Les réceptions des ambassadeurs AX : Odile Molle (2002), ambassadrice de l’AX à Moscou
Interview d’Odile Molle (2002), directrice retail et formation du groupe Yves Rocher pour la Russie
Propos recueillis par Alix Verdet
Depuis combien de temps habites-tu à Moscou ?
Je vis en Russie depuis sept ans. J’ai vécu cette expatriation en couple avec mon mari qui est X 2001 (Antonin Molle), lui pour Leroy Merlin, moi pour Auchan à Saint-Pétersbourg. Nous y sommes restés deux ans et demi, puis nous avons été mutés tous les deux à Moscou. Ça fait quatre ans et demi que nous sommes à Moscou. J’ai changé d’entreprise il y a un an, et je travaille chez Yves Rocher, en gardant une activité pour Auchan, car je fais partie du conseil d’administration du groupe Auchan et d’Auchan Russie.
Avais-tu un intérêt particulier pour la Russie avant de t’y installer ?
Je ne connaissais pas du tout la Russie. Nous voulions être expatriés, sans contrainte géographique, ni de timing, ouverts à l’idée de partir n’importe quand et n’importe où. Comme Auchan et Leroy Merlin font partie du même groupe (Association familiale Mulliez), nous avons pu être expatriés de manière concertée. Lorsque la décision fut prise, on nous a envoyés une semaine en voyage de découverte en Russie, alors que nous ne parlions pas russe. Nous avons déménagé en septembre 2012, j’étais enceinte de jumelles qui sont nées en Russie. Nous avons cinq enfants, deux nés en France et trois en Russie.
L’adaptation à la Russie fut-elle compliquée ?
Je dirais que ce n’est pas compliqué, c’est surtout très différent. Il ne faut pas essayer de retrouver des habitudes ou un confort que l’on a en France, il vaut mieux être ouverts aux opportunités, voir les choses de manière positive… Les Russes sont très attachants. Au premier abord, ils peuvent paraître très froids, mais dès qu’un contact s’établit, ils sont très chaleureux.
Le monde du travail y est très différent mais très intéressant. En effet, les Russes, par leur histoire, ont souvent dû s’adapter et ne sont donc pas réfractaires au changement. La mise en place des projets se fait rapidement, on ne sent pas d’inertie. Mais comme tout peut changer très vite en Russie, il est très difficile d’élaborer des plans à long ou moyen terme. En Russie, on vit au jour le jour. C’est très ancré dans la mentalité russe. Comme les Russes ont connu de nombreuses crises économiques et des dévaluations, ils n’épargnent pas comme les Français car ils savent que leur argent peut perdre sa valeur du jour au lendemain. Ça peut leur donner l’apparence négative d’être dépensiers.
Professionnellement, ça induit des situations inédites pour des Français. Par exemple, en tant que manager, j’ai des employés qui peuvent démissionner en juin pour partir en vacances. Comme ils veulent partir dans leur datcha (résidence secondaire à la campagne) profiter de ce qu’ils ont gagné pendant l’année, ils démissionnent puis reprennent un emploi après leurs vacances, car il y a très peu de chômage à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Il faut donc gérer des vagues de démission en juin et des vagues d’arrivée en septembre.
Envisages-tu de faire ta vie là-bas ?
Nous envisageons d’y rester pour un temps indéfini. Nous n’avons pas de projet de retour pour l’instant. Nous sommes tellement bien à Moscou. C’est une ville extraordinaire, très dynamique, en constante évolution. Moscou aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la ville dans laquelle nous sommes arrivés il y a quatre ans et demi. C’est aussi une ville très verte, avec de grands parcs qui deviennent des pistes de ski de fond l’hiver. La richesse culturelle y est très grande, nous avons beaucoup d’occasions de sorties. Et il est très agréable d’y vivre avec des enfants car les Russes aiment beaucoup les enfants. Mais notre pays reste la France, nous avons une maison en France et nous faisons en sorte que nos enfants restent attachés à la France. Mais comme tout peut changer très vite en Russie, nous apprenons aux enfants qu’on pourrait rentrer du jour au lendemain.
“Je voudrais contribuer
à faire connaître l’X en Russie”
Les X sont-ils nombreux à travailler et vivre en Russie ?
