La raison d’être, nouvelle grammaire de l’entreprise
Premier témoignage de l’application du concept de raison d’être par une entreprise, celui de Veolia et de son PDG. Notre camarade y exprime un engagement qui transcende toute mode et il témoigne des vertus de la démarche particulièrement en période de crise.
C’est un vieux sujet que celui de la raison d’être de l’entreprise. Déjà, à la fin du XIXe siècle, Henry Ford déclarait : « L’entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra ; mais si l’on tente de faire fonctionner l’entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n’aura plus de raison d’être… » Cette interrogation sur la finalité de l’entreprise a pris une nouvelle actualité avec la loi Pacte. Depuis sa promulgation en mai 2019, plusieurs centaines d’entreprises ont défini leur raison d’être, dont Veolia, une des premières à l’avoir fait.
L’utilité comme principe et horizon
Pour Veolia, l’entreprise est prospère parce qu’elle est utile, et non l’inverse. Puisque le profit découle de l’utilité de l’entreprise, il est donc nécessaire de dire en quoi et pour qui l’entreprise est utile. C’est l’objet même de la raison d’être de notre groupe que de répondre à ces questions. Dans un texte d’une page, il a voulu exprimer à la fois pourquoi il existe, mais aussi ce qu’il fait – « préparer le futur, en protégeant l’environnement tout en répondant aux besoins vitaux de l’humanité » –, et enfin comment il veut le faire au service de toutes ses parties prenantes. Définir sa raison d’être enracine donc notre groupe dans un rôle plus inclusif envers les sociétés dans lesquelles il évolue. Plus il démontrera qu’il est au service de l’ensemble de ses parties prenantes, plus il sera accepté et reconnu, et plus il aura de marge de liberté pour se développer ; plus il aura d’alliés, aussi, pour le défendre en cas de coup dur. Corollaire de ce qui précède, la raison d’être ne relève aucunement de la philanthropie. Si tel était le cas, si Veolia n’appliquait sa raison d’être qu’à travers quelques actions ciblées financées en prélevant une fraction de ses bénéfices (760 M€ en 2019), la portée de celle-ci demeurerait limitée. Mais, étant donné que notre raison d’être irrigue toutes nos actions, et donc tout notre chiffre d’affaires (27,2 Md€ en 2019), l’effet de levier est beaucoup plus important. En explicitant le rôle et la place de l’entreprise dans la société, en la repositionnant dans le temps long, notre raison d’être participe, à sa mesure, à l’émergence d’une vision élargie de l’entreprise : une entreprise plus équilibrée dans ses relations avec les parties prenantes et prenant mieux en compte leurs intérêts respectifs, une entreprise accordant le primat à l’utilité et non aux objectifs économiques, une entreprise plus solidaire de son environnement et des générations futures.
REPÈRES
Afin d’élaborer la raison d’être de Veolia, d’intenses échanges ont eu lieu, pendant six mois, entre le conseil d’administration, le comité exécutif, un comité des parties prenantes internes (constitué de représentants du personnel et des syndicats), ainsi que le comité des Critical Friends (un comité créé en 2013, qui rassemble des parties prenantes externes issues des mondes associatif, institutionnel et académique). En parallèle, les salariés de Veolia étaient invités à s’exprimer au sein d’une communauté Google +.
Un processus collaboratif au service d’une vision élargie de l’entreprise
Lors des travaux d’élaboration, treize versions de texte se sont succédé, nourries par des débats passionnés sur la notion de progrès humain ou de services essentiels, sur la fidélité à l’histoire de notre groupe pour construire son avenir, sur l’étendue de ses responsabilités vis-à-vis des générations actuelles et futures. Au fil de ces échanges, l’utilité de notre entreprise s’est affirmée comme étant la clé de voûte de notre capacité à créer des richesses pour l’ensemble de nos parties prenantes : « La prospérité de Veolia est fondée sur son utilité pour l’ensemble des parties prenantes. » Au-delà de son utilité, notre raison d’être expose ce en quoi notre entreprise se différencie de ses pairs. En effet, rédiger sa raison d’être exige de se pencher sur les singularités qui font la force de l’entreprise. Pour Veolia, c’est la nature essentielle de ses services, ses métiers de proximité, sa volonté de protéger l’environnement dans toutes ses composantes, son étroite relation avec les territoires dans lesquels elle est implantée, la responsabilisation de ses salariés dont 90 % ne sont pas cadres, son implication dans l’apprentissage… En mettant en évidence ces éléments, notre raison d’être clarifie l’image qu’ont de nous nos clients et nos partenaires, et donc les motifs pour lesquels ils décident de s’engager – ou de ne pas s’engager – avec nous.
