthane à récupérer chaque heure !