Étymologie :
À propos de la dette
La dette, c’est ce qui est dû à un tiers, ce que l’on doit rembourser, ce dont on est redevable, et c’est un devoir pour le débiteur de s’en acquitter, ce qui renvoie six fois au verbe devoir, par lequel l’étude du mot dette doit commencer.
La dette et le débit
Le verbe devoir vient du latin debere, de même sens, avec l’évolution habituelle de la consonne /b/ en /v/. Le participe passé de debere est debitum « dû », utilisé comme un nom, debitum « ce qui est dû », d’où en français débit, au sens financier (puis dans des sens figurés non détaillés ici, tels que le débit d’un fleuve). D’autre part, le nom neutre debitum avait pour pluriel en latin debita, pris en bas latin pour un nom féminin, debita, d’où en ancien français debt, dete et finalement dette en français, où coexistent des doublets étymologiques : débit, le terme savant opposé à crédit en comptabilité, et dette, le terme populaire, utilisé aussi en économie.
La question est maintenant de comprendre ce verbe latin debere ; il est composé de deux éléments, mais cela ne se voit pas d’emblée.
Une dette doit être remboursée
En effet, le verbe latin debere se comprend comme [de + habere], où le préfixe de signifie « retiré à », et où habere « avoir » est à l’origine même d’avoir en français, avec la même évolution phonétique de /-bere/ à /-voir/ que celle de debere à devoir.
Et donc debere signifie littéralement « avoir (quelque chose qui est) retiré à (quelqu’un) ». Le mot dette insiste sur le fait que la somme empruntée appartient à un tiers, et qu’il faudra la rendre. Ces noms dette et débit ont des équivalents dans les langues romanes, en italien debito, en espagnol deuda, débito…, ainsi qu’en anglais, debt et debit empruntés à l’ancien français, et même en allemand Debet, pour le débit comptable. Du latin debere viennent aussi en anglais, par l’anglo-normand, l’adjectif due « qui est dû, qui va arriver », d’où duty « droit à payer, devoir » (cf. duty free). Cependant le verbe devoir, en italien dovere, en espagnol deber…, se traduit en anglais par to owe, d’origine tout autre.
Dans les langues germaniques
En vieil-anglais, to owe ne signifiait pas « devoir », mais « posséder », d’une racine indo-européenne *oik- relative à la possession. Le participe passé de to owe (alors irrégulier) était own, qui a été compris comme un adjectif, own « propre, à soi » (équivalent de l’allemand eigen, de même sens). C’est de là que vient le verbe to own « posséder », alors que le sens de to owe (devenu régulier, owed) a glissé de « avoir » à « devoir » en passant par « avoir quelque chose qui doit être payé ». D’où l’étrange ressemblance entre to own « avoir, posséder » et to owe « devoir », dont l’étymologie inciterait en quelque sorte à effacer la dette ! A contrario, l’allemand Schuld « dette », d’origine norroise, signifie aussi « faute », comme si l’endettement en allemand était une faute…, avant même le surendettement (cf. la règle des 3 % de l’Union européenne).
À ces différentes façons de nommer la dette, s’ajoute un autre point de vue plus large.
Épilogue
En latin, l’adjectif mutuus signifie à la fois « emprunté » et « prêté » et se relie à une racine indo-européenne relative à l’échange (cf. l’ÉtymologiX à propos de l’Europe politique, janv. 2021). La dette doit alors concrétiser une mutualisation entre prêteur et emprunteur. Cette confiance réciproque est d’autant plus nécessaire que les enjeux sont élevés, et plus encore lorsque la dette est mutualisée entre les états de l’UE.