Méditation
Vivre, c’est vivre l’instant présent. On ne peut pas vivre dans le passé ni le futur : on ne peut qu’y réfléchir, y spéculer, y ressasser ses regrets, ses espoirs, ses craintes. Pendant ce temps, on n’existe pas. […] Rien ne remplace l’expérience de l’instant présent.
Christophe André, Méditer, jour après jour.
Méditer, disent les pontifes, c’est évacuer toute pensée, toute préoccupation, pour nous concentrer sur l’instant présent et les sensations qu’il génère en nous. Or il est deux façons d’entendre la musique : être bercé par elle en laissant nos pensées vagabonder ; ou l’écouter intensément, mesure après mesure, en suivant, par exemple, l’alto dans un quatuor, rien ne compte alors que l’instant présent et la note fugace. Au fond, la musique, si l’on sait l’écouter, est le meilleur adjuvant à la méditation.
Beethoven – Sonates par Fazil Say
Avec l’année Beethoven, les intégrales des Sonates pour piano se succèdent. Après András Schiff 1, voici Fazil Say. On attendait de cet enfant terrible du piano à la technique implacable et au jeu souvent ébouriffant une version décoiffante ou au moins inattendue. En réalité, nous dit-il dans le livret qui accompagne le coffret, Fazil Say nous livre là le résultat de deux années de travail intense, et nous donne une véritable interprétation ; c’est-à-dire qu’il n’essaye pas d’imaginer comment devait jouer Beethoven – impossible gageure – mais qu’il donne sa vision personnelle de ces sonates, vision totalement romantique, la plus romantique qu’il nous ait été donné d’entendre, mais avec sérénité. Liszt ou Chopin devaient les jouer ainsi. En écoutant Fazil Say, impossible de penser à autre chose : la musique s’impose à vous.
- 9 CD Warner
Brahms, clarinette
Avec le Quintette pour clarinette et quatuor de Brahms, difficile de méditer : c’est la mélancolie même ; votre passé est là, quel que soit votre âge, et le souvenir des jours heureux. De cette œuvre, dont le violoniste Joachim disait qu’elle était l’une des meilleures que Brahms ait jamais écrites, le clarinettiste Florent Héau donne, avec l’excellent Quatuor Voce, une interprétation qu’on pourrait dire expressionniste, profondément émouvante, et qui dépasse peut-être, avec une prise de son de qualité exceptionnelle, la version légendaire de Karl Leister avec le Quatuor Amadeus (1967). On pense au vers d’Aragon qui pourrait servir d’exergue à ce quintette : « Dites ces mots – ma vie – et retenez vos larmes. » Sur le même disque, le Trio pour clarinette, violoncelle et piano, avec Jérôme Pernoo et Jérôme Ducros.
- 1 CD Klarthe
Rachmaninov – Concertos 1 et 3 par Daniil Trifonov
On connaît bien Daniil Trifonov, sa technique d’acier, son jeu étincelant non dépourvu de profondeur. On connaît bien, aussi, le 1er Concerto pour piano de Rachmaninov (qui servit autrefois d’indicatif à Apostrophes, l’émission de Bernard Pivot) et le légendaire 3e Concerto, d’une exceptionnelle richesse mélodique et harmonique et d’une grande difficulté technique. Trifonov les a enregistrés en 2019 avec l’Orchestre de Philadelphie dirigé par Yannick Nézet-Séguin. Il y a là une parfaite adéquation entre un interprète et deux œuvres qui constituent, avec le 2e Concerto, le sommet du concerto postromantique. Sur le même disque, deux transcriptions pour piano d’œuvres orchestrales, dont la célèbre Vocalise.
- 1 CD Deutsche Grammophon
Marina Chiche – Nostalgie
Sous le titre Post-scriptum, la merveilleuse violoniste Marina Chiche, accompagnée au piano par Aurélien Pontier, a rassemblé une vingtaine de ces pièces que les violonistes de légende Fritz Kreisler et Jascha Heifetz jouaient souvent en bis, parfois même en récital, pièces empreintes de ce que Pérec appelait « une impalpable petite nostalgie ». Parmi ces délices proustiennes, les célèbres Schön Rosmarin, Liebesfreud, Liebesleid, de Kreisler ; et des pièces moins connues et non moins exquises de Korngold, Heifetz, Fauré, Debussy, Mendelssohn, Kroll, Schumann. Il y a quelque magie à déclencher ainsi, chez l’auditeur, ce sentiment du temps qui passe et ces deux musiciens y parviennent avec cette élégance légère qui est la marque de l’aristocratie en musique. Carrez-vous dans votre fauteuil, munissez-vous d’une théière de thé blanc bien chaud, avec si possible quelques madeleines tièdes, et ne pensez plus à rien – qu’à la musique.
- 1 CD NoMadMusic