Projet de combiné US Defiant de Sikorsky Boeing.

Vers de nouveaux programmes d’hélicoptères militaires européens

Dossier : HélicoptèresMagazine N°767 Septembre 2021
Par Bernard FOUQUES (63)

Le renou­vel­le­ment des flottes euro­péennes d’hélicoptères mili­taires à moyen et long terme ne semble pas avoir été suf­fi­sam­ment pré­pa­ré. Que faire dans ces condi­tions ? Le pré­sent article résume un dos­sier de l’Académie de l’air et de l’espace dont l’auteur a été le coordonnateur.

En 1967, les deux prin­ci­paux pays euro­péens « aéro­nau­tiques », la France et le Royaume-Uni, signent un accord pré­voyant le déve­lop­pe­ment et la pro­duc­tion au pro­fit de leurs forces armées de trois types d’hélicoptères : un héli­co­ptère de trans­port tac­tique, le Puma ; un héli­co­ptère léger d’observation, la Gazelle ; un héli­co­ptère moyen poly­va­lent, le Lynx. Le total pré­vu repré­sen­tait 800 à 850 appa­reils, livrés à par­tir de 1970. Il en sera construit au total envi­ron 3 100 en incluant l’export et les ver­sions civiles ; envi­ron 200 appa­reils res­tent encore en ser­vice dans les armées fran­çaise et bri­tan­nique. La famille Puma a engen­dré la famille Super Puma-Cou­gar-H225 dont le 1 000e exem­plaire a été livré en 2019. Mais ces appa­reils fran­co-bri­tan­niques n’entreront que très peu dans l’inventaire des autres armées européennes.

Les armées euro­péennes réflé­chissent aux suites à don­ner et, en 1975, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni (mais pas l’Italie) signent les accords dits de Dit­chley Park qui pré­voient le par­tage sui­vant, qui sera le fon­de­ment de la « deuxième vague » de pro­grammes mili­taires euro­péens : l’Allemagne aura la res­pon­sa­bi­li­té du futur héli­co­ptère armé (anti char) ; la France aura la res­pon­sa­bi­li­té du futur héli­co­ptère moyen ; le Royaume-Uni aura la res­pon­sa­bi­li­té du futur héli­co­ptère lourd. Ces trois pro­grammes devaient être menés en coopé­ra­tion tant des États que des industriels.


REPÈRES

L’utilisation d’hélicoptères par les forces armées des pays euro­péens a com­men­cé après celle des USA en Corée, laquelle était essen­tiel­le­ment des­ti­née aux besoins d’évacuation sani­taire. Il en a été de même pen­dant la guerre d’Indochine, les appa­reils (amé­ri­cains) uti­li­sés étant soit ache­tés aux USA, soit construits sous licence. Ulté­rieu­re­ment, lors de la guerre d’Algérie, l’éventail des mis­sions s’élargit à des mis­sions de trans­port tac­tique et à des mis­sions où l’appareil uti­lise des arme­ments air-sol, puis lors de la guerre au Viet­nam (à plus grande échelle) à des mis­sions de trans­port « très lourd ». 


Ces trois pro­grammes devien­dront res­pec­ti­ve­ment : le Tigre, dans un cadre ger­ma­no-fran­çais puis OCCAr (Orga­nisme conjoint de coopé­ra­tion en matière d’armement), éten­du plus tard à l’Espagne ; le NH90, héli­co­ptère lourd, dans un cadre Otan avec pré­pon­dé­rance fran­çaise, par­ti­ci­pa­tion Alle­magne, Ita­lie, Pays-Bas et plus tard Por­tu­gal ; l’EH101, héli­co­ptère lourd à très lourd, dans un cadre bri­tan­nique puis ita­lo-anglais. Le total ima­gi­né repré­sen­tait envi­ron un mil­lier d’appareils, ce qui est presque atteint à ce jour (envi­ron 950), la dif­fé­rence s’expliquant par un moindre nombre de Tigre anti chars, dû à l’effondrement du bloc de l’Est. Les pre­mières livrai­sons de cette deuxième vague datent des envi­rons de l’an 2000.

