Les ports au service des territoires et de l’économie nationale
Les ports décentralisés jouent un rôle majeur dans la desserte du territoire français, et la stratégie portuaire nationale, qui vient d’être actualisée, en tient pleinement compte. En ce qui concerne nos ports et notamment les grands ports maritimes, il faut reconnaître que les marges de progrès sont importantes, en raison d’une histoire où les concurrents européens ont su se tailler la part du lion.
Nous nous concentrons, dans cet article, sur les ports de commerce. Leur modèle, celui du port outil par opposition au port propriétaire dans lequel les opérateurs publics n’assurent que la gestion des infrastructures et des terrains et du port service dans lequel l’opérateur portuaire apporte directement ses prestations au navire et à la marchandise, n’a évolué que lentement en France au cours du vingtième siècle.
Des évolutions progressives au cours du XXe siècle
Une évolution significative a été de regrouper dans un établissement public de l’État unique, le port autonome, les fonctions de gestionnaire de l’infrastructure et de gestionnaire des outillages. Après une expérimentation limitée en 1920, cette évolution a été parachevée en 1965 pour les six plus grands ports métropolitains. Au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle quelques-uns des plus petits ports de commerce ont cessé leur activité. Pour autant, le poids relatif des ports autonomes et des ports concédés ne s’est pas modifié sensiblement. La réduction de la part des ports autonomes dans le trafic total est essentiellement liée au fait que les trafics d’hydrocarbures, dont l’importance relative a diminué, y sont concentrés. En ce qui concerne les trafics hors hydrocarbures, la concentration du trafic de conteneurs océaniques dans les plus grands ports a été compensée par le développement des trafics rouliers dans les ports non autonomes. L’ajout du port de La Rochelle dans les ports autonomes n’a pas modifié cet état de fait.
Une évolution majeure est intervenue en 1992 par la transformation du régime des ouvriers de la manutention portuaire, qui sont passés d’une gestion des dockers conjointe entre l’État et les entreprises de manutention à un régime de salariés de droit commun employés par les entreprises de manutention. Parallèlement, l’État a procédé en deux temps (1983 et 2004) au transfert de la responsabilité patrimoniale des ports de commerce non autonomes aux départements d’abord, aux régions et aux groupements de collectivités territoriales ensuite ; les ports de plaisance ont été quant à eux transférés en totalité aux communes. Dans les ports de commerce concédés, l’influence des CCI a diminué au profit de syndicats mixtes et d’opérateurs privés. Enfin, la loi de 2008 a imposé aux ports autonomes, devenus grands ports maritimes, de transférer leurs outillages au secteur privé et de se concentrer sur le rôle de port propriétaire.
REPÈRES
Le tissu portuaire français vient du modèle concessif développé au dix-neuvième siècle. Ce modèle, résultant du caractère patrimonial de la domanialité publique, confiait un rôle primordial au propriétaire (public) de l’infrastructure. À son côté les outillages (grues, hangars publics, etc.) étaient confiés à un autre opérateur public, les chambres de commerce et d’industrie dans la grande majorité des cas et, exceptionnellement, dans les ports de pêche à des opérateurs privés. Les ports de plaisance faisaient exception, leur exploitation étant souvent confiée à des communes et dans certains cas à des opérateurs privés.
Les enjeux de la concurrence européenne
Les cinquante dernières années se sont traduites par une réduction de la part des marchandises en vrac et par une extraordinaire montée en puissance des trafics conteneurisés. Sur ces derniers trafics les ports français n’ont cessé depuis la fin du siècle dernier de perdre des parts de marché. Le retard pris sur la mise en service des infrastructures dédiées aux grands porte-conteneurs transocéaniques, pour des raisons budgétaires et de durée des procédures d’instruction, porte une grande part de responsabilité en la matière. Il en est de même de la faiblesse de la desserte massifiée, ferroviaire et fluviale, de nos plus grands ports. Les ports du nord de l’Europe, en particulier, ont renforcé leur avantage en anticipant la construction d’infrastructures dédiées aux grands porte-conteneurs, en développant des dessertes massifiées ferroviaires et fluviales déjà naturellement favorables. Le transfert des industries en Europe centrale est venu accentuer leurs volumes et leurs facteurs concurrentiels. En outre, dans les ports autonomes devenus grands ports maritimes, la recherche de nouveaux équilibres entre autorités portuaires et opérateurs privés a nécessité beaucoup d’énergie et suscité certains conflits sociaux. Il s’ensuit qu’aujourd’hui une part importante des échanges maritimes de la France passe par les ports du Benelux. En revanche, le maintien par les départements et les régions d’un réseau de ports de proximité permet à l’ensemble du territoire un accès à une offre de transport maritime.
