Jean-Marc Chabanas (58) grand professionnel du journalisme
Décédé le 24 juin dernier, Jean-Marc Chabanas a exercé pas moins de huit métiers, mais c’est le journalisme qui a le plus marqué sa carrière. Pendant treize ans, il a été rédacteur en chef de 01 et pendant plus de sept ans celui de notre revue, qui tient à rendre hommage à son travail et son grand professionnalisme.
Au début des années 2000, le comité éditorial de La Jaune et la Rouge décide de lancer un projet de refonte de la revue et, dans cette perspective, recrute de nouveaux membres. Parmi eux figure Jean-Marc Chabanas, un homme de la presse et de la communication, qui devient bientôt la cheville ouvrière de ce chantier : définition d’un sommaire type, création d’une nouvelle maquette, appel d’offres auprès des imprimeurs, etc. Et, comme l’équipe de rédaction est à renouveler, Jean-Marc est nommé rédacteur en chef pour assurer le lancement de la nouvelle maquette. Une mission transitoire qui va durer plus de sept ans. À cela, deux raisons : la nouvelle formule plaît et le charisme du rédacteur en chef fait merveille au sein de l’équipe de rédaction. Ce n’est pas le hasard, car il réunit à la fois une expérience professionnelle riche et variée, et des capacités rares.
L’envie de piloter des avions
Jean-Marc naît le 28 février 1939 à Lyon, où il est élève du lycée Ampère puis du lycée du Parc. À sa sortie de l’X, il entre dans le corps des ingénieurs de l’Air : « J’ai choisi le corps des ingénieurs de l’Air car j’avais envie de piloter des avions. Dès mon arrivée, l’on m’a dit : Malheureux, vous portez des lunettes, vous ne pourrez pas piloter. Vous ne voyez pas clair, vous serez observateur ! » Il fait son service militaire au Centre d’essais en vol de Brétigny et au Centre d’expériences aériennes militaires de Mont-de-Marsan, puis complète sa formation par deux ans à Sup’aéro. Sa première affectation est au Service technique des télécommunications de l’Air, où il travaille sur les radars.
Puis il représente la France dans différentes instances de travail de l’Otan. Au bout de quelques années, il demande un congé sans solde. C’était très à la mode. On disait aux ingénieurs : « Allez donc voir ce qui se passe dans le privé. Vous verrez sûrement des choses différentes. Quand vous reviendrez, vous en ferez profiter le corps. » Il passe donc deux ans, de 1970 à 1972, à la SESA, une SSII fondée par Jacques Stern (52). Après ce détachement, il est affecté au ministère de l’Industrie, comme commissaire du gouvernement pour la montre française.
Une première expérience de la presse
En parallèle, il commence à écrire régulièrement des articles pour Le Monde, sur des sujets plutôt scientifiques et techniques les plus divers. Sa renommée amène le groupe 01 à le coopter comme membre du comité éditorial en 1974, pour finalement l’embaucher en 1977 comme rédacteur en chef des publications du groupe, dont les plus connues sont 01 Hebdo et 01 Mensuel. En 1986, le groupe 01 est racheté par le groupe CEP qui impose peu à peu des changements que désapprouve Jean-Marc, qui quitte son emploi au bout de treize ans et devient Délégué général de l’Union patronale des Bouches-du-Rhône, puis en 1998 il prend en charge la communication de l’ECTI, une association de retraités, avant de partir en retraite en 1999.
Un professionnel hors pair
En recrutant Jean-Marc Chabanas, l’AX a trouvé un véritable professionnel, entré dans le journalisme : le journalisme de curiosité, de savoir, de découvertes, celui d’un homme à la fois cultivé et éclectique dans ses centres d’intérêt. Le journalisme de pédagogie : on explique et, si des phrases sont incompréhensibles, que fait-on ? Catherine Augé, correctrice de la revue, se souvient que, quand elle lui montrait un passage difficile à comprendre, il n’hésitait pas : « On ne sait pas, donc on supprime. »
Le journalisme d’honnêteté : on essaie de traduire le point de vue, même mal présenté d’un mauvais auteur, on ne présente pas le sien. Le journaliste qui tient ses délais. Jean-Marc, c’était l’équation « rapidité et efficacité ». Son attention à la date butoir a d’ailleurs entraîné la J&R dans des innovations du plus heureux effet. Comme lorsque nous avons placé une couronne de fleurs en première page avec « Meilleurs vœux » alors que le président de l’AX d’alors avait été incapable de fournir son éditorial en temps voulu.
