Cheminer autour du Général
J’ai eu le temps d’aller au cinéma voir le De Gaulle de Gabriel Le Bomin, juste avant qu’on soit confiné. Autant le dire tout de suite, malgré ses plus de 500 000 spectateurs sur la première semaine d’exploitation et la seule, ce film n’est pas bon ; non sans qualités, mais pas bon ; autant le savoir, au cas où il ferait l’objet d’une reprise d’exploitation à la sortie du confinement. Avant d’essayer de définir pourquoi, je veux le replacer dans un contexte particulier, le mien.
Si je suis allé voir cette production dont, par intuition, je craignais sinon le pire du moins le médiocre, c’est que mon particulier trempe dans le Général depuis plusieurs mois. On enchaîne les lectures selon des logiques contingentes, un livre (ou un film) donnant l’idée et l’envie d’en lire (voir) un autre par association ; et puis un jour on brise la chaîne et on passe à d’autres enchaînements. Je trempai fut un temps dans les Bourbons, de père en fils et en Petitfils (Jean-Christian, fils de Pierre et sans doute petit-fils de quelqu’un). Jadis (presque naguère mais pas autrefois) on m’offrit amicalement une biographie insatisfaisante de Jean Moulin ; un cultivé autre ami s’étonna de mon appréciation, car il avait lu une excellente bio de Pétain du même auteur (Bénédicte Vergez-Chaignon) ; je confirme que ce livre sur le Maréchal est exemplaire, il me donna envie d’en savoir plus sur de Gaulle. C’est ainsi que je lus les Mémoires de guerre du Général, dans l’excellente édition de la Pléiade.
Les Mémoires de guerre du Général
Ce n’est pas faire preuve d’une grande précocité que de lire les Mémoires de guerre à soixante ans largement dépassés. J’assume mes lacunes. Peut-être avec plus de maturité ai-je mieux apprécié l’œuvre. Toujours est-il que ce texte mérite le haut niveau auquel on le place communément. Cela restera pour moi un moment fort de mon activité de lecteur ; la forme en est impeccable, la langue exemplaire, la clarté de la pensée indépassable ; les notes de l’édition savante permettent de rectifier les faits lorsque la culture historique du lecteur est prise en défaut ; indépendamment des biais introduits consciemment ou non pour l’objectif visé par l’auteur et a contrario du caractère admirable de l’aventure contée, l’œuvre est en elle-même un monument de la littérature française. Elle me donna envie de lire ce que Churchill pouvait dire de son côté, notamment sur le Connétable.
Celles de Churchill
Je passai donc un temps certain à lire les deux tomes des Mémoires de guerre dudit Sir Winston, dans l’édition par François Kersaudy de la massive version résumée publiée à la fin des années 50 sous la direction du Premier ministre lui-même (lequel François Kersaudy est l’auteur notamment d’une très bonne bio du descendant de Marlborough, ainsi que d’un ouvrage sur les relations entre Churchill et de Gaulle qui n’apprend rien qu’on ne sache déjà). Lecture aisée à court terme, qui dans la durée paraît paradoxalement plus pénible que celle du Grand Charles pourtant plus long, car c’est de l’histoire de journaliste (Lacouture prouve néanmoins qu’on peut être journaliste et rigoureux, et écrivain) et non une « œuvre ».
Les erreurs abondent, la prose bat facilement la campagne, rares sont les formules marquantes, on sent le raboutage de contributions diverses par un auteur peu regardant au résultat. Je n’y ai notamment pas trouvé ces portraits de personnage qu’on a chez le Français et qui en cinq lignes ou en deux pages habillent pour l’éternité, en bien ou en mal, celui qui en est le sujet. J’en conclus que l’Anglais était meilleur orateur qu’écrivain, peut-être parce qu’il travaillait davantage à ses discours, qui en demandaient moins. Les Nobel certes pouvaient difficilement lui donner le prix de la Paix… France un, perfide Albion zéro !