Les choix de la stratégie nationale portuaire
Le gouvernement vient de publier, à l’occasion du Comité interministériel de la mer du 22 janvier 2021, une nouvelle édition de la stratégie nationale portuaire. Cette stratégie place en première ambition l’accélération de la transition écologique des ports. Au-delà de l’effet de mode, il est certain que l’accompagnement des armateurs sur l’évolution des carburants maritimes et sur l’alimentation électrique des navires à quai (voir l’article sur ce sujet dans les ports militaires) est de la première importance. La deuxième ambition porte sur l’accélération de la transition numérique des ports. Le problème ne vient pas tant cependant du fait que, dans ce domaine, chaque place portuaire ait développé son propre système d’information des mouvements portuaires (PCS – Port Community System) et du suivi des marchandises (CCS – Cargo Community System) que de celui que les autorités portuaires aient renoncé à leur contrôle. Un rapport du conseil général de l’environnement et du développement durable avait indiqué que les autorités des principaux ports européens contrôlaient ces systèmes et, quand elles ne les contrôlaient pas, le regrettaient amèrement. Les deux ambitions suivantes portent sur la massification des pré et postacheminement des marchandises conteneurisées dans les plus grands ports et sur l’amélioration de la compétitivité du système portuaire français, tous types de ports confondus. Ce sont des points majeurs pour passer de 60 % à 80 % la part du fret à destination ou en provenance de la France, qui est manutentionnée dans les ports français à l’horizon 2050. Espérons, enfin, que l’introduction de la notion de port entrepreneur permettra aux autorités portuaires des grands ports maritimes de retrouver un rôle moteur dans l’animation de leur tissu économique.
Principales dates de structuration du paysage portuaire français :
1920 |
première loi d’autonomie |
Création des ports autonomes (PA) du Havre et de Bordeaux |
1947 |
statut des dockers |
Et du personnel des établissements portuaires en 1948 |
1965 |
deuxième loi d’autonomie |
Création de six ports autonomes métropolitains (les deux existants + Dunkerque, Rouen, Nantes – Saint-Nazaire, Marseille) et décret de création du port autonome de la Guadeloupe (1974) |
1983 |
première loi de décentralisation |
Continuent à relever de l’État les 7 ports autonomes et 20 ports de commerce d’intérêt national (PIN) |
1992 |
loi de transfert total des dockers au secteur privé |
Suppression du régime des dockers intermittents et occasionnels résultant de la loi de 1947 |
2004 |
deuxième loi de décentralisation |
La Rochelle devient port autonome. Continuent à relever de l’État les 8 ports autonomes et les ports d’intérêt national outre-mer |
2006 |
loi sur les sociétés portuaires pour les ports décentralisés |
Sans application immédiate, mais modèle utilisé depuis dans certains PIN |
2008 |
loi de transformation des ports autonomes métropolitains en grands ports maritimes (GPM). |
Remplacement conseil d’administration-directeur général par conseil de surveillance-directoire – transfert des outillages au secteur privé – mise en place d’une convention collective unifiée manutention-exploitation portuaire – conséquence imprévue : explosion de la fiscalité locale des GPM |
2012 |
loi de transformation des ports d’outre-mer |
Sur le modèle des GPM métropolitains |
2015 |
loi sur la manutention portuaire |
Réintroduction d’un monopole patronal et syndical |
2016 |
loi sur l’économie bleue |
Comité des investissements et renforcement du rôle de la Région dans la gouvernance des GPM |
2021 |
fusion des ports de l’axe Seine |
Loi ou décret à venir |