Découvertes
L’inertie de l’esprit humain, sa résistance aux nouveautés ne s’affirment pas, comme on pourrait le croire, dans les masses ignorantes – aisément persuadées dès que l’on frappe leur imagination – mais chez les professionnels qui vivent de la tradition et du monopole de l’enseignement.
Arthur Koestler, Les Somnambules
La Xe Symphonie de Beethoven : une folie
En 1949, Pierre Henry et notre camarade Pierre Schaeffer inventent la musique concrète, fondée non sur l’utilisation d’instruments de musique mais sur l’assemblage de sons de la vie courante – les bruits d’une machine, le cri d’un oiseau, le rire d’une femme – préenregistrés, jetant ainsi les bases de tout un pan de la musique contemporaine. Trente ans plus tard, Pierre Henry, que Beethoven a obsédé toute sa vie, conçoit une œuvre extraordinairement ambitieuse, dont le matériau est constitué des neuf symphonies de Beethoven et des sons de sa bibliothèque personnelle et qu’il nommera
Xe Symphonie Remix. Le résultat : 10 mouvements aux titres évocateurs : Marche dans le temps, Guerre, Aube… que l’on peut considérer comme un hommage à Beethoven ou comme l’image psychanalytique d’une névrose obsessionnelle, une œuvre puissante dans laquelle il convient de s’immerger totalement une heure durant et qui mérite la découverte.
De la Lituanie
La jeune chef lituanienne Mirga Gražinytė-Tyla nous avait fait découvrir les symphonies de Weinberg 1. Elle nous révèle à présent une compositrice lituanienne contemporaine, Raminta Šerkšnyt (née en 1975), qui pourrait bien être à la fois le Mahler et le Chostakovitch du XXIe siècle, avec trois de ses œuvres : Midsummer Song, De profundis, Chants du crépuscule et de l’aube . C’est une musique tonale très élaborée, superbement orchestrée, merveilleusement évocatrice, et qui ne ressemble à aucune autre. Les Chants du crépuscule et de l’aube, oratorio d’une grande richesse orchestrale qui associe quatre solistes et un chœur à l’Orchestre national symphonique de Lituanie, sur des textes de Rabindranath Tagore et le thème d’un raga indien, évoquent immanquablement Le Chant de la Terre de Mahler. Que l’on ne s’y trompe pas : c’est de la grande, de la très grande musique qui restera et qui renouvelle de manière heureuse et inespérée la musique contemporaine, dont trop de compositeurs sont engagés dans des voies sans issue.
Josef Suk
Suk, mort en 1935, élève et gendre de Dvořák, qui fut le plus célèbre des compositeurs tchèques au début du XXe siècle, était presque tombé dans l’oubli, injustement. Il ressuscite avec l’enregistrement de deux de ses œuvres, Asrael – sa deuxième symphonie – et la suite Conte de fées, enregistrés par le Philharmonique tchèque dirigé par Jiří Bělohlávek. C’est une musique bien écrite, remarquablement orchestrée, puissante, foisonnante, émouvante, rigoureusement tonale (comme l’est la musique de Mahler) et qui échappe à tout classement, ce qui est la caractéristique d’une œuvre originale. Si l’on veut à toute force la qualifier, on pourra la situer entre Brahms et Mahler, avec une finesse d’orchestration digne de Tchaïkovski.
Paul Valéry s’attristait d’avoir « lu tous les livres ». L’amateur de belle musique, lui, peut se réjouir : dans la seule musique des XXe et XXIe siècles, il lui reste des centaines d’œuvres à découvrir.