Serigne Mouhamadou Seye (2013), ambassadeur AX au Sénégal

Ambassadeur AX au Sénégal « Je veux développer des partenariats universitaires avec l’École polytechnique »

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°771 Janvier 2022
Par Alix VERDET

Serigne Mou­ha­ma­dou Seye, l’ambassadeur AX au Séné­gal, est un jeune poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion 2013. En poste au Séné­gal, il est le témoin de la ten­dance nou­velle des jeunes géné­ra­tions à ren­trer tôt tra­vailler dans leur pays d’origine et sou­haite pro­mou­voir des par­te­na­riats entre les uni­ver­si­tés séné­ga­laises et l’X.

D’où viens-tu ? Quel est ton parcours pour arriver jusqu’à l’X ?

Je viens du Séné­gal, j’ai eu mon bac ici à Dakar, puis je suis allé en pré­pa à Aix-en-Pro­vence au lycée Vau­ve­nargues en PTSI puis PT. La par­ti­cu­la­ri­té du concours PT est qu’il n’y a qu’un seul concours com­mun. J’ai été pris à l’X que je ne connais­sais pas vrai­ment. J’ai réus­si les écoles que j’avais deman­dées, et l’X était clas­sée en pre­mier. Mais ce qui m’a moti­vé le plus, ce sont les infra­struc­tures spor­tives que j’ai décou­vertes en arri­vant sur le Pla­tâl pour pas­ser les oraux. J’aime bien le style de cam­pus, comme une miniville. 

Venais-tu d’un lycée français ?

Je n’étais pas dans un lycée fran­çais mais dans un lycée clas­sique, comme la plu­part des gens qui vont ensuite étu­dier en France ou ailleurs. En effet, le pro­gramme séné­ga­lais est plus dif­fi­cile que le pro­gramme fran­çais, car il n’a pas été allé­gé comme l’a visi­ble­ment été le pro­gramme français.

Comment as-tu réagi quand tu as découvert que l’X était une école militaire ?

C’était cool pour moi [rires]. À la base, j’adore le sport, les sports d’équipe, l’esprit de groupe, de cama­ra­de­rie, j’ai ado­ré la for­ma­tion mili­taire, c’était une colo­nie de vacances pour moi [rires].

Qu’as-tu choisi comme 3A et 4A ?

Au début, j’étais, comme la plu­part, un peu per­du après la pré­pa. Après le bac, j’étais sûr de moi, je vou­lais faire du génie élec­trique. Il y avait beau­coup de pro­blèmes d’électricité à l’époque dans les années 2010–2012 au Séné­gal. Aujourd’hui, ça va beau­coup mieux heu­reu­se­ment. Mon objec­tif était de faire du génie élec­trique, de retour­ner au pays et de tra­vailler dans l’électricité. Dans ma sec­tion PT, j’ai ado­ré la méca­nique et les sciences indus­trielles. Arri­vé à l’X, je vou­lais vrai­ment suivre les cours de méca. Je les ai sui­vis, ain­si que des cours de phy­sique quan­tique, de maths appli­quées. Mais l’X m’a vrai­ment fait détes­ter la méca ! Avant les pâles, j’expliquais les cours aux autres car je me sen­tais à l’aise. Mais à l’épreuve ce n’étaient que des maths. Je suis donc retour­né au génie élec­trique en 3A. Ensuite je suis allé à Poly­tech­nique Mont­réal, tou­jours en génie élec­trique. À l’X, on n’enseigne pas vrai­ment l’électrotechnique mais plus l’électronique. À Mont­réal, j’ai vrai­ment fait de l’électronique de puis­sance, de l’électrotechnique et des réseaux élec­triques. J’ai tra­vaillé là-bas pen­dant envi­ron deux ans avant de ren­trer au Sénégal.

Levée de drapeau du Sénégal
Céré­mo­nie mar­quant la célé­bra­tion des fêtes natio­nales du Séné­gal, de la Tuni­sie et de la France.

Dans quel secteur exerces-tu aujourd’hui ?

Je tra­vaille pour la Sene­lec, la socié­té natio­nale d’électricité, comme expert en pla­ni­fi­ca­tion des réseaux élec­triques. Nous fai­sons les études néces­saires pour dimen­sion­ner le réseau. Nous sommes basés à Dakar. Même si nous tra­vaillons essen­tiel­le­ment sur nos ordi­na­teurs depuis nos bureaux, il nous arrive de nous dépla­cer par­fois à l’étranger ou dans la sous-région en Afrique.

Combien y a‑t-il de polytechniciens au Sénégal ? Et dans quels secteurs les retrouve-t-on ?

