Vers de nouveaux programmes d’hélicoptères militaires européens
Le renouvellement des flottes européennes d’hélicoptères militaires à moyen et long terme ne semble pas avoir été suffisamment préparé. Que faire dans ces conditions ? Le présent article résume un dossier de l’Académie de l’air et de l’espace dont l’auteur a été le coordonnateur.
En 1967, les deux principaux pays européens « aéronautiques », la France et le Royaume-Uni, signent un accord prévoyant le développement et la production au profit de leurs forces armées de trois types d’hélicoptères : un hélicoptère de transport tactique, le Puma ; un hélicoptère léger d’observation, la Gazelle ; un hélicoptère moyen polyvalent, le Lynx. Le total prévu représentait 800 à 850 appareils, livrés à partir de 1970. Il en sera construit au total environ 3 100 en incluant l’export et les versions civiles ; environ 200 appareils restent encore en service dans les armées française et britannique. La famille Puma a engendré la famille Super Puma-Cougar-H225 dont le 1 000e exemplaire a été livré en 2019. Mais ces appareils franco-britanniques n’entreront que très peu dans l’inventaire des autres armées européennes.
Les armées européennes réfléchissent aux suites à donner et, en 1975, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni (mais pas l’Italie) signent les accords dits de Ditchley Park qui prévoient le partage suivant, qui sera le fondement de la « deuxième vague » de programmes militaires européens : l’Allemagne aura la responsabilité du futur hélicoptère armé (anti char) ; la France aura la responsabilité du futur hélicoptère moyen ; le Royaume-Uni aura la responsabilité du futur hélicoptère lourd. Ces trois programmes devaient être menés en coopération tant des États que des industriels.
REPÈRES
L’utilisation d’hélicoptères par les forces armées des pays européens a commencé après celle des USA en Corée, laquelle était essentiellement destinée aux besoins d’évacuation sanitaire. Il en a été de même pendant la guerre d’Indochine, les appareils (américains) utilisés étant soit achetés aux USA, soit construits sous licence. Ultérieurement, lors de la guerre d’Algérie, l’éventail des missions s’élargit à des missions de transport tactique et à des missions où l’appareil utilise des armements air-sol, puis lors de la guerre au Vietnam (à plus grande échelle) à des missions de transport « très lourd ».
Ces trois programmes deviendront respectivement : le Tigre, dans un cadre germano-français puis OCCAr (Organisme conjoint de coopération en matière d’armement), étendu plus tard à l’Espagne ; le NH90, hélicoptère lourd, dans un cadre Otan avec prépondérance française, participation Allemagne, Italie, Pays-Bas et plus tard Portugal ; l’EH101, hélicoptère lourd à très lourd, dans un cadre britannique puis italo-anglais. Le total imaginé représentait environ un millier d’appareils, ce qui est presque atteint à ce jour (environ 950), la différence s’expliquant par un moindre nombre de Tigre anti chars, dû à l’effondrement du bloc de l’Est. Les premières livraisons de cette deuxième vague datent des environs de l’an 2000.
L’état des lieux
Il y a environ 2 500 hélicoptères dans les armées européennes, les utilisateurs les plus importants étant la France et le Royaume-Uni (> 400), l’Italie (> 300), l’Allemagne, la Pologne et la Grèce (> 200) ; de nombreux types d’appareils sont en service, d’origine américaine, européenne ou russe, dont les plus onéreux sont les hélicoptères très lourds (plus de 13 t), les hélicoptères lourds (8 à 13 t) et les hélicoptères armés spécialisés. Notons que la grande polyvalence des hélicoptères a rendu habituel un classement par masses maximales au décollage, plutôt que par mission. Les types d’appareils les plus récents ont été mis en service il y a une quinzaine d’années, les types d’appareils les plus anciens ont été mis en service il y a plus d’une quarantaine d’années. Les appareils de la 2e vague sont encore les plus modernes du monde militaire, les hélicoptères militaires américains datant des années 1970.
