Pourquoi donne-t-on le surnom de l’X à l’École polytechnique ? Étymologie de l’appellation « X »
La lettre X est très communément associée à l’École polytechnique et à ses diplômés.
Mais d’où vient cette appellation ?
La réponse à cette question semble évidente et, au cas où vous auriez un doute, une rapide recherche via un moteur de recherche vous renverra à l’inconnue mathématique et à la place qu’occupent les mathématiques dans l’enseignement de l’École. Une autre explication fait référence au fait que les canons croisés sur les armes de l’École dessinent un « X ». Cette façon de les représenter ainsi remonte à l’Ancien Régime et est codifiée en 1791 sur les boutons d’uniforme de l’artillerie. Les polytechniciens ayant à une époque majoritairement servi dans l’artillerie (dans une proportion pouvant aller jusqu’à 50 %, comme entre 1870 et 1914), cette explication semble aussi bonne.
Mais, lorsqu’il s’agit d’obtenir des sources et des dates exactes, les références deviennent vite très floues. Alors, pour trancher, explorons l’étymologie du X dans les dictionnaires et des encyclopédies du XIXe siècle.
L’X, cet inconnu
Le premier Argot de l’X, dictionnaire publié par Gaston Pinet et Albert-Lévy en 1894, indique que l’X est emprunté à l’algèbre et désigne à la fois le polytechnicien et l’École polytechnique elle-même. Ils précisent : « L’étude presque exclusive des mathématiques, son état d’abstraction dans les x et les y, lui ont valu depuis longtemps d’être désigné par ce symbole. Un jour, Charlet (voir J&R n° 757), pendant une séance du conseil, s’amusa à représenter un polytechnicien frappé d’apoplexie ; le médecin accourt, lui ouvre les veines : il n’en sort pas une goutte de sang… seulement des x et des y. » Plus de doute : l’algèbre explique tout, on assimile le X à un mathématicien. Mais quelle durée mettre derrière ce « depuis longtemps » ?
De l’argot à l’usage
Deux décennies plus tôt, en 1876, la publication du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, commencée en 1866 sous la direction de Pierre Larousse (1817−1875), s’achève. Pour la lettre X, il est indiqué que cette lettre désigne un élève de l’École polytechnique et que cet usage provient de l’argot des collèges. L’usage de l’X pour désigner l’École n’est donc pas encore en vigueur. En matière d’argot, les dictionnaires ne font qu’officialiser des usages du quotidien parfois plus anciens. Effectivement l’élève Paul Dislère (1840−1928, X1859) dans la correspondance qu’il adresse à ses parents entre 1859 et 1861 fait mention de « nous autres X ».
Une origine mathématique
Remontons encore plus loin. En 1840 paraît le premier volume de l’encyclopédie : Les Français peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. L’article sur les Écoles militaires fait une belle place à l’École polytechnique et regorge d’expressions aujourd’hui disparues qui font un large emploi d’X. L’expression « tête à X », dans l’argot des collèges, signifie alors « tête organisée pour le calcul », quasi synonyme d’une autre expression presque contemporaine, « être fort en X », qui signifie avoir des dispositions pour les mathématiques.
Thêta X ?
L’usage du X, au travers de ce langage de collégiens et lycéens, est donc aussi associé aux plus doués d’entre eux en mathématiques, qui se destinaient à passer le concours de l’École polytechnique, l’un des rares établissements d’enseignement supérieur, à l’époque, où était enseignée cette discipline. Ces « têtes à X » se mettront elles-mêmes en équation au moment de l’entrée, ou absorption, à l’École : « L’ancien, chargé de l’absorption, commence par prouver algébriquement qu’il n’a jamais été conscrit. Admettons un moment, dit-il (nous raisonnons par l’absurde), que l’ancien est évidemment une tête à X ; on pourrait donc poser l’égalité θX = ex-conscrit ; en divisant par X, il reste θ = E‑conscrit ; si nous divisons ensuite par e, nous aurons θ/e = conscrit ; or, il est absurde que le conscrit soit une tête assurée. »
Consubstantiel à l’X
Quelque part dans les années 1840–1850, le polytechnicien a ainsi gagné son surnom d’X parce que, aux yeux du public, il est en substance constitué de x ! En somme, parce que l’on considérait alors qu’il était avant tout féru de sciences mathématiques. C’est bien cela qui frappe. Émile de La Bédollière, l’auteur de l’article sur les écoles militaires des Français peints par eux-mêmes, s’émerveille que ces jeunes « lisent à livre ouvert Lagrange et Laplace » !
Ressources
- Correspondance de Paul Dislère, archives de l’École polytechnique.
- Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle.
- Sur la place des sciences mathématiques à l’École polytechnique de 1794 à 1830, voir : Frédéric Brechenmacher, Jean Dhombres, Idriss Mazari, L’équation du mérite : les mathématiques à l’École polytechnique de 1794 à 1830, livret de l’exposition du Mus’X, École polytechnique, 2019.
Pour en savoir plus : Portail patrimoine de l’École polytechnique