À quoi a servi la COP26 ? Pas totalement à rien
Mounia Mostefaoui termine sa thèse au LMD (Institut Pierre-Simon-Laplace). Après avoir suivi plusieurs COP, elle a été invitée comme conférencière et panéliste au pavillon scientifique de la zone bleue des négociations de la COP26 à Glasgow, dans la délégation française, avec le soutien de la direction du Laboratoire de météorologie dynamique.
La participation fidèle à cette grand-messe climatique devenue rituelle permet de décrypter, par-delà les déceptions inévitables, les signes qui permettent d’espérer un passage à l’action dans la société civile.
Après deux semaines de négociations internationales sur le climat, la COP26, décalée d’un an en raison de la crise sanitaire – du jamais vu dans l’histoire des COP –, s’est achevée avec un jour de retard. Cette COP était porteuse d’enjeux particulièrement cruciaux dont notamment : le relevé des ambitions dans les contributions nationales des États depuis l’Accord de Paris en 2015 ; l’article 6 de l’Accord de Paris à propos du marché du carbone et d’un cadre de transparence ; le financement des pertes et dommages pour les pays les plus vulnérables avec la promesse des pays développés, non tenue en 2020 avec seulement environ 80 milliards par an, de fournir 100 milliards de dollars par an aux pays plus modestes.
Un autre enjeu majeur de la COP était l’introduction dans le texte final, dit Pacte de Glasgow pour le climat, de mots importants complètement absents depuis l’Accord de Paris, comme « énergies fossiles » et « charbon ».
Un texte affaibli à l’ambition floue
Le projet d’introduire pour la première fois dans le texte de Glasgow la notion d’« élimination des énergies fossiles » s’est trouvé contré à la dernière minute par l’Inde notamment qui a obtenu le choix de l’expression plus floue de « réduction progressive ». Cette situation était prévisible compte tenu de l’échec du G20 quelques jours avant la COP26 à inclure la notion d’élimination progressive. En ce qui concerne l’autre question épineuse des pertes et dommages, malgré la pression forte des pays en développement pour la création d’un fonds pour les paiements associés à la question de la justice climatique, les pays développés n’ont pas accepté cette proposition. Les États-Unis notamment s’y sont fortement opposés par la voie de l’envoyé climat John Kerry, arguant d’un manque de clarté en termes de responsabilité juridique. Finalement un accord au rabais a simplement été trouvé pour mettre en place un dialogue sur le sujet à l’occasion des futures COP. Les modalités d’une tarification carbone efficace pour l’ensemble des émissions sont par ailleurs encore à élaborer.
Chaises vides pour trois grands absents
La présence des chefs d’État aux COP, bien que symbolique, reste un signal important urbi et orbi. Or les absences de Vladimir Poutine, de Xi Jinping et de Jair Bolsonaro ont particulièrement été remarquées et regrettées pour le plus important moment diplomatique annuel des discussions sur le climat.
L’illusion tragique de la prévalence des intérêts visibles de court terme
Le ministre indien de l’Environnement a notamment plaidé que, avec 70 % de son électricité nationale issue du charbon pour une population de 1,38 milliard d’habitants, son pays ne pouvait raisonnablement pas se prononcer en faveur d’un arrêt des énergies fossiles même progressif. Déployer le nucléaire en Inde prendrait par ailleurs une dizaine d’années, entre la mise en place des infrastructures et la formation des ingénieurs. En conséquence, soutenu par d’autres importants émetteurs de GES, le pays a défendu et obtenu la validation de l’expression vague d’« usage responsable des énergies fossiles ». Les autres États qui promouvaient une plus grande ambition, préférant un accord faible et flou à l’absence d’accord, se sont résignés à accepter malgré tout ce mauvais deal.
Imposture des mots
La formule simple de Greta Thunberg « blablabla » pour dénoncer l’imposture des paroles politiques vides a été largement reprise, y compris par des responsables politiques et des chefs d’entreprise dans les nombreux discours officiels et side events qui ont jalonné la COP. Le secrétaire général de l’ONU António Guterres a lui-même déploré le manque de volonté politique pour dépasser les contradictions entre les intérêts individuels immédiats de chaque pays et la vision de long terme pour le monde.
La tragidémocratie ou le drame du consensus
Alors que le dispositif des COP nous semble s’être nettement amélioré autant du point de vue des organisateurs, des responsables de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), que des parties prenantes, le principal point de blocage du plein succès de la protection de la planète par un texte ambitieux réside tragiquement dans la place même permise à la contradiction, comme dans tout processus démocratique qui se respecte. Le principe du consensus étant qu’il n’y ait « pas d’opposition exprimée », une seule opposition nécessaire et suffisante est la cause principale du caractère mutilé de la portée du texte final de Glasgow. On touche là aux limites de l’exercice de la négociation multipartite démocratique. Dans la même veine, du fait du fonctionnement par présidence tournante au niveau mondial des COP, la COP28 se tiendra… aux Émirats arabes unis, ce qui n’est pas sans ironie compte tenu du profil en termes d’émissions de GES de l’heureux État élu.
