Déchets du numérique

Comment recycler les déchets du numérique ?

Dossier : Numérique et environnementMagazine N°754 Avril 2020
Par Francis CHARPENTIER (75)
Par Christian THOMAS (72)

Les équi­pe­ments élec­tro­niques et notam­ment les cartes élec­tro­niques qui sont mis au rebut contiennent quan­ti­té d’éléments chi­miques, notam­ment des métaux, dont le recy­clage est de nature à faire éco­no­mi­ser des coûts à l’industrie et des nui­sances à l’environnement. Il est donc impor­tant de savoir si le recy­clage, qui est une poli­tique publique reven­di­quée en Europe, pro­gresse réel­le­ment et com­ment l’améliorer.

Le recy­clage des métaux des « mines urbaines » est effi­cace sur le plan éner­gé­tique, en rai­son de la concen­tra­tion des métaux supé­rieure à celle des mines clas­siques, qui dimi­nue l’énergie néces­saire à leur extrac­tion. Il faut tout faire pour recy­cler ces matières ! Aus­si nous tra­vaillons sur un pro­jet indus­triel, nom­mé Sanou Kou­ra (« la renais­sance de l’or », en langue bam­ba­ra), pour la mise en place d’une usine dédiée à l’extraction des métaux des cartes élec­tro­niques. Il s’agit de trai­ter les cartes de tous les appa­reils numé­riques (PC, smart­phones, etc.). En plus de la pro­duc­tion de métaux, le trai­te­ment des plas­tiques par inci­né­ra­tion pro­duit une cha­leur impor­tante. Une par­tie de la cha­leur est uti­li­sée pour ali­men­ter les pro­cé­dés de l’usine. L’excédent peut être uti­li­sé pour chauf­fer quelques hec­tares de serres agricoles.


REPÈRES

Les déchets élec­tro­niques (DEEE) contiennent de l’or, impor­tant en valeur éco­no­mique et en empreinte CO2. Or la concen­tra­tion des mines d’or du Mali est de 1 g/t, pour les cartes élec­tro­niques on est entre 10 et 300 g/t. Pour le pal­la­dium, le rap­port est de 5 g/t contre 70 g/t. En moyenne, l’extraction à par­tir de cartes élec­tro­niques est 5 à 10 fois moins pro­duc­teur de CO2 que l’extraction à par­tir de mines. 


Quels sont les taux de recyclage ? 

Le taux de col­lecte, faible, tourne autour de 25 % dans le monde et de 35 % en Europe. Atten­tion à dis­tin­guer les chiffres de mesure des objets com­plets (réfri­gé­ra­teurs et ordi­na­teurs mélan­gés) et ceux qui mesurent la masse des cartes élec­tro­niques seules, pour les­quelles on tourne autour de 2,4 Mt aujourd’hui, dont 600 000 t seule­ment sont col­lec­tés pour le recy­clage. Les cartes col­lec­tées sont sales, pol­luées, cas­sées, mélan­gées. Une par­tie est per­due, mais les méthodes de tri pro­gressent grâce au tri optique et aux pro­cé­dés par flot­tai­son. L’aluminium est récu­pé­ré par cou­rants de Fou­cault et les fer­railles le sont par aiman­ta­tion. Puis les cartes récu­pé­rées deviennent la matière pre­mière de la métal­lur­gie extrac­tive. On extrait le cuivre, l’or, l’argent et le pal­la­dium, qui relèvent de la métal­lur­gie du cuivre. Le cuivre reste le métal prin­ci­pal dans une carte.

D’autres métaux, étain, cobalt, nickel, tan­tale, sont actuel­le­ment per­dus mal­gré leur valeur éco­no­mique. Ain­si les 2 % d’étain méri­te­raient d’être récu­pé­rés. L’un des enjeux est donc : com­ment les récu­pé­rer ? Le cobalt mérite aus­si l’attention, puisqu’on en trouve 30 % dans les bat­te­ries lithium-ion, qui pèsent pour 25 % des pro­duits élec­tro­niques. Il faut sépa­rer les bat­te­ries pour le trai­te­ment, mais cer­tains pro­duits très inté­grés ne le per­mettent pas. Quant au sili­cium des pro­ces­seurs ? C’est quan­ti­té négli­geable, il n’y a presque rien à récupérer.

