Peut-on apprendre de Clermont-Ferrand ?
Mal desservie, industrielle, ni mégalopole ni ville moyenne, Clermont-Ferrand est un cas atypique, qui montre que les chemins du développement sont multiples. Mais sa bonne tenue ne va pas sans fragilités.
Ville au décor naturel extraordinaire, plutôt enclavée au milieu du Massif central, méconnue des Français, Clermont-Ferrand n’a rien d’une belle endormie. Quels atouts peut faire valoir une métropole de taille intermédiaire, notamment à l’aune de la crise épidémique que nous traversons ? Dans une France qui s’inquiète d’une métropolisation souvent jugée excessive, peut-on apprendre de Clermont-Ferrand ?
Une métropole enclavée mais dynamique
La métropole clermontoise, comptant 290 000 habitants, est exclue de la France du TGV. Le temps de trajet ferroviaire avec Paris a été allongé de trente minutes depuis les années 2000, portant la durée du trajet direct à 3 h 30. La liaison aérienne est régulièrement menacée. Clermont-Ferrand se développe sans profiter d’un effet vitesse qui permettrait un aller-retour sur une demi-journée avec un pôle de centralité mondiale. Même si la libéralisation du transport par autocars, le réseau autoroutier et le développement de la visioconférence viennent contrebalancer en partie cette faiblesse structurelle.
« Le développement de Clermont-Ferrand est lié historiquement
à la croissance de l’entreprise Michelin. »
Clermont fait preuve pourtant d’une vitalité réelle. Par sa démographie d’abord. Celle-ci, après une période de déclin dans les années 1980, connaît un rebond avec une croissance annuelle de son aire urbaine de 0,6 % depuis 2010, atteignant même 0,9 % pour sa couronne périphérique. La croissance démographique de la ville-centre est supérieure à celle de villes comme Brest, Metz ou Rouen. Le coût de la vie est très compétitif et constitue un avantage comparatif. Pour le logement par exemple, dont la part dans le budget des ménages français est passée de 12 % dans les années 60 à 30 % aujourd’hui, la métropole clermontoise est la 20e métropole française sur 22 en termes de prix dans l’ancien.
Clermont-Ferrand dispose d’aménités de haut niveau : un centre hospitalier universitaire, 52 filières universitaires accueillant 35 000 étudiants, un conservatoire de 1 800 élèves, deux stades, une scène nationale et un opéra, de multiples festivals. De ce fait, Clermont attire. Le recrutement de l’université reste très local, et la proportion de nouveaux habitants en provenance de l’Île-de-France (8 %) est en retrait par rapport aux grandes métropoles (13 % environ pour Lyon, Toulouse, Bordeaux, Lille, Nantes ou Marseille). Mais la moitié des nouveaux arrivants vient d’autres régions que l’ex-Auvergne, et 15 % de l’étranger, comme à Toulouse ou Grenoble.
Une bonne tenue de l’emploi et un vrai dynamisme économique
Cette vitalité va de pair avec la dynamique du tissu économique, caractérisée par une économie diversifiée. Le développement de Clermont-Ferrand est lié historiquement à la croissance de l’entreprise Michelin, permettant un passage au-dessus des 100 000 habitants dans l’entre-deux-guerres, basculant définitivement du côté des grandes agglomérations françaises. Certes, l’emploi industriel est en recul, avec des annonces de suppression d’emplois, comme pour l’usine Luxfer en 2019, dernière usine d’Europe à produire de l’oxygène médical, dont le sort a eu un fort retentissement national. Mais le spectre d’un destin à la Detroit, d’une ville post-industrielle en déshérence au gré des crises et délocalisations, ne correspond pas au profil économique clermontois, qui a su prendre à temps les virages technologiques et diversifier son économie.
Clermont est un des rares bassins d’emplois à avoir compensé en moins de cinq ans la perte – inférieure à 5 % – d’emplois industriels de la crise 2008 par la création d’emplois non industriels, principalement dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’action sociale. Les laboratoires d’excellence, au premier rang desquels le centre Michelin de Ladoux, permettent à cette métropole, qui a vu naître Blaise Pascal, d’être la première de France en termes de dépôts de brevets rapportés au nombre de cadres.
Difficultés de recrutement : Clermont suit les tendances nationales, parfois en les aggravant.
Malgré la bonne qualité de vie, les entreprises peinent souvent à recruter. C’est le cas pour le BTP, où les recruteurs anticipent des difficultés sur plus de 80 % des postes. Certains métiers industriels (ouvriers métallurgistes), pourtant caractéristiques du profil économique du territoire, sont également en très forte tension, de même que les métiers du développement informatique, malgré un écosystème dynamique et structuré. L’attraction des talents mais aussi le développement local des compétences sont donc des enjeux prioritaires : 36 métiers sont en difficulté critique contre 21 à Lyon.
