Élie Decazes (1780−1860), le robin charmeur de l’après-Waterloo
Avec son Decazes, Erik Egnell nous présente de nouveau une personnalité importante du début du XIXe siècle. Grâce à lui, nous connaissons déjà mieux les parcours de Germaine de Staël, George Sand, Victor de Broglie ou des soldats refluant de Russie. Cette fois, il accompagne un homme d’État trop peu connu, Élie Decazes, qu’il qualifie joliment de « robin enchanteur » et nous pouvons en refermant ce passionnant ouvrage analyser pourquoi certaines biographies sont réussies. Pour Egnell comme pour Prévert, c’est simple : il faut savoir « faire le portrait d’un oiseau ».
Les ingrédients d’une bonne « bio »
Pour écrire une bonne « bio », disposez d’abord d’un personnage d’exception. Sous ses allures d’homme calme et mesuré, Decazes en est un. Certes, cet ambitieux a su se mettre habilement au service de la famille de l’Empereur puis de Louis XVIII ; mais il est avec obstination resté fidèle à des idées de bon sens sur les besoins du pays entre 1814 et 1820. Il n’a joué ni les revanchards, ni les renégats, ni les utopistes, mais s’est efforcé de proposer un juste milieu à la France déchirée par des alternances politiques haineuses et ruinée par les guerres napoléoniennes puis une lourde occupation étrangère.
Pour une bonne « bio », il faut aussi mettre en lumière des seconds rôles trop ignorés, comme l’intelligent Richelieu, ou trop caricaturés comme Louis XVIII dont Egnell souligne le bon sens placide. Il faut aussi s’appuyer sur des mémorialistes talentueux comme Chateaubriand, Lamartine, Guizot que notre auteur rejoint avec un regard plus impartial.
Une biographie tire profit d’un environnement historique riche en fracas : les lecteurs seront servis avec les deux Restaurations, la Terreur blanche, les manœuvres des ultras et du futur Charles X, enfin l’assassinat du duc de Berry dont se servirent les adversaires de Decazes pour l’éliminer de la scène politique. Ils pourront aussi se forger leur propre opinion sur le poids d’un homme dans l’histoire : peut-il infléchir le courant des événements ? Peut-on lui attribuer le succès d’une politique ?
La réussite d’Élie Decazes
Alors, qu’est une vie réussie ? Avoir amassé une fortune ? Alors, oui, Élie Decazes a atteint cet objectif en usant les moyens que lui offrait sa position. L’avoir bien utilisée ? Oui, aussi : l’aventure de l’entreprise industrielle de Decazeville, que Decazes a initiée vers 1830 et accomplie avec le trop peu connu François Cabrol, X 1810, l’atteste. Mais Decazes a surtout réussi sa vie pour avoir contribué au bien commun, en rendant la France plus forte et plus libre.
En post-scriptum, j’ajouterai que nous, polytechniciens, pouvons aussi nous souvenir que Decazes, frère d’un X 1802, gendre de l’ébouriffant Sainte-Aulaire, X 1794, a obtenu que notre École ne soit pas supprimée en 1817, malgré les chahuts des élèves et les exigences des ultras. Merci, Robin l’enchanteur !