Le pessimisme des scientifiques
Une récente étude parue dans Nature (Tollefson, J., 2021) montre qu’une majorité de scientifiques sur un panel de plus de 90 auteurs du sixième rapport du GIEC sont pessimistes quant à la capacité des États à concrétiser leurs engagements et que, d’après eux, le réchauffement climatique sera supérieur à +3 °C à la fin du siècle. Pourtant, malgré un flou artistique savamment orchestré par les pays réticents à sortir du paradigme de la croissance carbonée, le texte de Glasgow laisse une place pour un espoir non nul, même si peu probable, de rester sous les 1,5 °C à l’horizon 2100. Malgré les déceptions susmentionnées, il serait excessif de dire que la COP26 n’a servi à rien.
Des négociateurs de plus en plus militants
La COP25 avait pour la première fois été le théâtre d’actions du mouvement Extinction Rebellion au sein de l’espace fort policé des salles de négociation dans la zone bleue des COP. Laurence Tubiana, ex-championne de COP elle-même, portait ostensiblement le badge militant en pleine conférence de presse. De nombreuses autres actions de ce genre, y compris des manifestations où plusieurs négociateurs officiels ont pris part, ont eu lieu de nouveau en zone bleue à la COP26.
L’émergence de la société civile à la table des discussions
Certes, la société civile n’a pas encore officiellement sa place en tant que party, mais des observateurs et des jeunes sont très présents aux sessions de négociation comme aux multiples side events. De toute l’histoire des COP, la présence du nombre d’observateurs accrédités n’a peut-être jamais été aussi élevée que lors de la COP26, ce qui a accru l’effet de pression par les pairs. De nombreuses actions militantes ont eu lieu en plus de la traditionnelle marche pour le climat dans les rues de Glasgow. Notons que la délégation des négociateurs du Panama comptait la moyenne d’âge la plus basse de la COP (26 ans environ), avec davantage de femmes que d’hommes dans la délégation.
Une attention portée à la jeunesse
La jeunesse a été non seulement présente mais aussi entendue, à défaut d’être écoutée et pleinement exaucée. L’égérie suédoise de la cause climatique, désormais âgée de 18 ans, a laissé sa camarade de lutte la militante ougandaise Vanessa Nakate, 25 ans, cette année en une du Time, prendre le relai médiatique de porte-parole de la jeunesse à la COP26. Plus nuancée dans sa rhétorique que sa très médiatique sœur de lutte, Vanessa Nakate a toutefois souligné que la jeunesse ne faisait pas confiance aux promesses politiques, mais qu’elle ne demandait qu’à être contredite dans son incrédulité sur la capacité des responsables politiques à prendre des décisions idoines en matière de lutte contre le changement climatique. Prove us wrong !, a‑t-elle martelé en séance plénière de négociation. Sans angélisme, cette attention à la voix de la jeunesse est aussi clairement née d’un effet de pression médiatique et par intérêt électoral, financier et de réputation.
Le retour d’une présence ministérielle française conséquente
Depuis la COP22 à Marrakech, nous n’avions plus beaucoup vu les ministres français de la Transition écologique et solidaire rester plus de trois jours à la COP. Or nous avons été agréablement surpris de voir à Glasgow Barbara Pompili assister à une bonne partie de l’événement et de la croiser régulièrement en salle plénière de négociation, y compris assez tard le soir, même aux réunions parfois très techniques de l’Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique (Subsidiary Body for Scientific and Technological Advice, SBSTA).
Rites, mythes, tribus
On retrouve dans le moment des COP le schéma du triptyque cher au professeur de gestion des organisations Claude Riveline (56) « rites, mythes, tribus » développant l’hypothèse de Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, selon laquelle « une tribu a besoin de reconnaître périodiquement ses ressortissants par des gestes convenus, et une idée ne survit que si un groupe y souscrit et lui donne une existence manifeste ».
Au fond, cette vision résume bien l’utilité première (voire, dans certains cas, unique) des COP : répondre à ce besoin profondément humain d’un moment rituel partagé par la grande tribu des négociateurs, politiques et membres de la société civile internationaux chaque année, autour de la lutte contre le changement climatique. Ainsi, en dépit des nombreuses critiques à propos des résultats de la COP26, celle-ci a au moins eu le mérite de constituer un moment humain malgré tout utile en lui-même, je dirais même essentiel au sens sociologique, a fortiori dans un contexte sanitaire ayant réduit les liens entre les tribus proches et élargies de l’humanité.