La spécialité du faux artistique en sciences criminalistiques
L’analyse des œuvres d’art pour en débusquer les faux fascine les esprits rationnels, car ce genre d’enquête met en œuvre une grande subtilité de raisonnement en même temps que des techniques pointues, sans le morbide de l’enquête criminelle… Entrons donc dans le laboratoire de l’expert !
Des experts judiciaires en criminalistique ont une spécialité plus fine dite faux artistique. L’expert intervient alors comme scientifique criminaliste et utilise les moyens techniques et scientifiques dont il dispose afin de faire la lumière sur une œuvre d’art questionnée.
Une méthode expertale possible
Nous présentons ici une méthode expertale possible dans le cas potentiel de faux artistiques. Celle-ci a pour objectif de traiter le sujet dans sa globalité et de travailler sur les traces et indices, au-delà de l’œuvre à étudier. Il peut s’agir de documents papier ou numérique liés à son historique et son authentification ou encore d’un atelier clandestin de confection de tableaux et de l’ensemble des objets, produits qu’il contient. La recherche de traces de l’artisan sur l’œuvre (ex. : traces de poils de pinceau, cheveux, matériaux synthétiques ou naturels, récents ou anciens, traces papillaires) et la recherche de traces de l’œuvre dans l’atelier de l’artisan (ex. : dessin préparatoire, pigments, factures, équipements…) sont essentielles et découlent des postulats énoncés dans l’encadré ci-contre. La méthodologie présentée est fondée sur une comparaison entre les données connues a priori et celles connues a posteriori. Les données connues a priori sont par exemple des données présentées dans le dossier (historique de la provenance, rapports techniques, publications, factures…) ou dans des bases de données historiques, techniques et scientifiques liées à l’artiste, sa région et sa période… Les données connues a posteriori sont les études et examens entrepris lors de l’expertise. Ces données sont ensuite mises en parallèle afin de vérifier l’hypothèse suivante « l’œuvre est authentique ». Chaque paramètre est analysé et les données a priori et a posteriori sont comparées entre elles. La conclusion dépendra des résultats obtenus en fonction de l’hypothèse « l’œuvre est authentique » et le résultat sera concordant ou non (cohérence des éléments), discriminant ou non (probabilité nulle de l’hypothèse). La conclusion globale sur l’authenticité est faite à partir de ces conclusions obtenues pour chacun des paramètres étudiés.
Authenticité certaine ? De fortes présomptions permettent de conclure que l’artiste mentionné est bien l’auteur de l’œuvre (ensemble d’éléments concordants accompagnés de paramètres non discriminant). Authenticité probable ? Des présomptions sérieuses désignent l’artiste mentionné comme auteur de l’œuvre (ensemble d’éléments concordants accompagnés de paramètres non discriminants et d’un ou quelques paramètres non concordants). Authenticité peu probable ? Plusieurs paramètres rendent incohérente une attribution de l’artiste mentionné comme auteur de l’œuvre (ensemble d’éléments non concordants accompagnés de paramètres non discriminants et concordants). Authenticité exclue ? De fortes présomptions permettent d’exclure l’artiste mentionné comme auteur de l’œuvre (ensemble avec au moins un élément discriminant ou une accumulation d’éléments non concordants). Nous vous proposons de découvrir quelques techniques utiles pour l’expertise d’un faux en art et quelques exemples concrets de leur efficacité.
REPÈRES
Les faux en art sont définis, selon le point de vue de la loi française, par deux notions. Nous distinguons d’une part le véritable faux artistique et d’autre part la contrefaçon, chacune de ces notions faisant l’objet d’un régime différencié. Gérard Lyon-Caen, professeur de droit français, détaillait la définition de faux en art comme suit : « Le faux n’est pas seulement “une chose” ou “un objet”, mais également “un acte humain” et “une conduite”. Ce qui constitue un faux, ajoutait-il, c’est le fait de présenter intentionnellement une œuvre pour ce qu’elle n’est pas. » Du point de vue pénal, le faux artistique est défini comme le « fait d’apposer un nom usurpé sur une œuvre d’art ou d’imiter la signature d’un artiste dans le but de tromper l’acheteur sur l’auteur de l’œuvre proposée et, pour un marchand ou intermédiaire, de conserver l’œuvre ainsi libellée ou signée ou de la mettre en vente ou en circulation » (loi du 9 février 1895).
Comment examiner une œuvre d’art d’un point de vue stylistique ?