Avec le pro­jet Sanou Kou­ra on va indus­tria­li­ser la col­lecte de l’ensemble de ces métaux dans une ins­tal­la­tion dédiée. En effet, neuf fon­de­ries de cuivre dans le monde sont équi­pées des pro­ces­sus per­met­tant d’incorporer des cartes élec­tro­niques, mais elles n’en prennent qu’un flux mar­gi­nal (10 %). Car les cartes contiennent des halo­gènes, des plas­tiques, qui sont éva­cués sous forme de gaz mais qui per­turbent les fours à 1 200 °C au-delà d’une cer­taine concen­tra­tion. Trois de ces fon­de­ries sont euro­péennes, Umi­core en Bel­gique, Lünen en Alle­magne, Rönnskär en Suède. Les métaux récu­pé­rés sont réuti­li­sés par l’industrie, par exemple pour la pro­duc­tion de fils élec­triques. Comme l’Europe est défi­ci­taire en métaux, toute la pro­duc­tion est réuti­li­sée en Europe. Plu­tôt qu’exporter les déchets, l’Europe aurait inté­rêt à trai­ter tous ses déchets, voire à en importer.

Quelle est la difficulté du problème chimique de séparation ?

Il y a 50 élé­ments chi­miques pré­sents dans les DEEE. En com­pa­rai­son, un mine­rai de cuivre ne contient pas plus de 15 élé­ments. Le corps humain en contient une ving­taine. Sur ces 50 élé­ments, on trouve des métaux anta­go­nistes dans les appa­reils. Le cuivre, le fer, l’aluminium s’oxydent tout de suite dans un four. On obtient des sco­ries vis­queuses par exemple avec l’aluminium. Les halo­gènes com­pliquent la chose, pas seule­ment parce qu’ils ont ten­dance à for­mer des sels avec les nom­breux métaux. Ain­si le brome (uti­li­sé dans les retar­da­teurs de flamme) se trouve dans les fumées sous deux formes gazeuses (HBr et Br2), mais en refroi­dis­sant on obtient des dioxines de brome avec le car­bone, hau­te­ment toxiques. On doit conce­voir des étapes com­pli­quées de trai­te­ment de gaz pour arri­ver à un gaz propre.

Quant aux grandes approches tech­niques, c’est prin­ci­pa­le­ment la pyro­mé­tal­lur­gie. La voie de l’hydrométallurgie ne fonc­tionne tou­jours pas. La sépa­ra­tion phy­sique après broyage ne suf­fit pas, même avec un broyage très fin. Il y a encore trop de perte et on crée un déchet toxique bro­mé. C’est employé en Asie, mais ce n’est pas assez effi­cace et c’est pol­luant. Aujourd’hui, on cherche à com­bi­ner les méthodes. Trou­ver la bonne séquence des opé­ra­tions crée le bon pro­cé­dé. Chaque métal, par­mi les 50 élé­ments pos­sibles, a son iti­né­raire dans les étapes des pro­cé­dés, qu’il faut comprendre.

“L’Europe aurait intérêt à traiter tous ses déchets,
voire à en importer.”

Quelles sont les opportunités pour le traitement des DEEE ?

L’Europe est un grand mar­ché de consom­ma­tion des pro­duits élec­tro­niques (25 % de l’électronique mon­diale) alors qu’elle n’en pro­duit pas. Le flux de métaux entrants conte­nus dans ces pro­duits est donc très impor­tant. Par exemple 60 % du tan­tale mon­dial, métal stra­té­gique, est uti­li­sé par l’industrie élec­tro­nique. Donc nous pou­vons théo­ri­que­ment récu­pé­rer 15 % de la pro­duc­tion mon­diale, bien plus que la pro­duc­tion de nos deux mines euro­péennes, en France et en Espagne. En Europe, le tan­tale sert à l’aéronautique pour les alliages, il sert aus­si pour l’électronique médi­cale. Son recy­clage pour­rait satis­faire une bonne par­tie de nos besoins. Notre future usine Sanou Kou­ra sera capable aus­si de trai­ter à la fois le tan­tale des cartes et celui des mine­rais. Dans cinq ans on pour­rait acqué­rir l’indépendance européenne.

Le marché du recyclage est-il sensible au prix des matières premières ? 

Pas vrai­ment, car la carte élec­tro­nique pos­sède une valeur éco­no­mique en elle-même. Le déchet est ache­té en fonc­tion du prix du mar­ché des métaux extrac­tibles (Au, Ag, Pd, Cu). Quand on revend les métaux extraits, c’est éga­le­ment au prix de mar­ché. Si on tra­vaille sur la cou­ver­ture finan­cière des fluc­tua­tions, on peut fonc­tion­ner de façon neutre. La sen­si­bi­li­té au prix des métaux est assez faible. Sauf pour les métaux qu’on ne paye pas (notam­ment pour Sn et Co) mais pour ceux-là ça fonc­tionne comme un bonus. Le sur­coût du pro­ces­sus n’est pas énorme quand on le com­pare aux coûts d’extraction des mines classiques. 

