Hervé Kabla (84), l’aptitude à admirer
Ce don des dieux, l’aptitude à admirer – que dis-je, l’admiration spontanée – caractérise Hervé Kabla. Autre facette de cet homme attachant de 53 ans, sa judéité, fièrement assumée.
Les sommaires de La Jaune et la Rouge affichent depuis des années sa rubrique « Dix questions à un X entrepreneur ». Ses lecteurs ne le connaissent pas personnellement, il s’efface derrière son écriture – la vouant aux X dont il narre l’activité. Car il est un homme de loyauté et d’appartenance fortes au groupe dont il est issu. Cela vaut pour sa judéité, cela vaut pour son attachement à l’École.
La Tunisie comme génome
Sa famille est originaire du sud de la Tunisie, l’île de Djerba ; le nom « Kabla » signifie sage-femme. Ses grands-parents paternels venaient du souk des Djerbiens à Tunis et vivaient dans une misère profonde. Le hasard les tira de là. Du côté maternel, Nabeul et auparavant une branche livournaise, celle du général Valensi. La Tunisie fait partie de son génome, c’est ainsi que je m’explique sa dilection pour Juan-les-Pins !
Ses parents, l’un et l’autre enseignants, lui donnèrent le goût d’apprendre et celui de la transmission : après chaque cours, il ressent « une plénitude rare ». Il fit ses études secondaires de 1975 à 1982 à l’École Maïmonide-Rambam, à Boulogne-Billancourt, que son père Nahum, un professeur de mathématiques, dirigera peu après, de 1988 à 1995. Après deux ans de prépa, à Louis-le-Grand, il intégra l’X en 1984 – le plus jeune de sa promotion et hyperalpha, en compagnie de Koskas et Kahn (« les trois K »). En prépa, Jean-Daniel Bloch (1951−2012) fut son professeur de mathématiques : « Un cours limpide, au texte clair, précis, agencé. »
Sa sœur Isabelle Kabla-Langlois le suivit à l’X trois ans plus tard. Elle sut « mieux négocier le virage de l’X : je me suis laissé vivre sur le Platâl, elle a travaillé et est sortie dans le corps de l’Insee. Ensuite, une carrière de haut fonctionnaire, elle est en charge du service statistique ministériel du ministère de l’Enseignement supérieur. Mais elle s’investit aussi dans des projets éducatifs associatifs innovants (l’école primaire EJM en 2009, plus récemment la création de la prépa scientifique Hadamard). »
Un héritage culturel et cultuel
Pour Hervé Kabla, son appartenance culturelle et religieuse est de prime importance. Il se réfère, avec une intense admiration, à Yeshayahou Leibowitz (1903−1994) : docteur en médecine, enseignant universitaire à Jérusalem, aussi versé en sciences exactes qu’en sciences humaines et en philosophie ; maître à penser en études hébraïques, qu’il s’agisse du Talmud ou de Maïmonide ; et d’une grande indépendance d’esprit en politique. Toutes proportions gardées, un mixte de Paul Ricœur, Jean Starobinski et Bertrand Russell !
Outre Leibowitz, les goûts littéraires de Kabla le voient priser, à juste titre, Primo Levi, Philip Roth, Avraham Yehoshua, ou encore Frédéric Beigbeder et Daniel Pennac.
La déception dans un grand groupe
Carrière : passa près de dix-huit ans chez Dassault Systèmes, au développement, au marketing, à la vente. « Je voyais la révolution du net s’opérer hors de l’entreprise et j’avais l’impression d’y assister comme spectateur et non comme acteur. Un vrai bonheur, ce congé création d’entreprise, une perle du droit social en France ! » Il en tire parti et crée plusieurs start-up.
« Je suis revenu chez Dassault, qui avait besoin de moi pour intégrer une start-up israélienne qui venait d’être rachetée. L’intégration s’est mal passée, la techno israélienne souple et efficace était en opposition avec une techno interne qui ne donnait pas grand-chose. J’ai défendu les Israéliens, j’en ai payé le prix qu’on paie dans pareil cas dans un grand groupe quand on ne ferme pas sa gueule : je me suis retrouvé dans un placard doré, DSI des forces de vente. Cela a duré quatre années, très dures, où je suis passé par une profonde dépression, le sentiment de gâcher ma vie, une sorte de “tout ça pour ça ?”, même si j’avais un salaire très honorable. Si c’était à refaire, je recommencerais à peu près la même chose, mais en 2001 je ne retournerais pas chez Dassault. J’y ai perdu six années de ma vie. »
Indépendant, pour expliquer et transmettre
Depuis 2008, Hervé Kabla dirige Else & Bang, agence conseil en communication, créée avec Deborah, épouse de Daniel Elalouf (83) et Myriam Carville, sœur de David Picard (88).
Il est fervent d’écriture : son blog, intitulé Kablages ; une demi-douzaine de livres, Les médias sociaux expliqués à mon boss (2011), La communication digitale expliquée à mon boss (2013), Le social selling expliqué à mon boss (2015), Le digital expliqué à mon boss (2017), L’intelligence artificielle expliquée à mon boss (2018)…
Bref, il fait de l’enseignement à la manière contemporaine : ses parents, inquiets au départ de ne pas le voir les suivre, peuvent être fiers de lui. Quel gaillard !