Les problèmes rencontrés
Les problèmes rencontrés lors des développements effectués en coopération sont les suivants : la différence de politique étrangère entre les nations européennes et par conséquence la différence entre les doctrines d’emploi ; le financement des programmes (et leur découpage) très étalé dans le temps, ce qui amène à faire cohabiter un trop grand nombre de versions et à diminuer les quantités initialement prévues ; bien que les bases réglementaires utilisées aient été largement les règlements civils, contrairement aux appareils civils dont la certification par l’EASA est « européenne » les appareils militaires ont une qualification nationale, même si des organismes comme l’Organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAr) et NATO Helicopter Management Agency (Nahema) interviennent ; le choix des équipementiers et sous-traitants et de la localisation des chaînes d’assemblage relevant de critères autant politiques ou économiques qu’opérationnels.
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) des hélicoptères des forces armées est un défi considérable : les conditions d’emploi sont particulièrement sévères (sable, atmosphère saline, détachement en milieu hostile, impacts d’armes légères) ; la logistique du soutien logistique est rendue plus complexe que pour des avions opérant à partir de bases aériennes « fixes » ; la disponibilité des rechanges et l’efficacité des programmes de révision sont fortement affectées par le trop grand nombre de versions. Ces problèmes sont communs à tous les utilisateurs, européens ou non, et sont presque toujours traités au seul niveau national, voire au niveau de chaque armée.
Les questions pour le moyen terme en France
À l’exception du HIL, hélicoptère interarmées léger, dont le choix est le H160M Guépard et dont les premières livraisons sont prévues à partir de 2026, aucun autre lancement de programme d’hélicoptère n’est prévu dans la loi de programmation militaire (LPM) 2018–2025 ; seule la rénovation à mi-vie du Tigre (Mk3) est en cours. Cependant, dans le projet de budget 2021, il est apparu une nouvelle rubrique dénommée hélicoptère de manœuvre nouvelle génération (HM NG), avec un premier financement d’études préliminaires, en vue du remplacement à l’horizon 2040 et au delà des hélicoptères (lourds) Puma, Cougar, Caracal, voire ultérieurement NH90 TTH et NFH.
“Le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères des forces armées est un défi considérable.”
Quelques problèmes semblent à ce jour non résolus. Tout d’abord, le Guépard (5−6 t, appareil moyen et non pas léger) n’a pas vocation à remplacer les Super Puma-Cougar (masse maximale de 7 à 9 tonnes, appareils lourds), car ses capacités de transport sont trop faibles. Il a fallu prendre en 2020 une décision d’équipement complémentaire en hélicoptères lourds pour pérenniser la mission essentielle de ces hélicoptères, notamment en matière de SAR (Search and Rescue).
Ensuite, on peut s’interroger sur la disparition à terme du parc des hélicoptères légers qui sont très présents dans les flottes de nos alliés. Faire faire des missions simples, notamment d’entraînement et de liaison, par des Guépard sera beaucoup plus onéreux que doter les forces d’un certain nombre d’hélicoptères légers biturbines (voire monoturbines) au coût de fonctionnement bien plus faible. Des hélicoptères légers H135-145 (voire H125), pourraient répondre à ce besoin. Enfin, la question de doter les forces françaises d’hélicoptères très lourds reste posée, alors que nos grands partenaires européens en sont dotés.
Les questions pour le moyen terme en Europe
Contrairement à la France, la question des hélicoptères très lourds ne se pose pas chez nos voisins, pas plus que la question des hélicoptères armés spécialisés, en raison des revalorisations à venir des appareils en service (qui sont souvent américains). En revanche, le besoin dû au vieillissement dans le domaine des appareils lourds va commencer à se poser (sauf pour le NH90), comme en France. Le 19 novembre 2020, cinq pays (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Grèce et France) ont signé dans le cadre de l’Otan une lettre d’intention pour développer ensemble une capacité d’hélicoptères entièrement nouvelle.
“Avoir un niveau d’harmonisation raisonnable
des besoins.”
Ce projet multinational de « capacités giravion de nouvelle génération » ou Next Generation Rotorcraft Capabilities NGRC a l’ambition de succéder aux générations d’hélicoptères moyens-lourds polyvalents à l’horizon 2035 et au delà. Par ailleurs, Airbus a proposé en janvier 2021 à l’European Defence Fund d’étudier un European Next Generation Rotorcraft ENGR. Il faut aussi noter que le ministère de la Défense britannique a signé en juillet 2020 avec les États-Unis une lettre d’intention pour participer au Joint MultiRole Rotorcraft, qui comprend le programme Future Vertical Lift, et développe actuellement des solutions d’appareils militaires à grande vitesse (environ 400 km/h).
