Ivan Chéret (44), l’inoubliable père des agences de bassin
Décédé le 2 novembre 2020, Ivan Chéret était un spécialiste mondialement connu des problèmes de l’eau, à qui on doit la création des agences de bassin.
Né en 1924 d’un père russe orthodoxe naturalisé français en 1932, Ivan Chéret est reçu dans la promo 44. Celle-ci n’entre à l’X qu’à l’automne 1945 du fait de la guerre, ce qui lui évite d’avoir un numéro bis car la loi du 3 avril 1941, heureusement abrogée à la Libération, exigeait, comme condition d’accès à la fonction publique, non seulement de ne pas être juif, mais aussi d’être né français et de père français. Sorti de l’X dans les PC Colo, Ivan est affecté au ministère de la France d’Outre-mer.
Après un stage de six mois au US Bureau of Reclamation à Denver, il est affecté à la Mission d’aménagement du fleuve Sénégal (1950−1953), puis nommé chef de l’arrondissement hydraulique à Bamako (1953−1954) et enfin adjoint au chef du Service hydraulique de l’AOF (1954−1958). En 1959, à la suite de la décolonisation, il réintègre la métropole, laissant derrière lui une œuvre dont ses héritiers peuvent être fiers.
Une nouvelle vie
Ivan est nommé rapporteur général de la Commission de l’eau créée en 1959 au Commissariat général du Plan. Pour être plus opérationnel, il suscite la création d’un Secrétariat permanent pour l’étude des problèmes de l’eau (Spepe). Je l’y retrouve en 1962 comme rapporteur pour les problèmes économiques et financiers.
C’est à lui que l’on doit la création des agences de bassin par une loi de 1964, bien avant que les mots « écologie » ou « environnement » deviennent la bouteille à l’encre. Il n’y avait d’ailleurs pas de ministère de l’Environnement à l’époque, mais Ivan avait besoin de sa courtoisie légendaire et de son sens de la négociation pour faire la synthèse entre les idées des représentants des six ministères membres du Spepe, qui défendaient chacun son bout de gras et ne voyaient pas l’intérêt de créer des agences qui risquaient de leur porter ombrage : agriculture, industrie, équipement, santé, intérieur et, bien sûr, finances !
Organismes d’un genre inédit, les agences de bassin s’inspirent un peu de la Tennessee Valley Authority créée après la crise de 1929 et de l’Emschergenossenschaft qui s’occupe d’un petit bassin de la Ruhr, mais elles couvrent tout l’Hexagone. Chargées d’établir une politique de l’eau à l’échelle des grands bassins (Seine, Loire, Garonne, Rhône, Est et Nord), elles doivent à la fois veiller à ce qu’il y ait assez d’eau en été (étiage) et pas trop en hiver (crues) et que la qualité de l’eau soit préservée.
Elles constituent un premier exemple d’internalisation d’effets externes selon le principe dit « pollueur-payeur » ou « consommateur-payeur », par la création de redevances dues par tous ceux, agriculteurs, industriels et par toutes les collectivités locales, qui, selon la loi de 1964, « ont rendu son action nécessaire ou utile ou y trouvent leur intérêt ».
Nouvelles missions
Sa tâche essentielle étant terminée, Ivan quitte provisoirement l’eau pour devenir directeur du Gaz, de l’Électricité et du Charbon au ministère de l’Industrie (1970−1973), puis président de la SITA (1974−1983), avant de revenir à ses premières amours comme directeur de l’Eau à la Lyonnaise des Eaux (1983−1989). Après sa retraite, il reste président du Centre d’étude et de formation international à la gestion des ressources en eau (Cefigre), puis vice-président et enfin président d’honneur de l’Office international de l’eau (OIEau).
Ivan Chéret a écrit un livre de vulgarisation sur les problèmes de l’eau : L’eau (collection Société, Seuil, 1967) et a participé à un ouvrage collectif : Eau (Robert Laffont, 2004). Il a donné une longue interview en 2006 (entretien avec Gabrielle Bouleau https://www.oieau.fr/sites/www.oieau.fr/files/entretien_ivan_cheret.pdf).
Ivan laisse derrière lui son épouse Irène, deux filles et un fils, 8 petits-enfants et 4 arrière-petits-enfants.