Neural Concept, Booster les outils classiques de CAO !
En 2018 Pierre Baqué (2009) a fondé Neural Concept, qui commercialise un logiciel permettant d’optimiser les outils classiques de conception assistée par ordinateur (CAO). La société met à profit son agilité de petite structure pour s’implanter avec efficacité au service des grands groupes. Son démarrage est très prometteur.
Que permet Neural Concept ?
Neural Concept est un logiciel qui permet aux ingénieurs qui utilisent des outils de CAO ou d’ingénierie d’être plus efficaces dans leur travail et de générer des designs plus performants et optimisés. C’est un complément des outils classiques de CAO, enrichis d’apprentissage machine (AM) et d’apprentissage profond (AP). À ce stade, on n’en est qu’aux prémices, peut-être à 10 % des capacités de ce qui pourrait être obtenu quand les entreprises auront mis en place ce qu’il faut pour représenter et stocker les données adaptées à cette approche.
Comment vous est venue l’idée ?
L’idée m’est venue pendant mon parcours : durant ma thèse à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), je travaillais sur des sujets d’intelligence artificielle en traitement d’image, puis pour la 3D. J’ai publié mes premiers papiers sur les usages de l’AP en 3D. Un ami, qui évoluait dans l’univers de la simulation 3D, m’a alors confirmé qu’il y avait des choses à faire en matière d’optimisation. Pendant ma thèse, j’ai aussi participé au développement d’un logiciel pour le design de remontées mécaniques.
Quel est le parcours des fondateurs ?
Je suis de la promotion 2009. Après avoir quitté l’X en 2013, j’ai travaillé pendant un an chez Crédit suisse à Londres, pour faire des modèles d’optimisation de portefeuilles, de pricing de dividendes. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment eu envie de faire une thèse. Je suis parti à l’EPFL dans un laboratoire de vision par ordinateur et AM. J’ai participé à pas mal de projets de développement logiciel.
Qui sont les concurrents ?
Pour l’instant, il n’y a pas beaucoup de concurrents dans ce domaine. Tous les gros acteurs (Dassault Systèmes, Ansys) commencent à s’intéresser à l’AP et à l’AM pour proposer des applications mais, d’un point de vue technologique et au niveau des réflexions menées, ils ont forcément plus d’inertie que nous ! De fait, nous n’avons pas de concurrent direct : quelques labos académiques, notamment en France à Supaero (avec qui nous collaborons), aux États-Unis à la NASA ou au Los Alamos National Lab, ainsi qu’à l’EPFL où d’autres groupes travaillent sur le même sujet. Je vois pas mal d’activité académique, mais en matière commerciale il n’y a pas grand-chose. Quelques logiciels traditionnels utilisent aussi des méthodes d’AM pour le design ou dans le domaine de la simulation.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
Avant la création, à partir de 2016 j’ai travaillé seul sur la techno à l’EPFL. J’ai alors reçu un innogrant de l’EPFL, puis des fonds de project bridge qui m’ont permis de me consacrer à fond à la technologie. La société a été créée en 2018. Au début avec une équipe de deux puis de trois personnes pendant un an. Le premier contrat intéressant est arrivé en 2019, et la première levée de fonds ; la société compte treize personnes depuis lors. Airbus fait partie de nos premiers clients.
Qu’est-ce que l’IA apporte au design 3D ?
Cela apporte deux avancées. D’une part, la conception 3D et la simulation sont encore très manuelles de nos jours. Ça prend du temps, c’est difficile et le temps de calcul est important. Avec des méthodes d’AM, on peut accélérer la simulation ou l’optimiser. On évite de refaire plusieurs fois les mêmes calculs, pendant la phase de design, et on capitalise sur les nouveaux calculs, pour être de plus en plus rapide sur les projets.
D’autre part, il faut bien voir que les méthodes d’optimisation actuelles fonctionnent en silo. Chaque projet fait sa simulation, mais les optimisations n’étaient pas réutilisées. Sur le plan du design, notre approche permet d’utiliser les données de design précédentes pour une expérience plus intuitive, par exemple pour un design paramétrique sans devoir le recréer à la main. Cela permet également de réduire les temps de développement et de faire des designs plus performants. Enfin, cela s’intègre à d’autres logiciels.
Pourquoi les grands groupes ne conçoivent pas eux-mêmes ce type d’innovation ?
J’y vois deux raisons. Premièrement ce sont des méthodes qui viennent à l’origine d’un milieu et d’un univers différents : l’univers de l’AM, des labos d’IA, assez déconnectés du domaine de la CAO et de la simulation, et du logiciel en général. Deuxièmement, la capacité à développer dans ce domaine demande des talents spécifiques et de sélectionner les bons profils, qui ne sont pas forcément dans des grands groupes, car ceux-ci ne peuvent ni les attirer ni les motiver.
Qu’est-ce qui permettra à ces technologies de se développer ?
Pour mettre en place ces technologies, il faut un niveau de maturité qu’on ne trouve pas dans toutes les entreprises. Dans notre domaine, soit on travaille avec les gros acteurs qui ont les moyens et la capacité de calcul, soit on doit construire un écosystème sur le cloud, avec les acteurs qui permettent d’y faire de la simulation ou qui permettent à ceux qui n’ont pas fait la transition d’y accéder. Sans oublier les sujets liés au cloud souverain, qui ne doivent pas empêcher de passer à ce type de technologie. De plus en plus d’entreprises utilisent des services de cloud protégés, gérés par Azure ou AWS. Honnêtement, je ne pense pas que les données soient mieux protégées sur les serveurs internes des industriels que sur Azure.
En quoi le modèle d’innovation de l’EPFL est-il si performant ?
L’accompagnement entre le doctorat et la direction d’une start-up est extraordinaire. À chaque étape de la transition, il y a des choses qui sont faites pour aider la société à progresser. Les start-up sont exposées à la collaboration avec des entreprises, à l’innovation, aux aspects business, à la mise en production, à la conception des outils appliqués et pas seulement théoriques. Ensuite, si on a une bonne idée et un bon profil, on peut assez facilement obtenir des fonds (innogrants, project bridge) ; on peut ainsi rester dans un labo avec un salaire correct. Ce qui est favorable, c’est la collaboration entre doctorants et étudiants de mastère qui font des projets. Par exemple, une dizaine d’étudiants ont aidé à développer la techno à ses débuts. Certains sont ensuite devenus des salariés clés de Neural Concept. Cela permet de créer une force vive sans devoir dépenser en recrutement. L’accompagnement de l’Innovation Park, le Venture Lab, qui aide les start-up à façonner leur business modèle, l’écosystème de capital-risque qui tourne autour de l’EPFL…
Et par comparaison avec ce que tu as connu à l’X ?
Je ne suis pas passé à l’X en tant que doctorant ou que créateur d’entreprise, la comparaison va donc être biaisée. Mais je n’avais pas vraiment cette sensation qu’on a ici, à l’EPFL. À l’X, il manque la relation avec les doctorants, les chercheurs, les étudiants de mastère, qui, eux, ont une image positive des doctorants. À Polytechnique, à mon époque, mon image du doctorant était celle de quelqu’un qui n’a pas fait le pas pour rentrer dans la vie réelle. Alors qu’à l’EPFL, les étudiants ont une idée très positive des doctorants : l’élite, c’est le PhD, pas le master.
Références pour l’EPFL
https://www.epfl.ch/innovation/entrepreneurship/fr/startup/lancer-votre-startup/innogrant/
https://epfl-innovationpark.ch/
Voir tous les articles de la rubrique d’Hervé Kabla : 10 questions à un X entrepreneur