Jacques Stern (52) personnalité marquante de l’industrie informatique
Décédé le 26 février 2021, Jacques Stern a profondément marqué l’industrie informatique française en créant une SSII renommée, la SESA, puis en prenant la tête de la société Bull à un moment très difficile de son histoire.
Né le 21 mars 1931 à Paris, fils d’un tailleur juif immigré de Pologne, Jacques Stern a fait ses études au lycée Chaptal et sa taupe à Saint-Louis. Après l’X, ce sera Supaéro puis un Master of Science à Harvard en tant qu’ingénieur militaire. J’ai fait sa connaissance en 1963 au Service technique des télécommunications de l’Air, où il a conçu un projet très innovant, le Strida (système de traitement et de représentation des informations de défense aérienne), permettant à l’Armée de l’air d’assurer la défense aérienne du territoire. Ce système était le premier grand système informatique développé en France mettant en œuvre des calculateurs numériques et des consoles télévisuelles spécialisées.
À l’issue du projet et après avoir cherché en vain à constituer une unité système au sein de l’Armée de l’air, Jacques a décidé de créer en mai 1964 la société d’étude des systèmes d’automation SESA. Je l’ai rejoint en octobre.
Un fleuron des SSII françaises
SESA restera une société exceptionnelle aussi bien pour ses collaborateurs que pour ses clients. Se situant volontairement hors du domaine de la gestion et spécialisée dans les projets hautement techniques, SESA a réalisé des systèmes emblématiques dont beaucoup sont connus, comme le péage automatique pour le métro et le RER à Paris, ou l’annuaire électronique du Minitel. Mais sa réalisation la plus emblématique reste le réseau public de transmission de données Transpac, l’ancêtre d’Internet. Une offre de 100 millions de francs présentée quand le chiffre d’affaires annuel de SESA était de 50 millions. Il a fallu toute la capacité de persuasion de Jacques, qui était exceptionnelle, pour être choisi. Forts de cette référence, SESA a rapidement pris une position dominante dans le monde des réseaux publics en les fournissant à une dizaine de pays comme l’Australie, la Chine ou le Brésil.
Pour tous les projets Jacques Stern était toujours directement concerné ; la présentation interne des offres, qui lui était faite avant remise aux clients, était une étape redoutée des équipes. Il apportait souvent un point de vue singulier ouvrant des pistes restées inexplorées et conduisant à des solutions innovantes. Tous se remettaient alors au travail dans un esprit constructif. C’est une des grandes réussites de Jacques que d’avoir su créer une entreprise exemplaire par l’état d’esprit qui y régnait. Tout le monde fonctionnait en confiance, la lutte interne et le mensonge étaient inconnus, la collaboration la règle. Il a quitté SESA à regret après l’avoir amenée à plus de 2 000 collaborateurs.
Les années Bull
Jacques Stern a été nommé en 1982 à la tête de CII-Honeywell-Bull. Ce fut pour lui une rude transition que de passer de la barre d’un croiseur léger et agile comme SESA à la passerelle d’un lourd tanker ! Les difficultés au cours de son parcours à la tête de Bull, jusqu’à la fin 1990, furent rudes mais on peut dire que son passage aura redonné au personnel moral et fierté.
Sur le plan personnel Jacques était bienveillant, loyal, fidèle, intègre et respectueux des autres. Une anecdote qui le caractérise ; de retour d’un voyage j’ai commis le péché véniel de héler un taxi à quelques dizaines de mètres de la file d’attente déjà largement pourvue. Après un regard assassin de sa part nous avons rejoint la file d’attente.
Janine, son épouse, ses trois fils et sa famille étaient essentiels pour lui, mais, pudique, il ne le dévoilait que très rarement. À la retraite il avait toujours une activité débordante, suivant des cours au collège de France, animant la fondation qu’il avait fondée avec Janine et continuant à militer activement en faveur de l’industrie française.
Personnage attachant il laisse, chez tous ceux qui l’ont bien connu, le profond sentiment d’une perte irremplaçable.