Voyons d’abord l’analyse stylistique et l’attribution. L’analyse stylistique est un paramètre crucial pour déterminer l’authenticité d’une œuvre d’art. En effet, si des analyses scientifiques et chimiques peuvent démontrer que l’œuvre n’est pas authentique en identifiant, par exemple, que les matériaux utilisés sont anachroniques, en revanche une attribution positive ne peut être établie sans analyse stylistique. Dans les cas où les matériaux utilisés pour l’œuvre se révèlent compatibles avec la période en question, il est impératif de s’appuyer sur une étude de la signature stylistique de l’artiste afin de déterminer si l’attribution est correcte. L’analyse stylistique est entreprise par des experts en histoire de l’art spécialisés sur une période spécifique ou un artiste. Cette étude demande un examen des caractéristiques visuelles comme la composition, le dessin, la technique ou encore la touche à la lumière du ou des styles connus de l’artiste et de sa pratique d’atelier. Des œuvres de référence sont souvent rapprochées aux fins de comparaison fine sur des éléments essentiels comme le sujet, le format, le support et la technique employée… Cela implique que ces œuvres de comparaison soient bien documentées et fassent consensus.
Voyons ensuite l’analyse stylistique et l’imagerie scientifique. L’analyse stylistique peut être avantageusement combinée avec des analyses chimiques et des techniques d’imagerie avancées (réflectographie infrarouge, rayons X, cartographie élémentaire par fluorescence X (MA-XRF)…) afin de confirmer ou d’exclure une attribution. La confrontation de ces analyses permet de comparer non seulement ce qui est visible, mais également les couches plus profondes. Nous pouvons donc mettre en lumière les caractéristiques du mode d’exécution de l’œuvre d’art, comme l’ébauche de la composition ou le tracé du dessin sous-jacent, la construction des figures et des scènes ou l’utilisation spécifique de certains pigments ou liants en fonction des étapes du processus artistique. Enfin, quand il s’agit d’authentifier une œuvre, l’analyse de la surface visible nécessite un (certain) niveau d’études techniques car il est crucial d’évaluer la condition de l’œuvre et de distinguer les zones d’origine de celles de restaurations ou d’ajouts ultérieurs.
Les sciences criminalistiques
Les sciences criminalistiques sont nées dans les années 1900 et connaissent un essor florissant depuis la fin du vingtième siècle. Leur définition a nécessairement évolué au fil des années et le Larousse leur attribue aujourd’hui celle-ci : « Ensemble des techniques mises en œuvre par la justice et les forces de police et de gendarmerie pour établir la preuve du crime et identifier son auteur. » Une définition large qui s’explique par les nombreux domaines d’intervention. Une des difficultés rencontrées en science criminalistique est en effet la stratégie à mettre en place et ce, que ce soit sur une scène ou en laboratoire. Si l’étendue des possibilités en sciences forensiques est immense et ne cesse de prospérer au vu des progrès scientifiques de ces dernières années, s’il est possible de faire appel à des techniques touchant à la biologie moléculaire, à la biochimie, à la chimie, à la physique, à l’électronique ou encore au traitement de l’information… ces sciences se heurtent à un constat : l’objet d’étude (traces et indices mis sous scellés ou sur une scène de crime) est inconnu (comment identifier sur une scène les objets possédant des traces matérielles d’intérêt ?) et unique (procède-t-on à un examen qui est destructif ?). Il est donc essentiel de bien poser la stratégie scientifique pour la démonstration de la preuve à mettre en œuvre. Ces sciences s’appuient pour cela sur plusieurs postulats considérés comme le ciment commun de la criminalistique mais également régulièrement remis en cause, le transfert ou principe d’échange de Locard (1920) : « Nul ne peut agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser des marques multiples de son passage » ; l’individualité ou principe de Kirk (1963) : « Tout objet de notre univers est unique, deux objets d’origine commune peuvent être comparés et une individualisation prononcée si ces objets sont d’une qualité suffisante permettant l’observation de l’individualité » ; les 5 grands principes selon Inman et Rudin (2000) 1. transfert (cf. principe de Locard), 2. identification (nature, composition), 3. classification-individualisation (origine-source de la trace), 4. association (lien entre les traces-objets-lieux-personnes), 5. reconstruction (conclusion probabiliste sur la séquence des événements passés).
Comment examiner une œuvre d’art de manière précise et non invasive ?
