Fayçal Ziraoui (2003) : l’X qui a décrypté les derniers codes de l’énigme du tueur du Zodiaque
L’affaire du « tueur du Zodiaque » a défrayé la chronique dans les années 70. Notre camarade Fayçal Ziraoui (2003) vient de décrypter les trois derniers indices codés laissés par le tueur, restés indéchiffrables depuis cinquante ans.
Fayçal, explique-nous comment tu en es arrivé à t’intéresser à cette affaire policière.
Rien ne m’y prédestinait ! Je suis un X tout à fait classique : prépa à Lakanal, intégré en 2003, puis un master en entrepreneuriat à HEC, et différentes expériences – plus ou moins couronnées de succès – dans le domaine du conseil et de l’entreprise. Je suis aujourd’hui conseiller indépendant et serial entrepreneur. Mais j’ai toujours aimé aller voir en dehors de mon domaine pour approfondir des sujets les plus divers (de l’horlogerie à la pâtisserie !) : ces apports externes à mon champ professionnel s’alimentent les uns les autres et enrichissent considérablement la créativité. Et c’est comme cela que je suis un jour tombé sur cette affaire du Zodiaque.
Rappelle-nous comment cette affaire s’est développée.
D’abord, une précaution : le fait qu’on ait pu décrypter des codes qui révèlent éventuellement l’identité du tueur, ne signifie pas qu’on ait formellement identifié ce dernier. L’enquête devra formellement rattacher ce suspect aux crimes.
L’affaire du Zodiaque a été très médiatisée à travers le film de David Fincher sorti en 2007, Zodiac, un film sombre qui relate des événements qui ont eu lieu dans les années 1960–1970. C’est l’histoire d’un tueur en série qui terrorise la Californie par le choix de ses victimes : il semble viser des gens tranquillement assis dans leurs voitures, qu’il tue apparemment sans mobile. Il revendique ses crimes à travers des lettres qu’il envoie à des journaux et il joint à ses lettres des cryptogrammes contenant, entre autres symboles, des signes du zodiaque – d’où son surnom –, que les autorités vont tenter de décoder pendant des années.
Derrière ce film se cache effectivement une histoire vraie : on n’a jamais découvert qui était le Zodiaque. On lui attribue cinq meurtres de manière certaine. Lui en a revendiqué 37, et l’auteur du livre dont s’est inspiré le film en estime environ une cinquantaine. Il y a eu un certain nombre de suspects, mais aucun n’a pu être incriminé de manière définitive.
Et les cryptogrammes ?
Les cryptogrammes ont rajouté une part de mystère à cette affaire, qui du coup a pu fasciner à travers le film les fans de frisson. Il y en a eu 4 : le premier, en juillet 1969, a été décodé en une semaine par un couple d’amateur, mais ne révélait rien de probant par rapport à l’affaire. Le tueur y expliquait tout simplement qu’il aimait tuer pour le plaisir que ça lui procurait. Le deuxième cryptogramme quelques mois plus tard, en novembre 1969, long de 340 caractères (ce qui lui vaut l’appellation Z340, à la différence du premier baptisé Z408), vient juste d’être décodé en décembre 2020 par une équipe internationale.
Et que révèle-t-il ?
Ce code qui a été envoyé par le tueur en novembre 1969 et qui a pris cinquante ans pour être craqué ne permet effectivement pas d’identifier le tueur. En voici un petit extrait : « J’espère que vous avez eu beaucoup de fun à essayer de m’attraper. Je n’ai pas peur de la chambre à gaz parce qu’elle m’enverra au paradis… » Il expliquait que tout ça lui allait parce qu’il aurait suffisamment d’esclaves pour travailler pour lui dans l’au-delà : il considère ses victimes comme autant de personnes qui deviendront ses esclaves après sa mort. Mais aucune information permettant d’avancer dans l’enquête.
Il reste donc deux cryptogrammes.
Oui, et c’est à partir de là que je me suis intéressé à cette affaire, par pure curiosité. Je me suis donc penché sur les deux derniers cryptos non décodés, le Z13 et Z32, qui ont la particularité d’être assez courts. Je démarre par le Z32, qui est une menace qui indique le lieu où le Zodiaque aurait dissimulé une bombe visant des écoliers. Le Z13, lui, semblait renfermer le graal en quelque sorte, c’est-à-dire l’identité du tueur.
Le code Z32 comporte 32 caractères, tout en bas d’une lettre dans laquelle le Zodiaque dit qu’il va s’attaquer à un bus scolaire qu’il va complètement annihiler avec une bombe. Mais l’école étant actuellement en vacances (nous sommes fin juin), les autorités ont jusqu’à la rentrée pour trouver cette bombe. Ce code, couplé à la carte routière qui l’accompagne, est la clé pour aider les autorités à retrouver la bombe et la désamorcer. Sur la carte, il a marqué au stylo une croix sur une montagne appelée le mont Diablo, pas loin de San Francisco et l’indication que quelque chose doit être aligné sur « MAG N ».