À Saint-Pétersbourg, nous étions les seuls X. Comme les sièges des grandes entreprises sont à Moscou, c’est là que sont les X en général. Nous en avons identifié entre 20 et 25 et avons créé un groupe WhatsApp « X à Moscou » il y a trois ans. Nous nous retrouvons tous les deux ou trois mois pour un dîner et pour échanger. Nous sommes assez proches les uns des autres et accueillons immédiatement un nouveau venu dans nos dîners. Début octobre, nous avons accueilli deux nouveaux arrivés, des promotions 2003 et 95. C’est un groupe assez dynamique, soudé, et les différences d’âge et de promo permettent une grande diversité de profils. Nous avons été invités à l’ambassade de France à l’occasion de la signature d’un partenariat entre l’X et une université moscovite. Cette rencontre nous a permis de découvrir d’autres X que nous n’avions pas encore repérés.
Quel genre de métiers y exercent-ils ?
C’est très varié mais en général ils travaillent pour de grosses entreprises françaises comme Total, Saint-Gobain, Vinci, Yves Rocher, Leroy Merlin. Il y a quelques entrepreneurs, un investisseur…
Quel est l’intérêt de se rencontrer régulièrement entre polytechniciens ?
C’est intéressant professionnellement de se retrouver entre X, car ce que l’on vit est très différent de ce qu’on a connu avant et de ce que connaissent nos camarades. L’X n’est pas très connue en Russie donc nous ne sommes pas toujours reconnus ou compris en tant qu’ingénieur polytechnicien. Pour ma part, je suis X Cambridge. Quand je parle de l’X, ça ne dit rien à personne ; quand je parle de Cambridge, ça impressionne. En Russie, être ingénieur ne se traduit pas car l’ingénieur est plutôt un technicien. Nous rencontrons une incompréhension parfois totale de notre parcours d’études. Certains de nous cherchaient des jobs en Russie, ça les a aidés que l’on se rencontre et de partager nos expériences. Dans ces soirées X à Moscou, nous retrouvons notre culture commune qu’est notre formation d’ingénieur, nous nous comprenons par-delà le fait d’être français car il y a des Franco-Russes parmi nous. C’est très ressourçant. Il existe une communauté française importante en Russie mais clairement le groupe X a une importance particulière pour nous. Les membres y sont très fidèles et savent libérer du temps pour nos rencontres.
Pourquoi as-tu accepté d’être ambassadrice ? Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
Comme j’aime beaucoup organiser les rencontres du groupe, ça s’est fait assez naturellement. Ensuite, le fait que l’X ne soit pas connue en Russie a été une difficulté dans ma recherche de travail. Je voudrais donc contribuer à faire connaître l’X en Russie. Être ingénieur en Russie n’est pas synonyme d’études intellectuelles. J’ai donc besoin d’avoir la traduction de ce à quoi les études faites à l’X correspondent ici. Si je veux expliquer mon parcours à des partenaires ou une autre entreprise, je n’ai pas le vocabulaire pour l’expliquer, je ne peux pas faire la comparaison avec quelque chose qui existe en Russie. Ça nous aiderait d’être épaulés sur ce sujet-là.
D’autre part, mon mari et moi, comme nous sommes en Russie depuis un certain temps et que nous y avons l’expérience d’une certaine stabilité, nous souhaitons faire profiter de cet acquis les nouveaux arrivants et faire perdurer cette communication. En dehors de la vie professionnelle, nous vivons notre vie de famille, nous élevons des enfants à Moscou, j’ai accouché à Moscou, nous parlons tous les deux très bien russe. Nous sommes intégrés dans la communauté française et dans la communauté moscovite. Nous sommes bien ici et nous avons aimé l’X. Être ambassadeur des deux côtés, c’est une belle expérience. Je suis ravie de porter la voix de la Russie à l’X et la voix de l’X en Russie.
Enfin, le plus souvent, nous rencontrons les nouveaux par hasard, sans avoir aucun moyen de les repérer. L’idéal serait que nous entrions en contact avec eux avant leur départ. Nous avons donc besoin de communication, de nous faire connaître auprès de la communauté pour que les X candidats à l’expatriation acquièrent le réflexe de s’adresser aux groupes X à l’étranger.
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