Le luxe à la croisée du digital, de l’omnicanalité et de la relation client
Le boom numérique est à la fois un défi et une opportunité pour les maisons du groupe LVMH. Leurs supply chain s’adaptent et se digitalisent pour mieux y répondre. Le point avec Yves Cauchon (97) Directeur des opérations de Fenty au sein du groupe LVMH.
“Grâce à l’omnicanalité, nos supply chain ont pu assurer une continuité du business
en redirigeant les commandes online vers des points de stock
restés ouverts pendant le confinement.”
Comment le monde du luxe s’approprie-t-il le digital ?
L’industrie du luxe n’a pas été un early adopter du digital. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, le luxe est bâti sur une idée de rareté et d’exclusivité qui semble en contradiction avec internet, où tout est accessible au plus grand nombre. En outre, le luxe prête une importance capitale à l’expérience client dans nos boutiques. La cérémonie de vente est un élément essentiel de notre relation client.
Enfin, nous commercialisons des produits d’un savoir-faire et d’une qualité d’exception. Toucher un cuir extraordinaire, sentir une fragrance, déguster un grand cru sont autant d’expériences sensuelles que le digital n’offre pas (en tout cas, pas encore).
Cependant, poussées par l’évolution des modes de consommation, les maisons de luxes se sont appropriées le digital progressivement ces dernières années.
Petit à petit, le luxe a appris à déployer le numérique et tous ses aspects. Concrètement, le numérique se retrouve aujourd’hui :
- Dans la relation client, par la digitalisation de l’expérience client et son omnicanalité : depuis la découverte de la marque et de son offre produit via son website jusqu’à l’achat et le service après-vente ;
- Dans l’innovation produit ;
- Dans les processus métiers : les outils du numérique sont utilisés pour optimiser nos processus, notamment dans la supply chain end-to-end.
En 2018, le groupe LVMH a réalisé près de 3.5 milliards d’euros de ventes online. Les projections établissent que l’e‑commerce atteindra 20 % à 25 % du secteur en 2025–2030. Le digital n’est plus une idée, bien une réalité pour LVMH.
Quel est le positionnement de LVMH dans ce cadre ?
Pendant la dernière décennie, LVMH a considérablement investi pour mener sa transformation digitale. Le digital est un terrain idéal d’expression des valeurs du groupe, à savoir la créativité, l’excellence et l’esprit d’entreprise. En 2015, le groupe a recruté son Chief Digital Officier, en la personne de Ian Rogers, venu directement d’Apple. Cela a contribué à renforcer la dynamique digitale du groupe.
Quelques illustrations concrètes récentes : en 2017, nous avons créé le « LVMH Innovation Award » qui distingue chaque année une start-up présentée sur le LAB LVMH, au sein du salon Viva Technology. Ces start-ups intègrent notre maison des start-ups LVMH au sein de Station F à Paris, le plus grand incubateur au monde. En 2018, nous avons lancé 24S.com, un site marchand multimarques, désormais marketplace. Cette année, la maison TAG Heuer vient de lancer la 3e génération de sa montre connectée, qui combine le savoir-faire d’exception de la montre suisse à la technologie la plus avancée. Enfin, pendant le confinement, des showrooms virtuels ont été mis en place chez Louis Vuitton dans des temps records pour permettre aux équipes du monde entier de découvrir les nouvelles collections et placer des commandes.
Comment cela se traduit-il au niveau de la supply chain ? Et qu’en est-il de l’évolution de l’expérience client ?
Partons de l’omnicanal : la dichotomie entre le monde physique et le digital n’a plus lieu d’être. Le client aujourd’hui peut choisir par exemple de découvrir en ligne la nouvelle collection, d’y réserver un produit avant d’aller l’essayer en boutique. Les maisons aujourd’hui ont toutes intégré cette dimension d’omnicanalité dans l’expérience client. Il s’agit d’offrir à nos clients l’expérience la plus fluide possible, online ou offline, tout en maintenant nos standards d’excellence. Pour la supply chain, cela implique que le stock présent dans un point de vente n’est plus simplement disponible pour le client dudit point de vente mais également pour le client en ligne voire pour le client d’un autre point de vente, le tout en temps réel.
