Jean-Paul Nicolaï (80), L’économie en philosophe
La qualité majeure de Jean-Paul Nicolaï est l’innocence du regard. Il suivit ses goûts, dans une carrière d’économiste de premier plan et l’exercice d’un bel intellect, d’une curiosité tous azimuts.
Il est fils d’un Corse, issu d’un hameau perdu dans le Sartenais, commis d’agent de change, et d’une mélangée italienne et chti. Son institutrice en CE2, à Châtenay-Malabry, Madame Solomon, repéra ses dons.
Un grand Parisien
Sa biographie s’inscrivit dans le Grand Paris, dans quelques communes de la banlieue sud : Cachan, Châtenay-Malabry, Fontenay, Le Plessis-Robinson, Palaiseau. Il reste très attaché au Bois de Verrières (terrain de sport au collège), au parc de Sceaux, à la Vallée-aux-Loups. En taupe au lycée Charlemagne, il était attiré par Centrale Paris, située à Châtenay-Malabry. Admis à l’Enset à Cachan, il préfère tourner alors le dos à la recherche, tandis qu’il s’y consacrera en définitive au cours de toutes ses expériences professionnelles, même les plus opérationnelles.
« J’ai été très heureux d’être reçu à l’X parce que mon amie de l’époque rêvait que je l’emmène danser au bal de l’Opéra ! » Ce fut donc l’École, où il intégra conjointement avec une autre camarade de classe, Christine Mesurolle (80).
Le service militaire fut un moment fort. Rencontre avec la France profonde : illettrisme, alcool… dans le corps de troupe. Sa section sportive à l’École fut le foot : « J’étais capitaine de l’équipe 2 et remplaçant de l’équipe 1. Ça a été une part importante de ma vie à l’École. »
Puis, imperméable à l’attraction des grands corps, par méconnaissance du fonctionnement de l’État, indifférent au classement, Jean-Paul Nicolaï fut en revanche séduit par les enseignements et activités d’HSS ; tout particulièrement, un amphi de Jean-Pierre Dupuy (60) ; et l’enseignement de Jean-Marie Domenach.
Finalement, l’économie
Qu’allait-il faire à la sortie de l’X ? La tentation fut d’être bassiste dans un groupe de rock ! Ce nonobstant, il choisit l’Ensae comme école d’application, avec l’intention de s’y tourner vers la sociologie. Bénéficiant des cours de Roger Guesnerie (62), à l’EHESS en particulier, autre virage, il se réoriente vers l’économie mathématique, découverte en classe prépa.
Jean-Paul Nicolaï y revient lors du DEA : équilibres avec anticipations rationnelles, modélisation de l’intervention de l’État dans le cadre de l’équilibre général, modélisation de la spécularité. Ce domaine évolua beaucoup dans les années 1980 et 1990. Il donna lieu à l’économie néoclassique la plus libérale. Ce n’est qu’au début des années 1990 que les keynésiens revinrent en force et qu’on assista à un enrichissement des modèles – très mathématiques (probabilités) au demeurant.
“Ma tentation fut d’être bassiste
dans un groupe de rock.”
Sa carrière, riche, lui fit connaître tant le public, par conviction, que le privé, par opportunités. Il est à EDF-GDF de 1985 à 1988 ; de 1988 à 1992, à la Caisse des dépôts avec Patrick Artus (70), où il rencontre en 1990 Nathalie Ricœur, petite-fille du philosophe Paul Ricœur et future épouse ; directeur adjoint de la recherche chez Indosuez de 1992 à 1996, où il seconde Michèle Debonneuil, « une macroéconomiste géniale » ; de 1997 à 2000, il dirige la politique d’investissement d’Écureuil Gestion, filiale de la Caisse des dépôts et des Caisses d’épargne, visant à l’émancipation de ces dernières, hélas cela tourne mal et il quitte pour le privé ; entre 2001 à 2011, il vit l’aventure « exceptionnelle » d’OTC Conseil, dont il est DG à partir de 2004 – redressement puis croissance de 30 à 130 consultants, ouverture de filiales à l’étranger – mais il part lorsque le fondateur décide de revenir aux affaires, pour Nicolaï une dure épreuve ; de 2011 à 2015, responsable de l’économie au Commissariat général à la stratégie et à la prospective ; retour dans le privé pour aider un ami à sortir sa PME de l’ornière ; et depuis octobre 2018 directeur du programme d’évaluation socio-économique, au Secrétariat général pour l’investissement : il y aide au pilotage des investissements publics, un rôle pour lui « passionnant ».
Cette carrière accomplie pâlit néanmoins au regard des qualités humaines de Nicolaï. Cet homme, brun au physique, est ouvert, franc et chaleureux. Vers la fin du siècle dernier, il eut à cœur de s’intéresser à l’œuvre de Paul Ricœur. Son entrée en philosophie s’ensuivit. Début 2020, il soutenait une thèse de doctorat en philosophie : « Être-ensemble et temporalités politiques. » Il l’avait préparée sous la direction d’Olivier Abel, fils de pasteur, dont l’adolescence se situa à Châtenay-Malabry et qui y noua lui aussi ses premiers liens avec Paul Ricœur et sa famille.
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