L’état des lieux

Il y a envi­ron 2 500 héli­co­ptères dans les armées euro­péennes, les uti­li­sa­teurs les plus impor­tants étant la France et le Royaume-Uni (> 400), l’Italie (> 300), l’Allemagne, la Pologne et la Grèce (> 200) ; de nom­breux types d’appareils sont en ser­vice, d’origine amé­ri­caine, euro­péenne ou russe, dont les plus oné­reux sont les héli­co­ptères très lourds (plus de 13 t), les héli­co­ptères lourds (8 à 13 t) et les héli­co­ptères armés spé­cia­li­sés. Notons que la grande poly­va­lence des héli­co­ptères a ren­du habi­tuel un clas­se­ment par masses maxi­males au décol­lage, plu­tôt que par mis­sion. Les types d’appareils les plus récents ont été mis en ser­vice il y a une quin­zaine d’années, les types d’appareils les plus anciens ont été mis en ser­vice il y a plus d’une qua­ran­taine d’années. Les appa­reils de la 2e vague sont encore les plus modernes du monde mili­taire, les héli­co­ptères mili­taires amé­ri­cains datant des années 1970.

Les problèmes rencontrés

Les pro­blèmes ren­con­trés lors des déve­lop­pe­ments effec­tués en coopé­ra­tion sont les sui­vants : la dif­fé­rence de poli­tique étran­gère entre les nations euro­péennes et par consé­quence la dif­fé­rence entre les doc­trines d’emploi ; le finan­ce­ment des pro­grammes (et leur décou­page) très éta­lé dans le temps, ce qui amène à faire coha­bi­ter un trop grand nombre de ver­sions et à dimi­nuer les quan­ti­tés ini­tia­le­ment pré­vues ; bien que les bases régle­men­taires uti­li­sées aient été lar­ge­ment les règle­ments civils, contrai­re­ment aux appa­reils civils dont la cer­ti­fi­ca­tion par l’EASA est « euro­péenne » les appa­reils mili­taires ont une qua­li­fi­ca­tion natio­nale, même si des orga­nismes comme l’Organisme conjoint de coopé­ra­tion en matière d’armement (OCCAr) et NATO Heli­cop­ter Mana­ge­ment Agen­cy (Nahe­ma) inter­viennent ; le choix des équi­pe­men­tiers et sous-trai­tants et de la loca­li­sa­tion des chaînes d’assemblage rele­vant de cri­tères autant poli­tiques ou éco­no­miques qu’opérationnels.

Le main­tien en condi­tion opé­ra­tion­nelle (MCO) des héli­co­ptères des forces armées est un défi consi­dé­rable : les condi­tions d’emploi sont par­ti­cu­liè­re­ment sévères (sable, atmo­sphère saline, déta­che­ment en milieu hos­tile, impacts d’armes légères) ; la logis­tique du sou­tien logis­tique est ren­due plus com­plexe que pour des avions opé­rant à par­tir de bases aériennes « fixes » ; la dis­po­ni­bi­li­té des rechanges et l’efficacité des pro­grammes de révi­sion sont for­te­ment affec­tées par le trop grand nombre de ver­sions. Ces pro­blèmes sont com­muns à tous les uti­li­sa­teurs, euro­péens ou non, et sont presque tou­jours trai­tés au seul niveau natio­nal, voire au niveau de chaque armée.

Les questions pour le moyen terme en France

À l’exception du HIL, héli­co­ptère inter­ar­mées léger, dont le choix est le H160M Gué­pard et dont les pre­mières livrai­sons sont pré­vues à par­tir de 2026, aucun autre lan­ce­ment de pro­gramme d’hélicoptère n’est pré­vu dans la loi de pro­gram­ma­tion mili­taire (LPM) 2018–2025 ; seule la réno­va­tion à mi-vie du Tigre (Mk3) est en cours. Cepen­dant, dans le pro­jet de bud­get 2021, il est appa­ru une nou­velle rubrique dénom­mée héli­co­ptère de manœuvre nou­velle géné­ra­tion (HM NG), avec un pre­mier finan­ce­ment d’études pré­li­mi­naires, en vue du rem­pla­ce­ment à l’horizon 2040 et au delà des héli­co­ptères (lourds) Puma, Cou­gar, Cara­cal, voire ulté­rieu­re­ment NH90 TTH et NFH.

“Le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères des forces armées est un défi considérable.”

