Paul Mentré (54), un haut fonctionnaire libéral
Paul Mentré est décédé le 3 janvier 2020. Il était l’incarnation de l’élitisme et de la technocratie française. À cette différence près qu’il était aussi un libéral convaincu, caractère peu répandu, voire rare, dans son milieu professionnel.
Un haut fonctionnaire libéral : cette définition, qui résonne comme un oxymore, décrit pourtant bien la marque distinctive de la carrière et des écrits de Paul Mentré (54), énarque et inspecteur des finances – comme son père spirituel Valéry Giscard d’Estaing et comme son fils Gilles. Débutant à l’Inspection des finances, puis au sein de la prestigieuse direction du Trésor, il entre au cabinet du ministre de l’Économie et des Finances Valéry Giscard d’Estaing, dont il devient le directeur adjoint. Après la campagne présidentielle à laquelle il prend une part active, il est nommé délégué général à l’énergie auprès du ministre de l’Industrie Michel d’Ornano, l’homme de confiance du président de la République.
Le pilote du programme électronucléaire français
À ce poste, il est chargé de superviser la réalisation du programme électronucléaire – dit programme Messmer – décidé dans l’urgence de la véritable panique qui accompagne le choc pétrolier. Sans expérience préalable, la querelle des filières graphite-gaz et eau légère à peine arbitrée, notre pays lance un gigantesque programme d’investissement, de quelque soixante centrales nucléaires, sans équivalent dans le monde.
Au pays des X ingénieurs, du corps des Mines, du dirigisme industriel, du nationalisme sourcilleux et des monopoles d’État, l’X inspecteur des finances libéral et américanisé, bien qu’un peu isolé, encerclé par le corps des Mines et les X ingénieurs, doit couvrir la coopération entre les deux géants réconciliés : EDF et le CEA. Un attelage surpuissant, rétif et difficile à dompter, mais qui fonctionnera dans l’harmonie et qui donnera à notre pays, bâti sur une décennie, un atout formidable. Rue de Rivoli, il sera aussi ultérieurement président de la banque publique d’investissement : le Crédit national. La France est ainsi délivrée de l’obsession historique du manque de ressources charbonnières et pétrolières, ce qui, en plus, l’autorise aujourd’hui à prendre la tête de la diplomatie du climat.
En poste à Washington comme conseiller financier de l’ambassade de France, administrateur du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, il était devenu un expert, un admirateur inconditionnel et un ardent propagandiste du système économique des États-Unis, de l’économie de marché et de la dérégulation.
Mais la politique, ce n’est pas seulement la grande stratégie et les relations internationales. Pour mieux la connaître au niveau de base, il choisira de la pratiquer comme militant du Parti républicain et comme élu local (en Normandie).
La marche vers l’euro et l’exemple américain
Autre tournant historique dont Paul Mentré a été un acteur privilégié : la mise en place du cadre qui allait permettre la création de l’euro à travers l’action d’influence décisive du Comité Giscard-Schmidt pour l’Union monétaire de l’Europe, dont il a été le secrétaire exécutif de 1986 à 1993. Au ministère des Finances, il avait été le témoin des limbes de l’euro – l’inconvertibilité du dollar, l’instabilité des changes flottants, la mise en œuvre du « serpent » puis du système monétaire européen, la nécessité d’aller au-delà des parités fixes vers la monnaie unique. Observateur attentif, à chaque étape de la construction communautaire, de l’importance décisive de la convergence franco-allemande et du legs de Jean Monnet « rien ne se construit sans les hommes, rien ne dure sans les institutions », Paul Mentré sera aussi cofondateur et vice-président du Conseil d’analyse économique franco-allemand.
Les évolutions politiques lui ont donné raison. Précurseur, parfois un peu isolé dans ses combats, il aura accompagné son pays – le nôtre – dans sa trajectoire vers l’économie internationale, le libéralisme économique, l’Europe.