Un fin diplomate
Le professionnalisme, c’est aussi savoir faire court pour ne pas rebuter les lecteurs et contenir la pagination. J’ai ainsi souvenir d’un très bel article qu’un de nos éminents auteurs nous avait adressé : j’étais embarrassé car il faisait 16 pages. Jean-Marc m’a dit : « Je m’en occupe » et, le lendemain, il en avait tiré deux articles de 4 pages. L’auteur fut d’abord surpris, puis reconnut que toutes les idées de la version d’origine avaient été reprises.
Le professionnalisme s’exprimait aussi dans sa façon de répondre aux lecteurs mécontents. Une lettre ou un courriel de récrimination ne doit pas rester sans réponse, mais il y a une façon élégante de la traiter sans pour autant la rendre publique. C’est ainsi qu’un jour la rédaction a reçu la lettre comminatoire d’un chercheur qui avait cédé un brevet à une start-up créée par un de nos jeunes camarades. Dans l’article publié sur cette société, ce brevet était mentionné mais sans plus de détail et le chercheur mécontent exigeait un « droit de réponse » qui, bien sûr, n’avait pas de fondement. Habilement, Jean-Marc lui a proposé de publier un article sur sa découverte, ce qui a apaisé ce lecteur. La rédaction n’a toujours pas reçu d’article…
Modestie et brio
Le souvenir qu’il a laissé à son équipe et plus largement au sein de l’AX est bien résumé par ce que dit une de ses anciennes collaboratrices : « Modeste, brillant et très pédagogue. » J’ajouterai curieux de tout, des églises toscanes comme du fonctionnement des imprimantes lasers. Bon vivant, toujours prêt à distraire ses collègues par quelque récit inédit, car il savait faire de l’anecdote la plus banale une histoire palpitante. N’hésitant pas, si l’occasion se présentait, à chanter des airs d’opéra ou des airs de variété dont il accommodait les paroles aux circonstances. Un côté bon vivant qui n’empêchait pas Jean-Marc d’être un gestionnaire rigoureux. La J&R a toujours été une PME, une PME avec ses exigences, et dont elle est responsable, elle, en premier lieu : l’équilibre des comptes, la qualité des textes et le respect des délais.
À respecter malgré des imprévus, des accidents de santé, des pannes de machine, un publireportage gnangnan, des sous-traitants en difficulté, des auteurs défaillants ou intransigeants car on ne censure pas le Marcel Proust qu’ils prétendent être, une foule d’exigences parfois comminatoires. Il faut intégrer tous ces impondérables dans la conduite d’un « chemin de fer » qui doit arriver, à l’heure, en bon état.
Le souci des autres
Jean-Marc Chabanas avait un grand souci de l’humain. Son équipe peut en attester : il la protégeait et l’aidait sans compter. C’est ainsi qu’il a retardé son départ de la rédaction car une des collaboratrices ne voulait pas changer de patron avant sa propre retraite. Ce souci se manifestait aussi dans son engagement pour les plus jeunes : il a très tôt apporté son concours à l’Association Jeunesse et Entreprises, fondée par Yvon Gattaz, dont la mission est de rapprocher le monde de l’éducation et celui de l’entreprise, avec comme objectif final l’emploi des jeunes.
Et je n’oublierai pas de mentionner sa vie familiale exemplaire. Marié dès sa sortie de l’X et père de trois enfants, il a pris grand soin de sa dernière sœur, de vingt ans sa cadette, qui s’est trouvée orpheline à 5 ans. Il fut un père puis un grand-père soucieux de transmettre ses valeurs et sa culture. Pour fixer l’attention de ses petits-enfants lors des visites de musées, il leur proposait des jeux de piste.
En illustration : Un duo complice à la tête de La Jaune et la Rouge entre 2007 et 2014, Jean-Marc Chabanas (à droite) et Hubert Jacquet (à gauche).
À lire : Jean-Marc CHABANAS (58) : sept ans d’intérim à La Jaune et la Rouge, La Jaune et la Rouge n° 703, mars 2015