Quelques pro­blèmes semblent à ce jour non réso­lus. Tout d’abord, le Gué­pard (5−6 t, appa­reil moyen et non pas léger) n’a pas voca­tion à rem­pla­cer les Super Puma-Cou­gar (masse maxi­male de 7 à 9 tonnes, appa­reils lourds), car ses capa­ci­tés de trans­port sont trop faibles. Il a fal­lu prendre en 2020 une déci­sion d’équipement com­plé­men­taire en héli­co­ptères lourds pour péren­ni­ser la mis­sion essen­tielle de ces héli­co­ptères, notam­ment en matière de SAR (Search and Rescue).

Ensuite, on peut s’interroger sur la dis­pa­ri­tion à terme du parc des héli­co­ptères légers qui sont très pré­sents dans les flottes de nos alliés. Faire faire des mis­sions simples, notam­ment d’entraînement et de liai­son, par des Gué­pard sera beau­coup plus oné­reux que doter les forces d’un cer­tain nombre d’hélicoptères légers bitur­bines (voire mono­tur­bines) au coût de fonc­tion­ne­ment bien plus faible. Des héli­co­ptères légers H135-145 (voire H125), pour­raient répondre à ce besoin. Enfin, la ques­tion de doter les forces fran­çaises d’hélicoptères très lourds reste posée, alors que nos grands par­te­naires euro­péens en sont dotés.

Les questions pour le moyen terme en Europe

Contrai­re­ment à la France, la ques­tion des héli­co­ptères très lourds ne se pose pas chez nos voi­sins, pas plus que la ques­tion des héli­co­ptères armés spé­cia­li­sés, en rai­son des reva­lo­ri­sa­tions à venir des appa­reils en ser­vice (qui sont sou­vent amé­ri­cains). En revanche, le besoin dû au vieillis­se­ment dans le domaine des appa­reils lourds va com­men­cer à se poser (sauf pour le NH90), comme en France. Le 19 novembre 2020, cinq pays (Alle­magne, Royaume-Uni, Ita­lie, Grèce et France) ont signé dans le cadre de l’Otan une lettre d’intention pour déve­lop­per ensemble une capa­ci­té d’hélicoptères entiè­re­ment nouvelle.

“Avoir un niveau d’harmonisation raisonnable
des besoins.”

Ce pro­jet mul­ti­na­tio­nal de « capa­ci­tés gira­vion de nou­velle géné­ra­tion » ou Next Gene­ra­tion Rotor­craft Capa­bi­li­ties NGRC a l’ambition de suc­cé­der aux géné­ra­tions d’hélicoptères moyens-lourds poly­va­lents à l’horizon 2035 et au delà. Par ailleurs, Air­bus a pro­po­sé en jan­vier 2021 à l’European Defence Fund d’étudier un Euro­pean Next Gene­ra­tion Rotor­craft ENGR. Il faut aus­si noter que le minis­tère de la Défense bri­tan­nique a signé en juillet 2020 avec les États-Unis une lettre d’intention pour par­ti­ci­per au Joint Mul­ti­Role Rotor­craft, qui com­prend le pro­gramme Future Ver­ti­cal Lift, et déve­loppe actuel­le­ment des solu­tions d’appareils mili­taires à grande vitesse (envi­ron 400 km/h).

Enfin des docu­ments bud­gé­taires ita­liens publiés en sep­tembre 2020 ont évo­qué une pos­sible par­ti­ci­pa­tion de Leo­nar­do au même programme.

Les besoins à long terme

Il faut sérieu­se­ment se poser la ques­tion du rem­pla­ce­ment des flottes qui arri­ve­ront en fin de vie pro­gres­si­ve­ment à par­tir de 2040. Compte tenu de la dif­fi­cul­té et de la durée des pro­ces­sus de conver­gence euro­péenne en matière de pro­gramme d’armement, il serait impor­tant que les grands pays euro­péens qui ont une indus­trie d’hélicoptères, France, Alle­magne, Espagne, Ita­lie, voire Pologne, prissent rapi­de­ment des ini­tia­tives en ce sens, en asso­ciant le Royaume-Uni avec qui la coopé­ra­tion a été impor­tante dans le pas­sé. Il va de soi que ce pro­ces­sus devra asso­cier les états-majors ; en effet, outre le choix des cri­tères de per­for­mances tech­niques et opé­ra­tion­nelles et l’évaluation des archi­tec­tures et tech­no­lo­gies dis­po­nibles, il semble impé­ra­tif qu’une har­mo­ni­sa­tion des doc­trines d’emploi soit préa­la­ble­ment effectuée.

