Michel Hug

Michel Hug (49) acteur majeur de la filière nucléaire française

Dossier : TrajectoiresMagazine N°754 Avril 2020
Par Yves BRÉCHET (X81)
Par Jean FLUCHERE

Michel Hug est décé­dé le 19 décembre 2019. Ses réa­li­sa­tions et son expé­rience méritent d’être rap­pe­lées à la mémoire de nos déci­deurs et de nos conci­toyens, au moins pour inci­ter à la réflexion.

Michel Hug a été l’un des acteurs majeurs qui ont réa­li­sé l’exploit de construire le parc élec­tro­nu­cléaire fran­çais en l’espace d’une décen­nie : 54 tranches rac­cor­dées de 1977 à 1990. Sa mémoire n’a pas été hono­rée comme elle aurait dû l’être. Son décès nous donne l’occasion de reve­nir sur ce véri­table « pro­gramme Apol­lo » à la fran­çaise, comme le disait Pierre Mess­mer, à l’heure où notre pays peine à conduire et à fina­li­ser de grands pro­jets industriels.

Michel Hug a été direc­teur de l’Équipement à EDF de 1972 à 1982. À ce titre, il a lan­cé sur les rails le pro­gramme élec­tro­nu­cléaire fran­çais. Entre 1972 et 1982, Michel Hug, sou­te­nu par Mar­cel Boi­teux, avec un gou­ver­ne­ment qui avait une stra­té­gie claire, a mis en place une orga­ni­sa­tion rigou­reuse et per­for­mante en matière de délais et de coûts de construc­tion, qui laisse aujourd’hui admi­ra­tif et qui reste inéga­lée dans le monde.

Une stratégie industrielle de déploiement

En 1972, la situa­tion de l’Équipement était simple : il y avait la direc­tion, le Ser­vice études et pro­jets ther­miques et nucléaires (Sep­ten), et les Régions d’équipement. Leur orga­ni­sa­tion était bien struc­tu­rée, mais chaque Région avait des pra­tiques de desi­gn et de construc­tion dif­fé­rentes. Lorsqu’en 1974 Michel Hug fut char­gé de construire 26 tranches de 900 MW, dans un mini­mum de temps et à moindre coût, il devint indis­pen­sable de nor­ma­li­ser la construc­tion. Michel Hug déci­da de faire des ins­tal­la­tions stan­dards : « les paliers ». Un seul archi­tecte ensem­blier, le Sep­ten, char­gé du desi­gn et des études de prin­cipe, des rela­tions avec l’ASN (alors nom­mée SCIN), et de l’écriture des Cahiers des spé­ci­fi­ca­tions tech­niques des maté­riels. Les anciennes Régions d’équipement sont alors trans­for­mées en Centres d’ingénierie char­gés cha­cun d’un lot de construc­tion, avec la mis­sion de réa­li­ser les plans d’exécution et d’adaptation aux spé­ci­fi­ci­tés des sites.

Chaque centre sera aus­si char­gé de la direc­tion des tra­vaux d’aménagement d’un ou deux sites. Un seul ser­vice est char­gé de trou­ver les sites de construc­tion avec pour mis­sion de cher­cher des sites suf­fi­sam­ment éten­dus pour y construire la future géné­ra­tion. Avan­tage de l’effet palier : un robi­net man­quait sur un chan­tier ? On le rem­pla­çait par un robi­net d’un autre chan­tier, moins avan­cé. Un alter­na­teur avait une ava­rie juste avant son cou­plage au réseau, on le rem­pla­çait en trois mois. La qua­li­té des sou­dures ? « Nous avons for­mé les meilleurs à la sou­dure sur blanc et sur acier inox », se rap­pe­lait, au soir de sa vie, Michel Hug. Les délais de construc­tion exi­geaient qu’aucun maté­riel ne soit rebu­té pour non-confor­mi­té lors des arri­vées pour mon­tage sur site. Il crée alors le Ser­vice de contrôle des fabri­ca­tions (SCF) qui met­tra les ingé­nieurs les plus expé­ri­men­tés pour suivre la tota­li­té du pro­ces­sus de fabrication.

Le choix d’une filière unique

Le choix d’une filière unique, sous licence Wes­tin­ghouse, était en concur­rence avec la filière à eau bouillante, por­tée par la toute-puis­sante Com­pa­gnie géné­rale d’électricité. Il fau­dra toute la force de convic­tion de Michel Hug et de Mar­cel Boi­teux pour démon­trer au gou­ver­ne­ment que la France ne pou­vait pas se payer le luxe de deux filières même si toutes deux étaient à eau ordinaire.

Le résul­tat est là : la France est le seul pays au monde à avoir rac­cor­dé au réseau élec­trique 54 tranches (34 de 900 MW et 20 de 1300 MW) en treize ans de 1977 à 1990. Paral­lè­le­ment, on construi­sait 2 tranches de 900 MW à Koe­berg en Afrique du Sud et 2 tranches de 900 MW en Chine à Daya Bay. En 1990, la filière nucléaire fran­çaise repré­sen­tait 220 000 sala­riés et sa répu­ta­tion était mondiale.

2 Commentaires

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Lau­vauxrépondre
11 avril 2020 à 12 h 57 min

Mer­ci pour cet hom­mage à un grand ancien qui en méri­tait bien d’autres à l’heure où un gou­ver­ne­ment à l’im­pé­ri­tie comme seule gou­verne ne sait que fer­mer Fes­sen­heim : EHPAD, cen­trales nucléaires, même com­bat, les anciens à la trappe.

Jean COIFFARDrépondre
5 mai 2020 à 14 h 35 min

J’ai tra­vaillé auprès de Michel Hug quand il fut direc­teur géné­ral de Char­bon­nage de France après avoir quit­té EDF. Il y a réus­si une mis­sion bien dif­fé­rente : mettre fin à l’illu­sion de la relance char­bon­nière esquis­sée après les chocs pétro­liers des années 1970, enga­ger la fer­me­ture sans drames de l’ex­trac­tion et construire un ave­nir pour les acti­vi­tés indus­trielles avales, prin­ci­pa­le­ment la chi­mie et la géné­ra­tion élec­trique. J’ai obser­vé com­ment il a su avan­cer sur une ligne de crête bor­dée de pré­ci­pices : baron­nies des bas­sins houillers acti­vant leurs réseaux poli­tiques locaux, syn­di­cats arc-bou­tés sur leur sta­tut, « tutelles » alter­nant hési­ta­tions et contra­dic­tions. Je me rap­pelle qu’il avait tou­jours deux idées d’a­vance. Il voyait plus vite et plus loin car il voyait de plus haut.
Il a su ral­lier lar­ge­ment à ses convic­tions grâce à son infa­ti­gable pug­na­ci­té. L’ad­ver­si­té ne le décou­ra­geait pas, elle le sti­mu­lait. Il déployait alors sa dia­lec­tique imper­tur­bable en dosant séduc­tion ou confron­ta­tion, et on ne pou­vait qu’ad­mi­rer l’artiste !
Les suc­ces­seurs de Michel Hug ont pu ins­crire leur action dans les voies qu’il avait tracées.

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