L’acquisition et le traitement des images par tomographie à rayons X permettent la mise en évidence de la structure interne, de faire l’étude des dommages, des zones de restauration, des artifices de montage. Les œuvres en bois (et sur bois) sont particulièrement propices à cet examen et les atteintes xylophages sont facilement visibles. Cet examen permet donc de mettre en évidence des imitations de l’atteinte du bois (vermoulu), de l’utilisation d’un support ancien retouché, repeint ou constitué de plusieurs morceaux anachroniques. En ce qui concerne l’imagerie chimique, ces dernières années l’amélioration de la vitesse d’acquisition des appareils a permis de mettre au point de nouvelles techniques : en scannant l’objet point par point il est possible de connaître sa composition sur une zone localisée de l’ordre du micron. En combinant ces données, il est possible d’obtenir une image en fonction des composés présents. Cela permet de localiser des zones de retouche, des anomalies dans l’application de la matière ou encore des zones contenant des produits totalement anachroniques. Une des techniques utilisées largement dans le domaine de l’étude des œuvres d’art est la spectrométrie par la fluorescence X qui identifie des éléments (fer, plomb, calcium…) ; l’infrarouge à transformée de Fourier qui identifie des produits comme des colorants, des résines, des liants, des polymères, des minéraux…
Des traces de composés anachroniques dans la matière d’une œuvre d’art ?
Il faut caractériser la matière picturale. À partir d’un microéchantillon de quelques microns, il est possible de connaître la composition d’un liant, d’une résine ou d’un colorant à l’aide d’une technique comme la chromatographie gazeuse couplée à un spectromètre de masse. L’identification d’un liant moderne met par exemple en évidence un anachronisme si la période de datation est ancienne. Il faut aussi identifier la source d’origine : on a l’exemple du plomb. Par comparaison, nous pouvons non pas dater le plomb mais comparer ses caractéristiques avec celles de plombs de différentes provenances et extraits à différents moments de l’histoire. Cette technique est utilisée en science criminalistique, en archéologie et en analyse d’objets d’art. Le principe repose sur le fait que le plomb est présent dans la nature avec une combinaison de 4 isotopes stables : 204Pb, 206Pb, 207Pb, 208Pb, de masses différentes. Ces isotopes sont radioactifs à l’exception de l’isotope 204Pb qui est constant. L’étude des ratios de ces isotopes par rapport au 204Pb donne des informations sur leur origine géologique. Cette analyse a par exemple pour but d’identifier les sources du plomb utilisé pour la fabrication du pigment de blanc de plomb (céruse). Dans cet exemple, nous comparons le résultat des ratios de l’analyse de l’échantillon prélevé sur notre œuvre douteuse avec des échantillons de référence de blanc de plomb de ladite période et de ladite localisation. Une différence significative permet d’exclure une provenance compatible avec l’époque attribuée.
“Les critères d’authenticité
et l’approche globale
font aujourd’hui consensus.”
Les critères d’authenticité et l’approche globale font aujourd’hui consensus et cette approche est appliquée lors d’acquisitions pour les collections nationales des Musées de France.
Les auteurs voudraient chaleureusement remercier le Dr Cécile Tainturier, conservateur chez Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, pour son aide pour la traduction du texte sur l’analyse stylistique.
Références :
Principles and Practice of Criminalistics. The Profession of Forensic Science, Keith Inman, Norah Rudin, août 2000, CRC Press, 29 août 2000, ISBN 9781420036930 / Le principe de Locard est-il scientifique ? Ou analyse de la scientificité des principes fondamentaux de la criminalistique, thèse de doctorat présentée à l’Institut de police scientifique de l’École des sciences criminelles, Université de Lausanne, Frank Crispino, 2006.
Discours de Monsieur Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation : https://www.courdecassation.fr/publications_26/prises_parole_2039/discours_2202/marin_procureur_7116/faux_art_38056.html
Pour une brève revue de l’évolution du « connaisseur », voir H. Perry Chapman, Thijs Weststeijn and Dulcia Meijers (eds.), Connoisseurship and the Knowledge of Art, Netherlands Yearbook for History of Art 2019, vol. 69, 2020, p. 6–41 ; Anna Tummers, The Eye of the Connoisseur : Authenticating Paintings by Rembrandt and his Contemporaries, Amsterdam University Press and Getty Publications Los Angeles 2011, p. 22–60.
Vade-mecum des acquisitions à l’usage des Musées de France : « L’objectif est de disposer d’un faisceau d’indices concordants. Tout fait discordant doit amener à questionner la validité du projet d’acquisition. »