Il faut en par­ti­cu­lier se poser la ques­tion des pos­si­bi­li­tés opé­ra­tion­nelles des for­mules nou­velles (com­bi­nés et conver­tibles) à vitesse supé­rieure, qui ne semblent pas être actuel­le­ment abor­dées en Europe mais sont pré­vues aux USA, et dont la fai­sa­bi­li­té tech­nique est abor­dée par le pro­gramme civil euro­péen Clean Sky ; il fau­dra aus­si prendre en consi­dé­ra­tion l’arrivée des pro­grammes de drones VTOL ou ADAV, aéro­nef à décol­lage et atter­ris­sage ver­ti­caux, en par­ti­cu­lier pour les marines.

Projet de convertible US Valor 280 de Bell.
Pro­jet de conver­tible US Valor 280 de Bell.


Points clés d’un futur programme d’hélicoptère militaire en coopération européenne 

Pour construire un pro­gramme inter­ar­mées en coopé­ra­tion euro­péenne, les points sui­vants sont fondamentaux : 

  • la phase clé est l’harmonisation des spé­ci­fi­ca­tions opé­ra­tion­nelles et techniques ; 
  • la bonne cohé­sion des par­te­naires indus­triels (coopé­ti­tion) ;
  • la coor­di­na­tion des bud­gets natio­naux et le calen­drier des financements ; 
  • la vrai­sem­blance des enga­ge­ments finan­ciers et des commandes ; 
  • l’obtention de la plus large base de com­mu­na­li­té entre les versions ; 
  • la consi­dé­ra­tion dès l’origine des moda­li­tés de cer­ti­fi­ca­tion-qua­li­fi­ca­tion et là encore la recherche de la plus large base
    com­mune du pro­ces­sus correspondant ; 
  • l’établissement d’une agence inter­na­tio­nale rat­ta­chée au niveau exé­cu­tif des États par­te­naires pour exer­cer le rôle d’autorité contrac­tuelle et assu­rer la super­vi­sion du pro­gramme et éga­le­ment d’une agence équi­va­lente dans l’industrie.

Pour pré­ser­ver les reva­lo­ri­sa­tions futures, il faut : 

  • impo­ser une archi­tec­ture sys­tème ouverte et modu­laire pour les sys­tèmes de vol et les sys­tèmes de mission ; 
  • uti­li­ser les tech­no­lo­gies matures et consi­dé­rer le coût de déve­lop­pe­ment en regard des coûts sur toute la durée de vie de l’appareil.

Quels nouveaux programmes ? 

Les réflexions pré­cé­dentes, qui pour­raient s’appliquer dès le moyen terme à un nou­veau pro­gramme d’hélicoptères lourds ou aux pro­jets NGRC et ENGR, devraient éga­le­ment s’appliquer, tou­jours dans le but d’une auto­no­mie stra­té­gique euro­péenne, à l’horizon d’une mise en ser­vice au-delà de 2040, à de nou­veaux pro­grammes d’hélicoptères très lourds et armés spé­cia­li­sés, l’approvisionnement en héli­co­ptères légers ou moyens n’étant pas réel­le­ment mena­cé grâce à l’offre abon­dante de pla­te­formes civiles « mili­ta­ri­sables » pro­po­sée par les deux indus­triels euro­péens Air­bus et Leonardo.

Le pro­blème du renou­vel­le­ment des héli­co­ptères lourds et très lourds et des héli­co­ptères armés spé­cia­li­sés, dont les coûts de déve­lop­pe­ment sont beau­coup plus éle­vés et peuvent dépas­ser les res­sources indi­vi­duelles des États, est en effet cru­cial et le recours à un finan­ce­ment col­lec­tif est une option réa­liste, sous réserve d’avoir un niveau d’harmonisation rai­son­nable des besoins expri­més par les dif­fé­rentes armées.

Si l’on désire pro­mou­voir l’indépendance et la sou­ve­rai­ne­té de l’Europe vis-à-vis de la concur­rence amé­ri­caine, il est grand temps de se poser la ques­tion du lan­ce­ment de pro­grammes nou­veaux en coopé­ra­tion, dont on sait que le cycle de ges­ta­tion depuis les études pré­li­mi­naires jusqu’à l’entrée en ser­vice peut atteindre une ving­taine d’années. Comme pour les deux pré­cé­dentes « vagues », un accord inter­gou­ver­ne­men­tal répar­tis­sant les res­pon­sa­bi­li­tés serait pro­ba­ble­ment le bienvenu.

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