Le bassin économique a su dépasser l’enclavement géographique du Massif central et se trouve en connexion avec l’économie mondiale, avec 217 entreprises exportatrices et 30 entreprises locales ayant au moins une filiale à l’étranger. Outre le secteur équipementier automobile, les principaux employeurs de la métropole clermontoise sont dans l’aéronautique (AIA), le bio-médical (Laboratoires Théa), l’équipement de maisons (Babymoov), les services (Almerys) ou la fabrication. Sur la plaine fertile de la Limagne, à l’est métropolitain, se trouve le siège social de Limagrain, coopérative de semences (2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019). Dans le même temps, et comme pour illustrer cette diversité dans la technologie de pointe, cette même métropole a vu la naissance d’un des géants de l’image 3D, Allegorithmic, racheté en 2019 par Adobe. L’aire urbaine dispose de filières structurées : deux pôles de compétitivité et sept clusters (semences, alimentaire, santé, numérique, thermalisme, environnement, industrie).
“Le bassin économique
a su dépasser l’enclavement géographique du Massif central.”
Possédant un foncier ex-industriel disponible important, de l’ordre de 250 ha, le potentiel d’installations industrielles est significatif, dans le cadre de relocalisations ou du développement de l’« usine du futur », dans un écosystème qui possède la taille critique technologique. Pour y parvenir, une stratégie foncière doit être portée par la puissance publique, reposant sur des instruments financiers (décote foncière) ou des dispositifs fonciers (sanctuarisation d’activités productives, reconversion de friches). Ces installations devront intégrer les enjeux de l’économie circulaire : circuits courts, optimisation des flux de matières premières, accentuation des normes de réemploi et de recyclage.
Un cadre de vie harmonieux face aux enjeux des transitions
Malgré le bon rapport entre coût et qualité de la vie, le territoire souffre d’un certain déficit d’attractivité. Il ne manque pourtant pas d’atouts à faire valoir. La proximité immédiate d’espaces de pleine nature aux paysages remarquables, réserves de biodiversité, a été couronnée par le classement de la chaîne des Puys par l’Unesco au patrimoine mondial. À l’heure où la microaventure a le vent en poupe, c’est un avantage de proximité pour les habitants. Le maillage de villes moyennes proches de Clermont et bien connectées par la route et le train (Riom, Issoire) vient offrir un cadre de vie propice aux attentes résidentielles contemporaines que la période récente de confinement et de télétravail est venue exacerber : maison individuelle, jardin, proximité de la nature et des services.
Cette organisation polycentrique du territoire, reliée par des voies rapides, engendre néanmoins une forte dépendance à la voiture. Cette réalité est particulièrement visible à Clermont-Ferrand, héritière d’un schéma des infrastructures datant de 1972. Le développement des modes actifs non polluants et décarbonés (vélo, marche) est indispensable pour apaiser l’espace public. Réussir cette transition est théoriquement atteignable (80 % des déplacements correspondent à une distance de 2 à 5 km), mais nécessite un fort investissement public sur l’ensemble de l’écosystème des mobilités pour opérer un changement de modèle (infrastructure, service de location, réparation, parking de vélos…).
« Clermont-Ferrand a connu un développement
par vagues d’immigration ouvrière successives. »
Un autre enjeu du territoire réside dans le rapport qu’il entretient avec ses bassins d’approvisionnement alimentaire. La part prépondérante de l’élevage bovin et de cultures céréalières fait de l’agriculture un élément constitutif du paysage et de l’économie, mais vient masquer la faiblesse structurelle du maraîchage et l’absence de vergers.
La métropole est confrontée à une double fragilité : l’importation massive de produits alimentaires, conjuguée à une agriculture d’élevage et de grandes cultures émettrice de gaz à effet de serre. Le territoire planifie sa transition à l’aide d’un projet alimentaire territorial, mais l’essai doit encore être transformé. Le cadre de vie est par ailleurs renforcé par un lien social de grande qualité. Ville construite par vagues d’immigration ouvrière successives, Clermont-Ferrand accueille de nombreuses nationalités qui concourent à son ouverture (notamment salariés de Michelin). Les soirées de match de l’équipe de rugby de l’ASM viennent incarner cet état d’esprit solidaire, par une communion festive alliant citadins de tous milieux et ruraux.
Paysages de pleine nature, terroir, culture, terre d’accueil, ingénierie de pointe : par bien des aspects la métropole clermontoise cristallise de nombreux atouts français. Sa taille intermédiaire lui donne le potentiel de concilier les avantages de la ville moyenne et ceux de la grande ville. Les transitions portées par les acteurs du territoire dans la décennie qui s’ouvre, notamment en termes de mobilité, d’industrie et d’alimentation, pourraient mettre en valeur sa singularité et en faire un laboratoire d’une métropole d’un nouveau type, connectée à son grand territoire naturel et agricole, aux aménités aisément accessibles à tous, résiliente aux crises économiques et climatiques.