En voyant que les autorités n’avançaient pas, il a renvoyé un autre courrier un mois plus tard, où il donne un indice supplémentaire : la croix sur le mont Diablo fait référence à « des radians et des inches ».
Nous voici donc rendus en Californie.
Le mont Diablo est effectivement une montagne dans les environs de San Francisco, qui sert de repère aux géomètres depuis la fin du XIXe siècle pour les mesures du cadastre. Ce repère définit ce qu’on appelle un « méridien principal », qui passe à travers cette montagne et sert de repère ensuite pour les mesures. Le deuxième indice, c’est qu’on doit « s’aligner sur MAG N ». J’ai fait l’hypothèse que cela voulait dire « MAG.netic N.orth » et que donc il fallait trouver quelque chose à aligner avec le nord magnétique, et non pas le nord géographique. Enfin, l’indice sur les « radians et les inches », qui sont des unités d’angle, faisait certainement référence à des coordonnées de latitude et longitude.
Finalement, l’hypothèse que je fais c’est que, à l’intérieur de ce code, il y a des coordonnées, mais calées sur le nord magnétique.
Ça ne change rien au fait que le code est court et que des experts le pensent indéchiffrable ?
Généralement, lorsqu’on qu’on essaie de résoudre des codes, on analyse les occurrences de certains caractères, qu’on compare avec la fréquence des caractères dans le langage supposé du texte (ici en anglais). Dans un code très court comme ici, il y a très peu de répétitions et les méthodes statistiques ne peuvent pas marcher. Mais on peut se dire que ce code-là a été envoyé par le même auteur que d’autres codes plus longs, par exemple le code résolu en décembre 2020 pour lequel on a plus d’informations. Les gens qui ont craqué ce code ont trouvé ce qu’on appelle une clé de substitution, c’est-à-dire qu’à chaque symbole utilisé correspond une lettre de l’alphabet.
Donc j’ai tout simplement appliqué la même clé au Z32, et ça donne une petite séquence dans laquelle je pense pouvoir trouver les coordonnées. La séquence comporte des lettres, bien sûr, et deux symboles qui ne sont pas décodés : ce sont des symboles du zodiaque, le Bélier (retourné) et la Balance. Ce qui est intéressant, c’est qu’on voit apparaître des mots en anagramme, comme NORT(h), EAST ou WEST. Il y a donc peut-être là une piste à creuser. En particulier, dans la deuxième ligne du code, où aucune anagramme ne saute aux yeux à première vue : c’est peut-être là que les coordonnées pourraient être cachées. J’ai demandé leur avis à des camarades experts en cryptographie, qui m’ont dit que ces pistes étaient plausibles et intéressantes et qu’elles méritaient d’être investiguées par l’enquête.
Quelles sont les techniques que tu as utilisées ?
Pour convertir des lettres, il y a une façon très triviale de faire : utiliser leur position dans l’alphabet (a = 1, b = 2, etc.). C’est ce que je vais utiliser à une nuance près : je vais juste garder les unités et pas les dizaines. Avec cette deuxième étape de conversion des lettres en chiffres, j’arrive à une séquence de chiffres qui pourraient contenir les coordonnées. Si on essaye d’être un petit peu pragmatique, on se dit qu’on va probablement trouver une zone en Californie du Nord, et donc il va falloir trouver des coordonnées dans cette zone. Dix chiffres, c’est un niveau de précision qui est acceptable pour l’époque pour désigner un lieu, avec 5 chiffres pour la latitude et 5 chiffres pour la longitude.
Je fais aussi l’hypothèse que ces chiffres apparaissent dans l’ordre, car il serait impossible de les reconstituer comme on peut faire avec des anagrammes de mot. Et effectivement j’identifie une séquence : 45.609 NORT (certes avec une faute d’orthographe, mais c’est quelque chose qui arrive souvent en cryptographie, car c’est une manière de rendre le décryptage plus complexe) et 58.719 WEST.
“J’ai utilisé un algorithme disponible librement
sur le site de la Nasa que j’ai reprogrammé.”
À partir de là, ce qui m’a pris un peu plus de temps, c’est de construire un outil pour faire la traduction entre coordonnées géomagnétiques et coordonnées géographiques. J’ai simplement utilisé un algorithme disponible librement sur le site de la Nasa, que j’ai reprogrammé pour faire cette conversion. Une fois qu’on a appliqué cet algorithme, on localise ces coordonnées sur une carte : elles pointent à 800 mètres d’une école d’une ville qui s’appelle South Lake Tahoe.
