Quelles applications pour l’IA dans le domaine des missiles ?
Le missile étant par définition un mobile aérien totalement automatisé, il est vraisemblable qu’il sera également l’un des tout premiers véhicules militaires à embarquer de l’intelligence artificielle. Les premières applications ont déjà été testées et pourraient prochainement être intégrées au sein de systèmes opérationnels.
MBDA, leader européen du domaine, a depuis longtemps lancé une réflexion sur l’apport de l’IA pour la performance de ses produits.
L’IA au service de la détection
À titre d’illustration, la fonction de détection-reconnaissance-identification utilisant l’IA est aujourd’hui mature, avec une première application envisagée sur le système de Missile moyenne portée (MMP) en service dans l’armée de terre depuis 2018. Cette fonction pourra assister l’opérateur à identifier ses cibles dans le flux d’images des caméras de son poste de tir, puis dans le retour d’images de l’autodirecteur du missile en vol. Cette application, qui peut paraître banale à l’heure de Facebook, représente un défi dans le contexte particulier aux armées : l’algorithme d’intelligence artificielle doit en effet fonctionner sur des cibles de petite taille (car en limite de portée visuelle), en images infrarouge (alors que la communauté scientifique s’intéresse principalement à de grosses cibles en imagerie visible), souvent camouflées et, s’agissant d’équipements militaires, généralement peu imagées au préalable. Il a donc fallu créer à partir d’images de synthèse la base de données qui a servi à entraîner l’algorithme et adapter les techniques d’apprentissage automatique au domaine de l’infrarouge. Nous avons porté une attention particulière à la méthodologie de constitution des bases de données d’apprentissage, ainsi qu’aux outils et procédures associés afin de présenter les niveaux d’explicabilité et de transparence nécessaires à l’utilisation opérationnelle de cette IA. Les fausses alarmes étant très pénalisantes, un soin particulier a été apporté pour en réduire le nombre, sans pour autant diminuer la sensibilité de détection.
Préparation de missions
Autre domaine d’application de l’IA : les missiles de « frappe dans la profondeur », pour lesquels de nombreux développements ont déjà été lancés afin d’assister l’opérateur dans sa préparation de mission. Destiné à programmer les phases successives du vol du missile, ce processus exige des opérateurs bien entraînés et conduit à de multiples itérations, au détriment de la réactivité recherchée lors d’opérations de frappe. L’IA peut apporter beaucoup pour la génération automatique de trajectoires de pénétration, qui doit tenir compte d’informations hétérogènes (modèles de terrain, météo locale, situation tactique afin d’éviter les défenses ennemies…) et modéliser le comportement du missile (performances, consommation, etc.).
Dans ce cas, on envisage des techniques hybrides d’IA. Par exemple, l’apport des métaheuristiques permet d’explorer l’espace des solutions en construisant un graphe contenant des trajectoires en cours de construction. Ce graphe s’entend dans toutes les directions de l’espace des solutions en raccrochant un nouveau tronçon de trajectoire à un nœud du graphe (i. e. à une portion de trajectoire). Le point d’attache du nouveau tronçon de trajectoire est choisi en tenant compte des besoins opérationnels, ce qui permet d’aboutir, après plusieurs itérations, à une trajectoire optimisée. L’apport de l’apprentissage automatique intervient pour la modélisation des besoins opérationnels : les modèles ainsi créés offrent un bon compromis entre précision et temps de calcul.
Modélisation des cibles
En phase terminale, les missiles de frappe dans la profondeur se guident aujourd’hui par rapport à un modèle de cible qui doit être préparé, lui aussi, avant la mission. Ces modèles sont généralement issus d’imagerie satellitaire ou de reconnaissance aérienne, et doivent être recalculés pour compenser les différences d’angle de vision entre l’angle de prise de vue et celui d’arrivée du missile sur sa cible. Les études en cours, basées sur l’apprentissage automatique et le Deep Learning, se montrent elles aussi très prometteuses, dans un domaine où l’imagerie spatiale ne manque pas, et grâce notre maîtrise de la génération d’images de synthèse.
Introduire l’IA implique des contraintes
Ces quelques exemples des premières applications développées ne doivent pas faire oublier les précautions que nous avons dû définir pour introduire l’IA dans nos produits : ceux-ci auront recours à une IA de confiance qui devra être explicable, sûre, robuste aux risques de cyberattaque et en accord avec les principes légaux et éthiques en vigueur.
Pour avancer plus vite, il faut s’appuyer sur une vaste communauté mondiale open source, aujourd’hui tirée par les GAFA. Des synergies pourront être trouvées avec les secteurs du médical ou de l’aéronautique civile qui ont, eux aussi, besoin d’une IA fiable, voire certifiable. La question de la souveraineté doit être traitée pour soutenir en Europe les environnements de développements IA et les acteurs de calculateurs embarqués. L’industrie de défense, et notamment MBDA, ne sont pas en retard, au contraire, et on peut même dire que des challenges techniques tels que les réseaux de missiles connectés fonctionnant en meute envisagés pour le Système de combat aérien futur (SCAF) en cours de lancement par la France et l’Allemagne représentent des défis techniques extrêmement stimulants pour nos jeunes ingénieurs.
“ L’IA devra être explicable, sûre et robuste
aux risques de cyberattaque.”
Remettre l’homme dans la boucle
L’IA n’en est qu’à ses débuts dans le domaine de la défense. Des attaques, comme celle qu’a subie le site pétrolier d’Aramco en Arabie saoudite en septembre dernier, préfigurent une tendance lourde du combat futur : le recours à des attaques massives utilisant un grand nombre d’effecteurs (drones ou missiles) afin de saturer les défenses adverses. Les temps de réaction impartis ne permettront plus à l’homme de contrôler directement le tir de ses missiles. Il devra intervenir en amont de l’affrontement pour paramétrer la manœuvre d’ensemble et prioriser – et non plus désigner – les objectifs à traiter. Et c’est à la machine qu’il reviendra de dérouler les plans d’engagement sous la supervision de l’homme en affectant en temps réel les effecteurs aux cibles, pour tenir compte de l’attrition et des aléas du combat. Ainsi, c’est l’homme qui continuera de fixer l’objectif, avec les bornes associées. Quant au système, l’IA fera les optimisations que les systèmes traditionnels seraient incapables de réaliser, répondant ainsi à la montée en complexité que les champs de bataille connaîtront dans les années à venir.