Le fait que les grands acteurs (fon­de­ries de cuivre) ali­mentent leurs usines avec les cartes élec­tro­niques tient au fait que leur recy­clage est ren­table. Une grande par­tie des cartes reste non trai­tée. On est en excé­dent de cartes. Il y a donc un gros gise­ment encore à exploi­ter ! Le pari Sanou Kou­ra est de déve­lop­per une tech­no­lo­gie dédiée, qui vien­dra com­plé­ter la filière exis­tante des fon­de­ries de cuivre. 

Quelles sont les pratiques à l’international ?

En Inde et en Chine, jusqu’à main­te­nant ce sont des trai­te­ments de fonds de cour. On récu­père de l’or avec le cya­nure. Le tan­tale est trop com­pli­qué à trai­ter en Inde ou en Afrique mais, si c’est cor­rec­te­ment trié et col­lec­té sur place, on peut envi­sa­ger de l’envoyer vers des centres spé­cia­li­sés. La conven­tion de Bâle sur l’exportation de déchets exige que, si on exporte des déchets, il faut s’assurer qu’ils puissent être trai­tés selon les normes. D’un côté cer­tains pays, les USA notam­ment, n’ont pas signé la convention. 

D’un autre côté, la Chine a arrê­té de rece­voir les déchets. La Chine a pris conscience du pro­blème et va régler le pro­blème de ses fonds de cour toute seule dans les cinq ans qui viennent. En Afrique et en Inde, les DEEE sont trai­tés de façon par­tielle, une par­tie impor­tante est brû­lée avec des consé­quences envi­ron­ne­men­tales néfastes. Mais il y a une éco­no­mie des déchets dont vivent les popu­la­tions. Com­ment faire pour qu’en Afrique ou en Inde on amé­liore la situa­tion, en aug­men­tant la valeur pro­duite loca­le­ment ? L’enjeu est de les accom­pa­gner pour que les popu­la­tions puissent en extraire plus de valeur, dans de meilleures condi­tions sur le plan sanitaire. 

Est-ce que le Design for Recycling progresse ? 

Mal­heu­reu­se­ment non. La concep­tion de pro­duits en vue de favo­ri­ser le recy­clage s’est plu­tôt dégra­dée, en rai­son de la minia­tu­ri­sa­tion et de la com­pac­ti­fi­ca­tion des com­po­sants. Par exemple, on ne peut plus sépa­rer les bat­te­ries des appa­reils nomades. C’est pro­blé­ma­tique parce que cela a pro­vo­qué des incen­dies dans les pre­miers centres de trai­te­ment de DEEE. De grands acteurs comme Apple com­mu­niquent sur leur « ver­dis­se­ment ». On voit un robot qui désosse un iPad ou un iPhone en dix minutes. C’est spec­ta­cu­laire mais ce n’est pas la solu­tion pra­tique. Il faut amé­lio­rer le desi­gn, ce qui n’est pas fait.

L’écart de régle­men­ta­tion entre l’Europe (direc­tive RoHS) et l’international non euro­péen pose un pro­blème. Par exemple, le plomb est ban­ni des sou­dures (RoHS) en rai­son de sa toxi­ci­té mais, à chaque fois qu’on ana­lyse des équi­pe­ments, on en trouve sys­té­ma­ti­que­ment. On n’a pas le gen­darme pour véri­fier que les sèche-che­veux n’en contiennent pas. Les équi­pe­men­tiers télé­com sont conformes, mais pas tous les fabri­cants de l’électronique grand public !


RÉFÉRENCES

Chris­tian Tho­mas, « Recy­clage des cartes élec­tro­niques : un aper­çu de l’état de l’art », Annales des Mines, Res­pon­sa­bi­li­té et envi­ron­ne­ment, n° 82, avril 2016.

« Recom­man­da­tions du Comi­té des métaux stra­té­giques pour le déve­lop­pe­ment de com­pé­tences indus­trielles fran­çaises dans le recy­clage des métaux cri­tiques », Avis du Comes, mars 2018.


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Commentaire

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Sen­salrépondre
19 novembre 2022 à 14 h 10 min

Il ne faut pas confondre déchets issus du monde numé­rique (déchets élec­tro­niques) et déchets numé­riques, qui sont les mails, les pho­tos les fichiers pou­belles qui sont sto­ckés sur les ser­veurs et consomment une éner­gie non négligeable.
Il y un artiste,( Arse­ne­ca) qui recycle d’ailleurs nos déchets numé­riques en oeuvre d’art.
https://www.arseneca.com/produits-recycles/

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