J’en ai réper­to­rié une quin­zaine mais nous sommes plus nom­breux. Il y a sur­tout de plus en plus de jeunes qui rentrent au pays par­mi la jeune géné­ra­tion. Ils occupent des postes divers à la Banque mon­diale, chez Tota­lE­ner­gies. Il y en a pas mal chez Sona­tel (Orange). D’autres se lancent dans l’entrepreneuriat ou dans d’autres aven­tures comme Tid­jane Deme (94), ancien direc­teur de Google Afrique, avec Par­tech Ven­tures. Les poly­tech­ni­ciens sont un peu par­tout. Ils sont aus­si entre­pre­neurs, dans l’éducation, dans la logis­tique. Cer­tains sont au gou­ver­ne­ment, au minis­tère du Pétrole et des Éner­gies, au Fon­sis (fonds sou­ve­rain d’investissements stra­té­giques), à la tête de la com­pa­gnie aérienne Air Séné­gal (Ibra­hi­ma Kane, 92). Ils occupent des posi­tions plu­tôt impor­tantes et très variées.

Visite du Président du Sénégal Mack Sall le 2 décembre 2015 à l’École polytechnique, Serigne Mouhamadou Seye est à la droite du Président.
Visite du Pré­sident du Séné­gal Mack Sall le 2 décembre 2015 à l’École poly­tech­nique, Serigne Mou­ha­ma­dou Seye est à la droite du Président.

Comment se passe la vie actuellement au Sénégal dans ce contexte de crise sanitaire ?

Actuel­le­ment, à la Sene­lec où je tra­vaille, le télé­tra­vail est tota­le­ment ter­mi­né. Ne res­tent que les gestes bar­rières et les masques. Toutes les autres mesures ont été levées car il n’y a que très peu de cas. Aujourd’hui, on voit la Covid essen­tiel­le­ment aux infor­ma­tions. Dans un pays où beau­coup de gens tra­vaillent et vivent de manière infor­melle, il est com­pli­qué de main­te­nir des mesures de confi­ne­ment ou de couvre-feu. Ça devient très vite une ques­tion de vie ou de mort. Actuel­le­ment, on vit bien, on vit comme avant la crise, avec le port du masque.

“Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’opportunités en Afrique qu’en Occident pour les jeunes.”

Quels sont les événements de l’ambassade AX que vous avez pu organiser ? À quel besoin répondent-ils ?

On n’avait réus­si à faire que deux ren­contres début 2021. C’était plus par indis­po­ni­bi­li­té qu’à cause de la crise sani­taire. Lorsque je suis arri­vé au Séné­gal, j’ai dis­cu­té avec celui qui s’occupait du groupe X Dakar, Mama­dou M’Baye (90), le direc­teur géné­ral du Fonds sou­ve­rain de Dji­bou­ti (FSD), qui était natu­rel­le­ment plus lié avec des poly­tech­ni­ciens de sa géné­ra­tion. Nous nous sommes ren­du compte que les centres d’intérêt n’étaient pas les mêmes entre les géné­ra­tions. Nous nous sommes retrou­vés entre jeunes, le plus ancien était Moha­med Ndiaye de la 2003. 

Quelle utilité vois-tu à l’ambassade AX et plus largement au réseau polytechnicien au Sénégal ?

À l’origine, mon objec­tif n’était pas d’être ambas­sa­deur. Ani­mer, entre­te­nir le réseau des X, c’est bien, c’est néces­saire, mais ce n’est pas mon seul objec­tif. Je veux déve­lop­per des par­te­na­riats entre les uni­ver­si­tés et les étu­diants ici au Séné­gal et l’X, pour sti­mu­ler les jeunes pro­met­teurs mais qui ne se voient pas offrir cer­taines oppor­tu­ni­tés ou qui manquent par­fois de vision. J’ai été encou­ra­gé à l’époque par Claire Lenz, l’ancienne direc­trice adjointe de la com­mu­ni­ca­tion inter­na­tio­nale de l’X. Le simple fait de sor­tir, d’aller en France, aux États-Unis, au Cana­da, en Afrique du Sud ou au Maroc, ça change la façon dont on voit les choses et aus­si dont on se voit soi-même, la façon dont on per­çoit ce dont on est capable ou pas. Je sou­haite donc déve­lop­per un réseau de par­te­na­riats entre l’X, les uni­ver­si­tés de Paris-Saclay et les uni­ver­si­tés et les écoles d’ingénieurs d’ici. Ce n’est pas si facile à mettre en place. Ça prend plus de temps qu’on ne pense, il faut s’adresser au bon inter­lo­cu­teur pour que ce soit effi­cace et pérenne. J’espère pou­voir pro­po­ser des ini­tia­tives cou­rant 2022. Je sais qu’aujourd’hui les uni­ver­si­tés et les écoles en France cherchent à avoir plus de diver­si­té et l’Afrique y est très ouverte. Beau­coup d’étudiants brillants font leurs études sur place, par­fois dans des condi­tions dif­fi­ciles. Dans mon par­cours, j’ai eu beau­coup d’aides à ma dis­po­si­tion et je sais que, à ma place et dans les mêmes condi­tions, ces étu­diants réus­si­raient brillam­ment leurs études. Je sou­haite donc encou­ra­ger les par­te­na­riats Nord-Sud qui pour­raient exis­ter. Sou­vent les écoles en Occi­dent ne connaissent pas les uni­ver­si­tés et les écoles ici, et ne savent pas à qui par­ler. Mais nous sommes là, elles peuvent se rap­pro­cher de nous pour que nous les met­tions en contact.

