La création et la consommation chinoises en plein boom
Forte de son marché intérieur pléthorique et d’une classe moyenne intéressée par le luxe, la Chine révèle l’étendue de ses ressources culturelles et technologiques. Dans le secteur du luxe où elle est un partenaire incontournable, Antoine Bondaz, Yang Lu et Laura Ning voient émerger des tendances significatives de création et de consommation.
La Chine tire les chiffres du marché du luxe vers le haut depuis plus d’une dizaine d’années. Pour Laura Ning, 15 % des consommateurs chinois peuvent désormais s’offrir des produits de luxe et ils ont des goûts de plus en plus précis. Les consommateurs chinois du luxe ne recherchent pas uniquement des grandes marques, mais aussi de plus en plus des pièces uniques.
Les nouveaux comportements de consommation
Les jeunes de moins de 30 ans, qui tirent le marché du luxe en Chine, achètent de moins en moins pour des raisons statutaires ou pour offrir des cadeaux. Aujourd’hui ils achètent parce que ça leur plaît. Yang Lu fait remarquer que les marques de mode éthiques (matières naturelles, slow fashion, mode vegan…) ont le vent en poupe en Chine. Pour Antoine Bondaz, on aurait tort de croire que les mouvements écologistes ou végétariens sont propres aux Occidentaux. Les Chinois font face aux mêmes défis que les Européens. Ne parlons pas de « rattrapage » mais plutôt d’ « enjeux communs » entre la Chine et l’Europe. Le logo de la marque compte désormais moins que sa cohérence stylistique et sa dimension culturelle, souligne Yang Lu, qui ajoute qu’une partie des jeunes consommateurs chinois apprécie beaucoup la culture coréenne et japonaise (mangas). De petites marques japonaises de street style peuvent être très populaires en Chine. Par ailleurs, les marques de luxe occidentales organisent des expositions spectaculaires, notamment à Shanghai : l’art est un support de communication très important pour certains clients exigeants en Chine (Laura Ning).
Une évolution très rapide
Pour comprendre la montée en puissance des marques chinoises, il est nécessaire de se rappeler quelques dates : l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001 a été suivie de dix ans de croissance très rapide pour le secteur de la mode, tant sur le plan de la production que sur celui de la consommation. Parmi les dizaines de milliers d’usines qui ont poussé partout dans le pays, celles qui produisent des vêtements et des chaussures ont été parmi les plus nombreuses. On observe, depuis lors, une diffusion large et rapide du design (Laura Ning), avec un goût qui s’affine et qui se répand dans les différentes strates de la société. Même avec peu de moyens, les jeunes Chinois ont développé un goût prononcé pour la mode depuis vingt ans. Le rôle d’Internet est naturellement très important dans cette évolution : à la diffusion des images correspond la diffusion du style et du goût. Les jeunes qui cherchent leur identité trouvent naturellement à l’exprimer à travers le vêtement. Dans ce contexte, une culture est intéressante à connaître, celle du shamate (traduction chinoise du mot smart). La culture shamate a été une sous-culture chinoise assez répandue dans les milieux pauvres (jeunes ouvriers migrants, notamment) au cours des années 2000 : il s’agissait de secouer l’ordre établi en affichant des coiffures et des vêtements excentriques. Aujourd’hui, les jeunes générations chinoises qui ne consomment pas du luxe consomment néanmoins beaucoup de mode, avec des inspirations qui puisent dans un mélange de mangas japonais, de cultures sud-coréenne et européenne (séries télévisées, musique pop, rock, rap…).
La sophistication croissante des coiffures, en Chine, est l’un des phénomènes les plus intéressants à observer depuis vingt ans.
Une corrélation forte entre la mode et la technologie
En Chine plus qu’ailleurs, le marché de la mode, la technologie et les clients évoluent de manière synchronisée et surtout de manière très rapide. Les jeunes générations chinoises n’ont jamais utilisé de carte de crédit, elles sont habituées au paiement sur téléphone mobile, même pour des achats de produits de luxe. Si les technologies ont toujours un peu d’avance aux États-Unis, c’est en Chine que leurs usages évoluent le plus vite, avec des adaptations et de nouvelles solutions inspirées des technologies existantes indique Yang Lu. La méthode Alibaba ou Tencent consiste à tester beaucoup de choses chaque jour pour procéder à une amélioration continue des technologies et des produits vendus. En matière de consommation, les évolutions chinoises sont très rapides, plus rapides qu’en Occident, car en dix ans tout peut changer, soulignent d’un commun accord Laura Ning et Yang Lu. Laura Ning rappelle que le lancement de WeChat en Chine date d’il y a seulement dix ans (2011). Cette application mobile de messagerie textuelle et vocale développée par Tencent compte aujourd’hui plus d’un milliard de comptes. Depuis une décennie, des mastodontes du e‑commerce comme Alibaba et JD.com bouleversent les modes de consommation et poussent les consommateurs chinois à rechercher des produits toujours plus sophistiqués et diversifiés.
Exception de Mixmind et Icicle, la créativité à la chinoise
Exception de Mixmind (marque fondée en 1996 par Mao Jihong, formé à l’Académie de la mode de Pékin) est l’exemple d’une évolution très intéressante du marché chinois. La marque a d’abord été assez élitiste et même excentrique, libre, moins prudente que les marques classiques de la mode chinoise (Laura Ning), ce qui ne l’a pas empêchée de rencontrer un large succès. C’est une marque connue pour rechercher des matières nobles, comme tel ou tel cachemire de Nouvelle-Zélande (plutôt que de Mongolie), choisi en fonction des normes les plus exigeantes tant sur le plan de la qualité que sur le plan du respect de l’environnement. La Fondation Mao Jihong pour l’art contemporain (Mao Jihong Arts Foundation), dirigée par Laura Ning et qui a notamment signé un accord avec le Centre Pompidou mais également avec des universités chinoises, soutient des créateurs et des artistes chinois et non chinois. Exception de Mixmind accueille notamment de jeunes designers occidentaux en résidence depuis quelques années, pour leur offrir des cartes blanches créatives. Useless, une marque créée par Ma Ke, une ancienne épouse de Mao Jihong, a défilé en 2009 à Paris dans le cadre de la Fashion Week. Cette marque propose de revenir aux sources des matières avec le recours à un savoir-faire artisanal traditionnel et une approche assez conceptuelle du vêtement (certaines pièces étaient enfouies plusieurs mois sous terre pour s’imprégner d’une patine particulière). Autre exemple, Icicle est une marque chinoise fondée il y a vingt ans, avec une forte dimension commerciale et distribuée en France (avenue George‑V à Paris). Son logo est un idéogramme signifiant « une graine qui germe ». Son succès se traduit par l’existence de 250 boutiques en Chine. Comme Exception de Mixmind, la marque Icicle a été fondée par un couple, formé à l’université de Dónghua (Shanghai). Made in Earth, la formule qui sert de slogan à la marque, montre que les exigences de mode durable sont aujourd’hui très présentes en Chine. La marque recherche les meilleures matières, dans une volonté d’afficher une forme d’harmonie entre l’humain et la nature.