Des objectifs engageants
Toute raison d’être oblige l’entreprise qui la définit, qu’elle soit intégrée dans ses statuts ou non. Bien que la nôtre ait reçu un accueil très favorable de la part des actionnaires, lors de sa présentation en assemblée générale en avril 2019, nous n’avons pas souhaité l’incorporer à nos statuts. En revanche, notre groupe s’est fixé des objectifs chiffrés découlant de celle-ci et les a rendus publics. Autrement dit, il s’est engagé aux yeux de tous et a mis en jeu sa réputation. La raison d’être est un récit engageant, elle est aussi un récit mobilisateur, susceptible d’entraîner l’adhésion de tous, et d’abord de nos salariés, qu’ils travaillent dans un centre de tri des déchets, une station d’épuration ou une centrale de cogénération. Cela est possible parce qu’elle répond à la question fondatrice du pourquoi l’entreprise fait ce qu’elle fait, et ne fait pas autre chose. Se doter d’une raison d’être qui nous dépasse, c’est le choix difficile que nous avons fait. C’est aussi un moyen de reconnaître qu’elle désigne l’horizon ultime des ambitions de notre groupe, un horizon sans cesse repoussé et sans cesse à viser de nouveau. Rareté de l’eau, de l’énergie et des matières premières, traitement des pollutions toxiques, accès de tous aux services essentiels, transition énergétique, changements climatiques… : peu de tâches sont aussi indispensables que de contribuer à surmonter ces grands défis qui touchent toute l’humanité. Pour la part qui est la nôtre, nous voulons les relever et aider nos clients à le faire. En définitive, une entreprise utile, n’est-ce pas celle qui, face aux défis du XXIe siècle, ne se désiste pas, mais agit pour les relever ? C’est, en tout cas, notre conviction à Veolia.
La raison d’être en quête de mesure
Le concept de raison d’être est utile, à condition de ne pas rester un concept. Comment donc la mettre en œuvre, puis le prouver ? Ce sont des questions fondamentales, auxquelles il appartient à chaque entreprise d’apporter sa propre réponse. À Veolia, nous avons pris plusieurs dispositions, afin de la traduire en actes à tous les niveaux de notre organisation. D’abord, notre conseil d’administration prend en compte notre raison d’être dans ses décisions et évalue la façon dont elle est appliquée. Ensuite, chaque année, à l’aide d’un système de 18 indicateurs, notre groupe dresse un bilan de sa performance plurielle, auprès de ses cinq principales parties prenantes : les salariés, les clients, les actionnaires, la planète et la société en général. Ce système d’indicateurs, assortis d’objectifs précis et mesurables, facilite la déclinaison de notre raison d’être dans l’ensemble de nos processus de fonctionnement : il accorde le même niveau d’exigence à chacune de nos parties prenantes et est devenu un outil de pilotage de toute notre entreprise. Ces indicateurs sont audités chaque année par un tiers extérieur (KPMG en 2020) pour garantir la qualité de l’information, puis les résultats sont publiés. Ces indicateurs de performance plurielle servent de socle à la rémunération variable des cadres supérieurs du groupe ; ils constituent un puissant encouragement à appliquer notre raison d’être et à atteindre les objectifs fixés pour chacun de ces indicateurs. Enfin un comité des parties prenantes donne son avis à la direction de Veolia pour le bon accomplissement de sa raison d’être.
La raison d’être à l’épreuve de la crise
La pandémie de coronavirus qui a frappé le monde entier en 2020 n’a pas empêché les entreprises françaises de définir leur raison d’être. Certains y verront un paradoxe. Pourtant, comme toute crise majeure, cette pandémie a ramené l’entreprise à l’essentiel. Effectivement, la situation hors norme que nous avons traversée a fait ressortir la raison d’être profonde de chaque entreprise, que celle-ci soit formalisée ou non. Lorsqu’elle est formulée, la raison d’être constitue un ancrage puissant pour tenir ferme durant les crises, des crises auxquelles les entreprises doivent hélas s’habituer : crise des subprimes, crise de l’euro, crise des Gilets jaunes, crise de la Covid-19… Cette dernière illustre ce qu’est une crise extrême : la perte subite de toutes références, l’obsolescence brutale des procédures habituelles et des réflexes classiques. Dans de pareilles tourmentes, beaucoup de repères vacillent : il en demeure un petit nombre, dont la raison d’être. La crise révèle ce qui anime les entreprises, ainsi que leur véritable hiérarchie des valeurs et des priorités. Si lors d’une crise, et notamment lors d’une crise majeure comme celle du coronavirus, une entreprise continue d’appliquer sa raison d’être, alors, oui, on peut conclure que sa démarche est sincère et enracinée au plus profond d’elle-même.
“Dis-moi à qui tu es utile,
je te dirai qui tu es.”
Le comité de pilotage de la raison d’être de Veolia a examiné l’ensemble des initiatives prises pour faire face à la pandémie de coronavirus : maintien de la rémunération des salariés en chômage partiel, protection des salariés, plan de continuité des services essentiels, accès aux services d’eau pour les populations vulnérables, nouveaux services de désinfection pour nos clients, réduction de moitié du dividende versé aux actionnaires… Bien sûr, la cellule de crise qui a piloté notre groupe durant cette période critique n’avait pas comme seul référentiel d’action le tableau de bord de la performance plurielle. Cependant, le comité de pilotage de la raison d’être de Veolia a conclu que, durant la crise, notre raison d’être avait bien été mise en œuvre, à travers la recherche permanente d’une performance plurielle, c’est-à-dire d’une performance équilibrée dans ses différentes dimensions environnementales, économiques et sociales, et bénéfique à toutes les parties prenantes de notre groupe.
Quel que soit son secteur d’activité, l’avenir de l’entreprise passe par une plus grande utilité. En quoi l’entreprise est-elle utile et à qui est-elle utile ? Ce sont les grandes questions qui, en définitive, lui sont et lui seront toujours posées. En y répondant, l’entreprise exprime à la fois sa finalité et son identité profonde. « Dis-moi à qui tu es utile, je te dirai qui tu es. »