Jean-Philippe Rameau : Hippolyte et Aricie
Hippolyte et Aricie (1733) est un événement dans l’histoire de la musique, au même titre que L’Orfeo de Monteverdi un siècle avant, le premier opéra de l’histoire, ou que l’Héroïque de Beethoven qui soixante-dix ans plus tard fait changer la symphonie de siècle. Rameau (1683−1764), un de nos quelques grands génies français de la composition, après une carrière riche de compositions instrumentales et religieuses qui auraient pu suffire à sa gloire, crée son premier opéra, avant de se consacrer exclusivement à ce genre et y laisser le plus riche de notre répertoire lyrique (Platée, Castor et Pollux, Les Indes galantes, Dardanus…).
Son approche moderne et dramatique sera à l’origine de la célèbre querelle des Lullistes et des Ramistes, les partisans de Lully préférant la tradition héritée du siècle (et du roi) précédent.
Une tragédie racinienne
Pour son premier opéra, Rameau s’inspire ouvertement de Lully et de Jean Racine. L’histoire de Hippolyte et Aricie reprend le thème du Phèdre du tragédien. Mais l’opéra se termine bien, contrairement à la tragédie de Racine, d’où l’accent mis sur Aricie et non sur Phèdre dans le titre. Tout le futur Rameau est là : alternance héritée de Lully de ballets, de récitatifs et d’airs, musique recherchée et savante pour l’époque et prenant le pas sur le texte, vocabulaire harmonique…
Le thème de la tragédie racinienne est bien connu, Euripide, Sophocle et Sénèque l’avaient déjà porté à la scène. Phèdre, épouse de Thésée, est amoureuse d’Hippolyte, fils que Thésée eut avec la reine des Amazones. Hippolyte est lui amoureux d’Aricie, qui le lui rend bien, et ne veut pas entendre parler des sollicitations qu’il juge incestueuses de la part de sa belle-mère. Phèdre nous dit chez Racine : « Hippolyte est sensible et ne sent rien pour moi, Aricie a son cœur, Aricie a sa foi. » Phèdre éconduite dénonce malhonnêtement Hippolyte à Thésée, qui maudit son fils.
Chez Racine, la malédiction de Thésée se réalise, pas chez Rameau où Hippolyte et Aricie se marient pendant un acte entier. Si « la fille de Minos et de Pasiphaé » est au cœur de la pièce de Racine (jouée par les plus grandes actrices de théâtre), l’amour contrarié un temps des jeunes amoureux est au cœur de l’opéra de Rameau. Notons que, contrairement à sa sœur Ariane, mise en musique par Monteverdi (opéra presque entièrement perdu) et Strauss, Phèdre est rarement héroïne d’opéra.
Une production exceptionnelle
La production de ce DVD est exceptionnelle. Un orchestre habitué de ce répertoire, le réputé Orchestre baroque de Fribourg, est dirigé à Berlin par Sir Simon Rattle, habituellement plus à l’aise dans Beethoven, Brahms et Bruckner, mais qui montre ici une direction surprenante, légère, vive, alerte, baroque, pleine d’humour et de rebonds. La direction est tellement formidable que les passages dansés (tambourins, gavottes, menuets, ritournelles, rigaudons…), de plus en plus nombreux à mesure que l’opéra progresse, sont tous passionnants même lorsque la production choisit de transformer ces scènes sans danseurs.
Une magnifique distribution également, avec en particulier deux formidables chanteuses, Magdalena Kožená en Phèdre, Anna Prohaska en Aricie.
Ajoutons que la production est très visuelle, très adaptée au DVD (et encore mieux à la haute définition du Blu-ray) où chaque acte a un univers visuel différent. L’œil est sans arrêt attiré par les éclairages impressionnants, les costumes réfléchissants ou fluorescents, les spots, les lasers, des miroirs, des projections, qui modernisent le spectacle sans déconcentrer le spectateur. Vous l’avez compris, chaudement recommandé.