Mathilde Sillard (2002), d’une élégance foncière
Elle s’exprime admirablement, à l’écrit comme à l’oral : claire et précise, présentant des idées originales, réfléchies, d’une personnalité engageante et affirmée. Elle habite à Paris, à la lisière des 2e, 9e et 10e arrondissements, près du Grand Rex. Coïncidence toute fortuite : c’est là même que son ancêtre Prelot, carrossier du roi, habitait en 1820 – lorsqu’il décora le corbillard du duc de Berry. Il vécut encore cinq ans, jusqu’à l’âge de 68 ans.
Une réputation à soutenir
Sa famille compta par ailleurs bon nombre d’X : « Ma grand-mère paternelle était fille de polytechnicien (général Chauvineau, X1895), femme de polytechnicien (Jean Sillard, X1926), sœur de polytechnicien (Robert Chauvineau, X1931), belle-sœur de polytechnicien (Marc Jouguet, X1926). Petite, j’entendais donc parler d’X Cheminots, de voyages avec la promo 26… Une vision d’amitié, de vie quotidienne. »
Elle aurait tant aimé connaître, justement, son grand-père Jean Sillard, ingénieur de talent, décédé en 1981, l’année précédant sa naissance. Il fit d’importants travaux en Amérique latine de 1939 à 1942, dont le port de Mar del Plata en Argentine ; il aimait rire, manger, chanter : dans la légende familiale, il aurait voulu être chanteur d’opéra.
La musique compte beaucoup pour elle aussi : « J’ai joué de la harpe de mes six ans à mes vingt et quelques années, jusqu’à ce que je commence à travailler. Idem pour le théâtre. J’ai été en CHAM (classe à horaires aménagés en musique) pendant tout mon collège. »
Mathilde eut la révélation des mathématiques grâce à son professeur de première S au lycée Jeanne‑d’Albret de Saint-Germain-en-Laye, M. Joseph Henry, qui lui donna l’envie de les approfondir dans le supérieur : « Par jeu, par amour du beau et goût de l’abstraction. » Ce fut ensuite la prépa à Louis-le-Grand, puis l’École. Qu’elle quitta en 2006 avec un master en physique et économie, ainsi qu’avec un master en économie, la même année, de l’université de Pompeu Fabra, à Barcelone. Fut-ce l’attrait d’une carrière dans le conseil ? Son premier emploi, de 2006 à 2009, fut chez McKinsey. Puis, de 2009 à 2013, elle travailla dans le groupe L’Oréal : comme représentante commerciale de Lancôme France, puis chef de produit toujours chez Lancôme (2010−2012) et, de 2012 à 2013, chef de groupe développement sur le soin Yves Saint Laurent.
En voie propre
Avec une insatisfaction majeure, cependant : « Lorsque j’ai démissionné de L’Oréal, j’étais en rejet des grosses structures trop corporate. Je leur attribuais tous les maux et j’idéalisais les petites structures. »
Entière comme elle est, Mathilde Sillard décida d’aller de par le monde, en 2013–2014, pour y trouver un emploi qui répondrait à son exigence. « J’ai choisi trois start-up à des stades de développement différents, dans des pays différents (Chine, Angleterre, France), pour mener mon enquête. Et répondre à la question : voulais-je créer mon entreprise, en racheter une ou être salariée dans une petite entreprise ? »
En 2014, elle choisit d’entrer chez Celine, une marque de mode appartenant au géant LVMH, mais disposant d’une certaine autonomie et d’un état d’esprit humain et entrepreneurial qui lui est cher. Elle y travaille comme bras droit de Marco Gobbetti, le président-directeur général.
Puis, de 2017 à 2019, toujours chez Celine, elle devient directrice merchandising sur l’ensemble des collections d’accessoires, de la maroquinerie aux bijoux, en passant par les chaussures.
Depuis, elle trouve sa place et son autonomie dans les métiers de la mode, du design et de la beauté en tant qu’entrepreneure et consultante freelance. L’harmonie et le contraste des couleurs l’intéressent de longue date : « J’aime les couleurs car elles réveillent et interpellent. J’aime le blanc et le noir car ils posent le décor et sculptent les volumes. J’ai grandi dans un couloir en velours rouge, une cuisine laquée jaune, un salon blanc, noir et miroir (fauteuils de Marcel Breuer, bibliothèque noire USM). Aujourd’hui, 80 % de mes murs sont blancs et 80 % de ma garde-robe est noire. Sur cette base, je m’amuse. »
Théoricienne de la mode
À la question « où vont les métiers de la mode, à votre avis ? », elle répond : « Le vêtement est à la fois très intime – ce que nous portons tout contre notre peau – et très exposé – ce que nous donnons à voir aux autres. »
La mode est une question de société. Elle est ainsi en pleine résonance avec les mutations et les doutes de notre temps : comment continuer à jouir sans courir à notre perte ? Le futur sera-t-il dominé par les machines ? Peut-on imaginer un capitalisme responsable ? Quel équilibre entre construction identitaire et force du collectif ? Quelle place pour le beau, le rêve et l’inutile ? » On le perçoit, elle n’a pas botté en touche, mais restitué à la question sa pleine résonance philosophique. Et elle ajoute : « Instagram et TikTok sont les deux réseaux sociaux qui se sont taillé la part du lion dans la mode. On s’y inspire, on soupire. Grâce à des évolutions comme les reels qui ont pris le pas sur les posts classiques, Instagram continue de surfer sur le haut de la vague pour les jeunes générations. On regarde Instagram comme une fenêtre sur le monde, on y hume l’air du temps : est-ce si différent de regarder les gens passer dans la rue, attablé à une terrasse de café, et d’admirer le manteau d’untel ? »