La biographie de Lacouture
Après l’action de De Gaulle vue par lui-même, une biographie d’icelui ? Je suis allé vers Jean Lacouture, trois tomes d’un petit millier de pages chacun : plus je lis des bio, plus je suis convaincu qu’on ne peut raconter la vie d’un grand humain en moins de 800 pages. Cette biographie date un peu (du milieu des années 80) mais je suis convaincu, alors que j’approche de sa fin, qu’on ne peut faire mieux ; sans doute tel ou tel point a‑t-il été complété ou rectifié depuis lors avec de nouvelles recherches ; mais, en tant que globalité, comment faire plus clair et plus complet ? En outre, ce que l’analyse perd en termes de recul par rapport au sujet (le premier président de la Ve République était encore au pouvoir une quinzaine d’années auparavant), elle le gagne et au-delà en vivacité des témoignages, dont celui de l’auteur qui a en tant que journaliste participé à beaucoup d’événements relatés à partir des années 50. Il ne manque d’ailleurs pas de relever ses propres erreurs de jugement sur le moment.
Je suis vraiment admiratif devant le travail réalisé : comme dans les ouvrages du personnage sujet du livre, la forme est parfaite, l’écriture impeccable, la clarté toujours évidente ; le contexte de l’action du personnage est décrit à chaque occasion en juste proportion avec ce qui est nécessaire pour comprendre cette action ; et il n’est pas de page qui ne soit agrémentée par une référence culturelle pertinente, une formule percutante, une réflexion éclairante. L’auteur, venant de rivages politiques éloignés de ceux du personnage, a été manifestement subjugué par son sujet mais n’en est jamais l’otage, ce qui est le défaut le plus naturel du biographe. On ressort de la lecture plus intelligent qu’on n’y est entré.
Des faiblesses dans la réalisation
Ce qui n’est pas le cas pour le film qui est le prétexte à cette promenade intellectuelle autour de De Gaulle. Citons par honnêteté ses qualités : le décorateur est excellent et le cadre matériel fort bien restitué ; l’opérateur aussi, qui nous donne de belles images ; Tante Yvonne et Sosthène sont flattés par les acteurs qui les incarnent. Le problème est dans le scénario. Les auteurs ont choisi de donner pendant la dizaine de jours autour du 18 juin 1940 où se passe l’action une place aussi grande à l’intime du Général qu’à l’action publique ; cela humanise le personnage et je n’ai rien contre (son amour sincère pour sa famille et notamment pour sa fille handicapée est connu) ; mais, s’il s’est inquiété de sa famille en ces jours, cela paraît artificiellement exagéré dans le film.
Quant à l’action, les scènes gouvernementales en France sont d’un théâtral insupportable et traduisent à mon avis fort mal l’ambiance du moment. Accessoirement, je ne sache pas qu’on saluât le chef découvert dans les couloirs à cette époque de l’armée française… Reste le personnage principal. Lambert Wilson a raison d’incarner sans singer Charles. Mais comment y croire ? L’intéressé est tellement typé qu’on a du mal à adhérer à sa transposition laborieuse. La magnifique voix du comédien trahit quoiqu’il fasse l’original rugueux et c’est Lambert Wilson qu’on entend. Un acteur a besoin d’être dirigé : c’est dans les lacunes du réalisateur qu’il faut situer l’origine de l’échec, ainsi que dans celles des scénaristes, dont le réalisateur est aussi responsable ; on ne fait pas faire un chef‑d’œuvre à un tâcheron ; la bonne volonté ne supplée pas au manque de génie.
Messieurs les Anglais
Par comparaison, l’évocation de Churchill dans la même période réalisée en 2017 par un autre tâcheron, anglais, intitulée Darkest Hour, m’a semblé beaucoup plus convaincante, quoique dépourvue de tout génie, bien dans la tradition de ce cinéma anglais de qualité qui tient lieu d’art populaire à nos voisins depuis qu’Hollywood et la Première Guerre mondiale ont tué chez eux la production locale. Angleterre un, France zéro, c’est un comble !