Tu dis qu’il y a de plus en plus de jeunes diplômés des grandes écoles qui rentrent travailler dans leur pays d’origine en Afrique. Est-ce que tu constates une évolution significative avec les jeunes générations ?

J’ai l’impression mais je ne peux pas me pro­non­cer pour les anciennes géné­ra­tions. Pour notre géné­ra­tion, ce n’est pas for­cé­ment que les jeunes aiment plus leur pays que les anciens, mais beau­coup ouvrent les yeux et se rendent compte qu’il y a plus d’opportunités pour eux ici qu’en Occi­dent. L’évolution ici, aus­si bien dans l’entrepreneuriat que dans les entre­prises, est beau­coup plus rapide qu’en Occi­dent. C’est ce qui motive leur retour pour la plupart.

Est-ce que tu as rencontré de la jalousie vis-à-vis de ton parcours hors du pays quand tu es rentré au Sénégal ? Est-ce que ça peut arriver ?

C’est quelque chose qui existe mais ça dépend aus­si de l’attitude de cha­cun. Quand on rentre au pays et qu’on pense qu’on est plus com­pé­tent parce qu’on a fait des études en France ou aux États-Unis, on se trompe. Il y a for­cé­ment des gens qui ont fait leurs études ici qui sont plus com­pé­tents car ils maî­trisent mieux leur domaine. Quand on revient, il faut faire ses preuves en res­tant dans l’humilité. Et ain­si on est accep­té, les gens voient qu’on est là pour aider le groupe.

As-tu un message pour les élèves sénégalais ou africains qui sont à Polytechnique ?

Aller à l’X, c’est une chose qui change une vie. Ça va t’ouvrir un réseau incroyable. L’X donne cette capa­ci­té de croire en soi, d’avoir un réseau puis­sant et une grande cré­di­bi­li­té. C’est aus­si un défi car il faut faire ses preuves, les gens t’attendent au tour­nant. Pour moi, la pre­mière chose à dire aux élèves afri­cains, c’est de croire en eux, de croire en leurs capa­ci­tés, de croire qu’ils font par­tie de l’élite. Parce que j’ai vu des X qui n’ont pas l’assurance qu’ils devraient avoir. Il faut s’affirmer tout en res­tant humble. La deuxième chose, c’est, comme je le disais, qu’il y a beau­coup plus d’opportunités en Afrique qu’en Occi­dent. Si tu veux per­cer, si tu veux avoir un impact dans le monde, je te conseille vive­ment de ren­trer. Et je te conseille de le faire très tôt. Car beau­coup veulent gagner en expé­rience avant de ren­trer, ce qui est bien. Mais, quand on est jeune et qu’on rentre tôt, on a le droit de faire des erreurs et de recom­men­cer. Quand on com­mence à prendre de l’âge, qu’on a une famille, il y a plus à perdre, donc on a ten­dance à prendre moins de risques. Et enfin, en tant que diplô­mé de l’X, on a la chance de pou­voir faire un peu ce qu’on veut. Pour ma part, j’ai lan­cé mon agence de déve­lop­pe­ment et de com­mu­ni­ca­tion. Je sens assez peu de limites, de freins pour réa­li­ser ce que je souhaite. 

Commentaire

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Michel GÉRARD (X 55)répondre
15 janvier 2022 à 18 h 04 min

Mer­ci à Serigne Mou­ha­ma­dou Seye et à Alix Ver­det de cet article plein de fraî­cheur et d’es­poir pour l’X, l’A­frique et les Cama­rades Afri­cains, de plus en plus nombreux.
J’ai tou­jours nour­ri une pas­sion pour l’A­frique au sud du Saha­ra. J’ai pu y faire mes débuts pro­fes­sion­nels, au Tchad, entre 1961 et 1964, dans les pre­mières années des indé­pen­dances, Puis j’ai tra­vaillé sur les ques­tions afri­caines en matière d’a­mé­na­ge­ment et d’ur­ba­nisme, d’une part, de trans­ports, d’autre part pen­dant 12 ans encore. J’ai for­mé beau­coup de jeunes Afri­cains à l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire et à l’ur­ba­nisme. A l’é­poque les jeunes diplô­més ren­trés de France n’a­vaient pra­ti­que­ment pas de com­pa­gnon­nage, pour­tant indis­pen­sable pour l’en­trée dans la vie pro­fes­sion­nelle. Nous essayions de remé­dier à cela par un accom­pa­gne­ment de 6 mois de cours pra­tiques, de mises en situa­tion, de stages sui­vis de près.
Cher Cama­rade, j’ap­pré­cie beau­coup que tu recom­mandes aux forts poten­tiels comme toi de retour­ner dans leur pays (après un temps de com­pa­gnon­nage, moins néces­saire que par le pas­sé où les milieux tech­niques étaient très maigres, mais encore bien utile pour tis­ser des liens). Il serait en effet dra­ma­tique de reti­rer à l’A­frique, au Séné­gal dans ton cas, le meilleur de ce qu’elle pro­duit de plus en plus lar­ge­ment, des cer­veaux de qua­li­té, bien for­més, aptes à abor­der les ques­tions de plus en plus com­plexe du monde moderne.

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