Évasion
Je pense vraiment que le seul moyen efficace de s’évader est de s’enfoncer au plus profond de son être. Croyez-moi, ainsi l’on peut tout fuir, et soi-même en premier.
Louis Scutenaire, Mes inscriptions (1943−1944)
L’on peut avoir de multiples raisons de s’évader : échapper à une situation difficile, à un problème insoluble, tout simplement à l’ennui, ou bien rechercher le plaisir de la découverte, comme Baudelaire « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ». Quelle que soit la raison qui nous pousse à fuir, la musique est le véhicule optimal. Voici quatre disques qui vous emmèneront ailleurs, pour peu que vous les écoutiez avec attention.
Ivan Ievstafievitch Khandochkine
Vous ne connaissez vraisemblablement pas Ivan Khandochkine, compositeur russe d’origine ukrainienne, violoniste à la cour de Catherine II à Saint-Pétersboug. L’excellente violoniste Nicole Tamestit vous offre la possibilité de le découvrir en enregistrant cinq pièces pour violon seul : trois Sonates, une Aria en ré mineur et une Chanson russe. L’originalité de cette musique très personnelle, créative, passionnée, virtuose, proche de l’improvisation, inspirée par des chants folkloriques, réside sans doute dans ce mariage de l’âme slave avec l’esprit italien, typique de Saint-Pétersbourg, la plus italienne des villes russes où elle vous transportera, au sortir de l’époque baroque.
1 CD DILIGENCE
Nicolas Bacri – Canto di Speranza
De tous les compositeurs contemporains, Nicolas Bacri est un des rares, avec Karol Beffa, dont on puisse dire que sa musique passera à la postérité. C’est qu’il réalise ce pari impossible de s’inscrire dans la
continuité des grands maîtres du passé tout en étant profondément original. Plus précisément, sa musique oscille entre la fidélité à la tradition classique et la rupture avec cette même tradition. Un magnifique exemple de cette tension permanente – et féconde – se trouve dans son Quatuor à cordes n° 8 « Omaggio a Haydn » (écoutez son Notturno) qui vient d’être enregistré par le Quatuor Psophos, avec les Quatuors 7 « Variations sérieuses » et 9 « Canto di Speranza ». De la belle grande musique comme on l’aime, profonde, originale et qui émeut, empruntant peu à l’École de Vienne et beaucoup aux XVIIIe et XIXe siècles.
1 CD KLARTHE
François de Larrard – Sens caché
On connaît bien notre camarade François de Larrard (78), superbe pianiste et jazzman professionnel. Sous le titre Sens caché, il vient d’enregistrer un nouvel album de onze compositions avec le bassiste Michel Collon. Comme d’habitude, ce jazz de chambre se distingue par une rigueur ‑absolue, un style toujours proche de la musique modale qui n’ignore pas cependant les harmonies du jazz classique ni les ‑enchaînements à la Bill Evans mais qui cherche à vous désarçonner en marquant une rupture nette avec la tradition. On l’aura compris, c’est une musique exigeante, ‑profondément originale et qui demande une écoute attentive.
1 CD http://francoisdelarrard.chez-alice-fr/
Astor Piazzolla – Concertos
On aura gardé pour la fin une pépite rare, un de ces disques qui vous transportent à la première audition et dont vous ne pouvez plus vous passer : le meilleur d’Astor Piazzolla, sous la forme des deux Concertos pour bandonéon, le second avec piano, des -Variations sur Buenos Aires, et enfin une mélodie sublime, Oblivion, que l’on ne peut écouter les yeux secs, avec le bandonéoniste William Sabatier et l’Orchestre Dijon Bourgogne dirigé par Leonardo Garcia Alarcón. Cette musique proprement ‑envoûtante, très travaillée, et qui transcende les tangos et milongas habituels de Piazzolla, laisse une large place à l’ornementation improvisée, et nécessite un interprète d’exception : William Sabatier, Français comme l’était Gardel. Une musique à la fois tendre, violente et opiacée, une musique rêvée pour vous évader.
1 CD FUGA LIBERA