Que s’est-il passé au lac Tahoe ?
Cette arrivée dans le voisinage du lac Tahoe est intéressante parce que d’une part ce n’est pas loin d’une école et d’autre part, le lac Tahoe a une importance particulière dans l’affaire du Zodiaque : quelques mois plus tard, le Zodiaque avait envoyé une carte postale dans laquelle il faisait référence à une éventuelle victime « numéro 12 » et cette carte postale mentionnait bien le lac Tahoe !
D’ailleurs, cette carte postale n’est pas une vraie carte postale : il l’a fabriquée lui-même à partir d’un prospectus d’un projet immobilier à Lake Tahoe. Une infirmière habitant dans cette ville, Donna Lass, avait bien disparu quelques mois plus tôt en septembre 1970 et les autorités ont supposé que cette infirmière avait pu être la victime numéro 12 revendiquée dans la carte.
Te voilà donc sur la piste d’une nouvelle victime. Comment progresses-tu ensuite ?
Une fois identifiées ces coordonnées nord-ouest probables, il reste un certain nombre de lettres non interprétées : j’essaye manuellement de voir s’il y a des anagrammes qui ressortent, mais non ! Alors, je fais un programme qui va, par « force brute » sur la base d’un dictionnaire de mots, essayer de reconstituer des combinaisons qui pourraient faire sens. Ce programme d’abord ne trouve rien du tout.
À ce moment-là, je regarde l’historique des codes et je tombe par hasard sur cette information que, assez souvent, il confondait des symboles : le triangle plein et le triangle avec un point. Sur huit utilisations de ces symboles dans son premier code, il s’est trompé quatre fois. Donc je fais l’hypothèse que, éventuellement, il a pu se tromper ici aussi : ce qui me donne un L ici à la place d’un P. Alors c’était peut-être juste une coïncidence, mais on voit apparaître immédiatement une anagramme de Diablo.
« Mon programme sort 3 762 combinaisons, que je lis toutes une par une. »
Je lance à nouveau mon programme avec le dictionnaire de mots pour essayer de reconstituer le maximum de phrases possibles avec toutes les lettres : il en sort 3 762 combinaisons, que je lis toutes une par une. Un seul résultat a un sens : « Labor Day Find » ce qui est intéressant pour plusieurs raisons. La première, c’est que le Zodiaque aimait commettre ses crimes les jours fériés, et le Labor Day est un jour férié (jour du travail, premier lundi de septembre) aux États-Unis. Mais surtout il correspond à la rentrée des classes, ce qui est cohérent avec la mention de l’école dans la lettre du Zodiaque.
À ce stade, le code nous semble pointer vers une école dans une ville liée à l’affaire et une date qui correspond à la fin de l’automne et qui correspond à la rentrée scolaire. Le Zodiaque avait bien dit que les autorités avaient jusqu’à l’automne, sous-entendu jusqu’à la rentrée, pour déterrer la bombe. Mais aucune bombe n’a explosé : était-ce un coup de bluff ? A‑t-il changé ses plans ? On ne sait pas…
Et on arrive au fameux code Z13.
Oui, le code suivant, le code Z13, est celui qui est censé révéler son identité. Si les codes sont connectés, je dois pouvoir, en utilisant des techniques similaires, réussir à résoudre. En appliquant les mêmes substitutions, puis la traduction de ces lettres en chiffres, je trouve une suite de chiffres qui m’interpelle : on a 3 chiffres (5, 1, 1, 5, 5, 4, 5…) qui se répètent sur une bonne partie du code, une séquence qui évoque tout de suite une technique de cryptographie inventée par le Français Félix-Marie Delastelle et publiée en 1902. On retrouve cette technique dans un manuel de l’armée américaine. Elle consiste à encoder les lettres de l’alphabet sur trois chiffres, et donc vous retrouvez toujours ces trois chiffres, un peu comme dans le codage binaire en électronique on trouve des suites de 0 et de 1.
Mais le Zodiaque ne s’est pas contenté de ce codage, il en a ajouté un autre, qui est en fait un protocole en électronique qui consiste à prendre, non pas ce premier étage de chiffres, mais les écarts entre les valeurs successives. Donc quand vous faites ça, on trouve 43433313…, une séquence de douze chiffres susceptibles d’encoder quatre lettres. La probabilité, en partant d’une séquence aléatoire de lettres au départ et d’arriver à une séquence de ce type-là contenant uniquement trois chiffres, n’est que d’une chance sur 400 !