Enfin des documents budgétaires italiens publiés en septembre 2020 ont évoqué une possible participation de Leonardo au même programme.
Les besoins à long terme
Il faut sérieusement se poser la question du remplacement des flottes qui arriveront en fin de vie progressivement à partir de 2040. Compte tenu de la difficulté et de la durée des processus de convergence européenne en matière de programme d’armement, il serait important que les grands pays européens qui ont une industrie d’hélicoptères, France, Allemagne, Espagne, Italie, voire Pologne, prissent rapidement des initiatives en ce sens, en associant le Royaume-Uni avec qui la coopération a été importante dans le passé. Il va de soi que ce processus devra associer les états-majors ; en effet, outre le choix des critères de performances techniques et opérationnelles et l’évaluation des architectures et technologies disponibles, il semble impératif qu’une harmonisation des doctrines d’emploi soit préalablement effectuée.
Il faut en particulier se poser la question des possibilités opérationnelles des formules nouvelles (combinés et convertibles) à vitesse supérieure, qui ne semblent pas être actuellement abordées en Europe mais sont prévues aux USA, et dont la faisabilité technique est abordée par le programme civil européen Clean Sky ; il faudra aussi prendre en considération l’arrivée des programmes de drones VTOL ou ADAV, aéronef à décollage et atterrissage verticaux, en particulier pour les marines.
Points clés d’un futur programme d’hélicoptère militaire en coopération européenne
Pour construire un programme interarmées en coopération européenne, les points suivants sont fondamentaux :
- la phase clé est l’harmonisation des spécifications opérationnelles et techniques ;
- la bonne cohésion des partenaires industriels (coopétition) ;
- la coordination des budgets nationaux et le calendrier des financements ;
- la vraisemblance des engagements financiers et des commandes ;
- l’obtention de la plus large base de communalité entre les versions ;
- la considération dès l’origine des modalités de certification-qualification et là encore la recherche de la plus large base
commune du processus correspondant ; - l’établissement d’une agence internationale rattachée au niveau exécutif des États partenaires pour exercer le rôle d’autorité contractuelle et assurer la supervision du programme et également d’une agence équivalente dans l’industrie.
Pour préserver les revalorisations futures, il faut :
- imposer une architecture système ouverte et modulaire pour les systèmes de vol et les systèmes de mission ;
- utiliser les technologies matures et considérer le coût de développement en regard des coûts sur toute la durée de vie de l’appareil.
Quels nouveaux programmes ?
Les réflexions précédentes, qui pourraient s’appliquer dès le moyen terme à un nouveau programme d’hélicoptères lourds ou aux projets NGRC et ENGR, devraient également s’appliquer, toujours dans le but d’une autonomie stratégique européenne, à l’horizon d’une mise en service au-delà de 2040, à de nouveaux programmes d’hélicoptères très lourds et armés spécialisés, l’approvisionnement en hélicoptères légers ou moyens n’étant pas réellement menacé grâce à l’offre abondante de plateformes civiles « militarisables » proposée par les deux industriels européens Airbus et Leonardo.
Le problème du renouvellement des hélicoptères lourds et très lourds et des hélicoptères armés spécialisés, dont les coûts de développement sont beaucoup plus élevés et peuvent dépasser les ressources individuelles des États, est en effet crucial et le recours à un financement collectif est une option réaliste, sous réserve d’avoir un niveau d’harmonisation raisonnable des besoins exprimés par les différentes armées.
Si l’on désire promouvoir l’indépendance et la souveraineté de l’Europe vis-à-vis de la concurrence américaine, il est grand temps de se poser la question du lancement de programmes nouveaux en coopération, dont on sait que le cycle de gestation depuis les études préliminaires jusqu’à l’entrée en service peut atteindre une vingtaine d’années. Comme pour les deux précédentes « vagues », un accord intergouvernemental répartissant les responsabilités serait probablement le bienvenu.