L’omnicanalité a donc imposé à la supply chain de revoir sa politique de gestion de stock et des commandes. Cela nécessite une data sales et stock très fiable, disponible en temps réel dans les systèmes, ainsi qu’un traitement complexe de cette data. Enfin, sur un plan opérationnel, quand un client achète en ligne, son seul contact physique avec la marque se produit au moment de la livraison. Nous avons tous eu des expériences de livraison non satisfaisantes. Le groupe attache une attention très particulière à l’expérience de livraison client et développe des méthodes de livraison à la hauteur de l’excellence de nos maisons. Mais l’omnicanalité est également une opportunité pour la supply chain et se présente comme une véritable solution à des problématiques exceptionnelles. Prenons la crise sanitaire que nous traversons. Grâce à l’omnicanalité, nos supply chain ont pu assurer une continuité du business en redirigeant les commandes online vers des points de stock restés ouverts pendant le confinement. Cela a été le cas chez Fendi par exemple et aurait été impossible il y a quelques années.
Quelles sont les perspectives qui en découlent pour un groupe aux activités aussi variées que LVMH, et plus particulièrement pour Fenty ?
Le groupe possède 75 maisons au sein de 6 secteurs d’activités différents et garantit aux maisons une grande autonomie. C’est vrai a fortiori pour leur stratégie digitale. Il n’y a donc pas une réponse unique à la question posée. Chaque maison maîtrise sa propre stratégie digitale, car le monde bouge à grande vitesse.
Pour parler de Fenty : c’est une start-up au sein du groupe qui a été pensée comme une entreprise Digital-First, une « Instabrand ». Les ventes sont essentiellement réalisées en ligne, la communication exclusivement digitale via les réseaux sociaux et la commercialisation des produits en mode « see now, buy now » (c’est-à-dire sans défilé ou présentation des produits plusieurs mois avant leur commercialisation). Cette start-up illustre parfaitement la volonté et les moyens que se donne le groupe pour tester toutes les voies qu’offre le digital.
Quels sont les principaux enjeux et défis liés au digital dans la supply chain ?
D’abord, faire de bons choix sur les sujets à investiguer : qu’est-ce-qui est significatif et pertinent pour mon affaire ? La supply chain 4.0 (la supply chain à haute teneur digitale) est un terrain vaste d’expérimentation et il est facile de passer du temps sur un sujet non pertinent. Ensuite, notre monde de plus en plus digitalisé génère un volume de data de plus en plus important. Un clair défi de la supply chain est de sélectionner et processer ces data de manière à produire des analyses intelligibles et permettre la meilleure prise de décision possible.
Comme notre environnement économique est volatil et incertain, ces prises de décisions doivent se faire à une fréquence beaucoup plus rapide qu’auparavant. Désormais, la maille de temps pour les décisions de planning est la semaine. Pour ce faire, nous explorons l’utilisation de nouvelles technologies comme le machine learning.
Cependant, nous croyons fondamentalement que ce sont les hommes et les femmes travaillant dans les services de supply chain qui font la différence. L’enjeu est de recruter les meilleurs.
Quels sont les axes que vous avez choisis de privilégier à ce niveau pour les années à venir ?
Nos maisons travaillent sur des éléments de la supply chain 4.0, en fonction de l’intérêt pour leur business modèle respectif : big data et machine learning, IoT pour une meilleure traçabilité des flux amont et aval, blockchain pour assurer traçabilité et authentification des produits…
La supply chain dans nos maisons est une fonction en constante évolution, à l’importance croissante et au cœur des décisions business. Un domaine parfait pour les X en quête d’innovation, à l’âme d’entrepreneur et aimant les belles choses !