Je regarde donc ce que me donnent ces lettres-là : et ça, ça me donne les lettres K‑A-Y‑R. Or je sais qu’il y a un suspect dans l’enquête qui s’appelle KAYE. En fait, ce suspect a souvent changé de nom. Ayant eu des démêlés avec la justice, il utilisait tout un ensemble de faux noms, dont KAY (sans E). Il avait été effectivement suspecté par la police d’être le Zodiaque. Kaye habitait à quelques kilomètres de South Lake Tahoe. Il a été aussi reconnu sur un panel de photos par une des victimes du Zodiaque qui a survécu.
Ce suspect avait eu un accident de voiture en 1962 qui lui a provoqué des troubles mentaux, mais il avait des aptitudes intellectuelles lui permettant de faire ce type d’encodage, d’autant plus qu’il avait rejoint un programme relativement exclusif au sein de la Navy américaine, au travers duquel il avait pu apprendre à la fois des techniques de cryptographie mais également de navigation et enfin d’électronique.
Mais il y a un dernier « code » ?
Effectivement. Je découvre qu’au total ce ne sont pas quatre codes que le Zodiaque a envoyés, mais il y en a un cinquième. Celui-ci n’est pas un cryptogramme : c’est la carte postale envoyée en mars 1971.
Cette carte postale est façonnée à partir d’un prospectus de projet immobilier et, dessus, le Zodiaque a collé des mots prédécoupés, à la manière d’une lettre anonyme : dans le quart supérieur gauche, un « Sierra Club » ; en bas à gauche, une mention « around in the snow » et la référence à une victime numéro 12 ; dans le quart inférieur droit, il y a un slogan qui a été utilisé dans le prospectus, qui semble vouloir dire « contempler [la beauté du paysage] à travers les pins », associé à la mention d’un « Pass Lake Tahoe ».
Enfin, dans le quart supérieur droit simplement un trou perforé. Mon intuition me dicte que ces personnalisations aux quatre coins de la carte postale sont autant d’indices reliés entre eux et qu’ils pourraient avoir un lien avec la disparition de Donna Lass… aperçue pour la dernière fois le jour du Labor Day.
Je commence par la mention « around in the snow », or il existe non loin du lac Tahoe deux montagnes voisines qui portent le nom de Round : Round Top, et Little Round Top. Donc « around in the snow », ou encore « a Round in the snow », pourrait très bien faire référence à l’une de ces montagnes sous la neige.
“Une séquence m’interpelle,
qui évoque une technique
de cryptographie inventée par
le Français Félix-Marie Delastelle.”
Je me dis que c’est peut-être une coïncidence, mais du coup je vais regarder ce que donnent les autres indices. Effectivement, on trouve aussi une station de ski, au nord de ces sommets, appelée Sierra-at-Tahoe. Cela fait donc deux indices qui pourraient être a priori élucidés.
À l’est de ces deux lieux, je trouve une route qui s’appelle Luther Pass connue à l’époque pour emmener au lac Tahoe (Pass Lake Tahoe), et son intersection avec une autoroute appelée El Camino Sierra réputée pour la beauté du panorama qu’elle offrait (« contempler [la beauté du paysage] à travers les pins »). Le troisième indice en bas à droite de la carte postale semble également cohérent.
Ces trois indices dessinent sur la carte un angle droit. Je me demande si le quatrième sommet qui clôt le rectangle renvoie vers un dernier lieu. J’arrive sur une zone un peu montagneuse, où il n’y a pas grand-chose. Je suis un peu déçu, et puis il y a une zone qui m’interpelle, qui semble former un plateau. En zoomant dessus, j’ai un gros frisson horrible : cet endroit s’appelle le « Trou de l’Enfer » ! Or il y a bien un trou circulaire percé dans le dernier quart de la carte postale.
Je me retrouve donc avec quatre indices géographiques, qui forment un rectangle de 7 km sur 12 km, et là j’ai le sentiment que la carte postale a été orchestrée de manière à ce que le Trou de l’Enfer soit le dernier lieu trouvé. Peut-être pour permettre de trouver la dépouille d’une des victimes, celle de l’infirmière Donna Lass ?
Et sait-on ce que renferme ce Trou de l’Enfer ?
À vrai dire, non : c’est peut-être l’indication qu’il faut effectivement aller voir ce qu’il y a dans ce Trou de l’Enfer, mais c’est peut-être aussi une expression symbolique (« La victime est en enfer »), ou cela peut encore se référer à un autre lieu (il existe un lac du même nom dans les environs). Bref, les pistes ne manquent pas… d’ailleurs, il est clair que, avec le Zodiaque, on n’a pas vraiment affaire à un défi de cryptographie : c’est plutôt un jeu de piste organisé par le tueur, avec une intelligence et une inventivité indéniables.
À la différence du code Z340, qui été cassé en décembre dernier en recourant abondamment à la « force brute » des ordinateurs, on est, avec ces trois derniers codes ou plutôt indices, dans un duel d’intelligence et de psychologie.